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Isadora

Isadora Duncan fascine.

On la devine déjà derrière les traits d’Aurore dans Tendres Stocks (1921) de Paul Morand. Puis, on la retrouve dans Au temps du Bœuf sur le toit (1939), où Maurice Sachs note à son sujet : « Je me souviens d’une jeune femme mince, grande, coiffée en bandeaux, vêtue d’une robe coupée à la mode de l’Empire, la ceinture sous les seins, dans une belle étoffe bleue ancienne, pieds nus dans des sandales. Elle disait : "Il faut vivre à la grecque, penser à la grecque, ramener la civilisation grecque parmi nous", ceci avec un fort accent américain. C’était Isadora Duncan. J’ai été la voir danser hier soir. Elle a inventé une danse immobile dont on n’a jamais vu l’équivalent ». En 1986, c’est au tour de John Dos Passos de s’attarder sur la danseuse dans un chapitre de son roman La Grosse Galette.

90 ans après sa mort, Isadora Duncan fascine toujours contrairement à ce qu’avait imaginé son mari, le poète Essénine (« les danseuses comme les actrices, on les oublie ») : si Karel Reisz lui avait consacré un long métrage en 1968 (Isadora), en novembre dernier, c’est la réalisatrice Stéphanie Di Giusto qui nous livre sa Danseuse. Après un roman graphique remarqué sur Pablo Picasso (Pablo, 4 tomes, 2012-2014), Julie Birmant et Clément Oubrerie choisissent à leur tour de nous raconter Isadora Duncan.


On pourrait donc s’attendre à ne trouver rien de neuf, comme si tout avait déjà été dit sur celle qui révolutionna la danse. Et pourtant… Le duo s’était déjà intéressé à I. Duncan dans un album (Il était une fois dans l’Est, 2015) en explorant essentiellement sa relation tumultueuse avec son mari, le poète russe Essénine. Avec Isadora, il livre un autre versant de la vie de la chorégraphe, offre un autre éclairage sur le personnage. Julie Birmant et Clément Oubrerie ne se contentent pas de retracer sa vie, plagiant ce qui en avait déjà été dit. Le récit n’est ni exhaustif, ni linéaire. Parfois, le temps s’y trouve dilaté, comme pour marquer une pause dans la narration et, dans un arrêt sur image, suggérer l’importance de certaines rencontres, à l’exemple de celles d’Auguste Rodin ou de Louïe Fuller. Les auteurs de ce roman graphique savent nous montrer une danse qui s’écrit pieds nus, avec un corps qui se livre dans sa réalité charnelle. Ils donnent aussi à comprendre la fascination de la chorégraphe pour la Grèce antique, nourrie de la lecture des poètes antiques et élevée dans une famille fantasque dont le rêve était de vivre, à la mode antique, au pied du Parthénon.


Ce qui retient l’attention, c’est enfin et surtout la capacité de Clément Oubrerie à rendre le mouvement dansé par le dessin : il ne cherche pas à représenter la danse mais plutôt à la raconter. Son dessin, poétique, narre avec justesse le mouvement, de façon synthétique et minimaliste. Dans une interview accordée à Télérama (22/01/2016), Clément Oubrerie précise que, parfois, « [il n’a] pas utilisé de cases, pour montrer que la liberté de la danse contamine la page ». Le mouvement de son trait restitue un art chorégraphique libre et spontané.


Ce roman graphique n’est donc pas une nouvelle biographie d’Isadora Duncan, connue pour avoir posé les bases de la danse moderne et contemporaine. Il s’agit d’une œuvre à part entière qui donne à lire autrement le personnage.


Julie Birmant et Clément Oubrerie, Isadora, Dargaud, 2017.


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