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"J’avais envie de parler de cette population rurale du monde du vélo [...] souvent raillée, mép

« Chez les Benoit, on est vélo. Elevé depuis son plus jeune âge dans la religion du cyclisme, Loïc essaie tant bien que mal de dissimuler cette passion qu’il aime autant qu’elle lui fait honte ». Benjamin Coissard, coureur cycliste amateur de niveau régional, réussit grâce à une description précise, savoureuse et poétique à nous plonger dans les courses du dimanche. Rencontre avec le jeune romancier caennais.



Les étoiles brillerons dimanche est votre 1er roman, pouvez-vous vous présenter ?

J’ai 34 ans, je suis enseignant en mathématiques dans un lycée professionnel et j’écris depuis une dizaine d’années. Avant ce premier roman, j’avais écrit des nouvelles et de la poésie. D’ailleurs, j’ai rencontré mon éditeur en 2009 lors du prix Arthur Rimbaud. Côté sport, j’ai commencé le vélo il y a vingt et un an et j’ai pratiqué la compétition à un niveau régional. Je suis issu d’une famille de cycliste, il y a pas mal de points communs entre Loïc Benoit et moi.


Comment est venue cette idée de roman ?

Dans le cadre d’un prix littéraire du Crous, j’avais écrit une nouvelle sur le cyclisme. Lors de notre rencontre, mon éditeur m’avait conseillé de poursuivre dans cette voie. A cette époque, je n’étais pas prêt à écrire sur le vélo. Je mettais l’image du cyclisme loin de moi pour ne pas être lié à l’image péjorative et entachée qu’elle véhicule. Après plusieurs années, cet éditeur m’a offert le livre Body de Harry Crews (Gallimard), sur le monde du culturisme. En le lisant, je me suis dit que je pouvais faire la même chose sur le vélo. Parler des petites courses, pas des champions.


Quelle est la part de vous dans ce récit ?

Tout et rien (rires) ! C’est la réalité passée à la moulinette de la fiction. Il y a une bonne part de faits réels mais j’ai grossi certains traits, certaines histoires. Si vous discutez avec beaucoup de familles du cyclisme, vous vous apercevrez que cette ambiance et cette ambition sont très présentes. La famille pousse toujours le fils ou la fille à faire ce que les précédentes générations n’ont pas réussi à faire. C’est un sport qui s’appréhende difficilement car il y a tellement de tactique, de technique, qu’on ne peut pas faire du vélo du jour au lendemain. Il faut des bases et la famille est souvent là pour les poser.


Vous décrivez parfaitement l’univers du vélo amateur, mais aussi celui d’une France rurale, non médiatique, avec ses fêtes populaires souvent animées par une course cycliste. Pourquoi ce sujet ?

Ce monde tend à disparaitre et j’avais envie de parler de cette population rurale du monde du vélo. Elle est souvent raillée, méprisée, présentée comme arriérée, pourtant ces gens sont très attachants et touchants. Ils sont honnêtes, pas versatiles. Ce sont des citoyens comme les autres donc je ne vois pas pourquoi on ne parle jamais d’eux. Pour cette population rurale, la course cycliste ou le match de foot du dimanche sera la seule sortie et la seule animation du village. Il n’ y a pas ou plus de cinémas, de bars ou d’expositions. Le sport est un événement culturel.



Plusieurs sportifs et sportives ont avoué détester leur sport. Loïc Benoit déteste-t-il le cyclisme ?

Loïc Benoit déteste le cyclisme autant qu’il l’aime. Il n’arrivera jamais à faire la part entre son amour et sa détestation. Je pense que de nombreux coureurs éprouvent cette sensation. Il y a tellement de souffrance, de sacrifices, qu’on ne peut pas adorer ce sport à chaque instant. En revanche, la victoire est tellement belle que la fraction de secondes où on lève les bras efface les années de privation et de douleur.


Loïc Benoit évoque une passion honteuse dont il ne parle jamais dans son milieu professionnel.

Depuis 98 et l’affaire Festina, le vélo a une image liée au dopage, une image honteuse. Pour le grand public, le cyclisme se résume au Tour de France et au dopage. On peut le regretter. Il faut savoir qu’avant de se doper, il faut avoir de bons résultats, le dopage permet seulement d’atteindre une autre strate. Malheureusement, c’est presque devenu un passage obligé à cause des pressions médiatiques et du sponsoring. Le cycliste amateur ou pro est renvoyé à l’image du bandit de grand chemin. Pourtant, le dopé ne fait de mal à personne, il fait juste mal à son propre corps. Je suis parfois choqué de la manière dont sont traités les cyclistes. Ils sont réveillés à 6h du matin pour passer un contrôle antidopage, la même heure que les perquisitions… Deux poids, deux mesures.

Et puis cette « passion honteuse » est aussi liée à la tenue du coureur. Pour certains hommes, mettre un cuissard ou un maillot prêt du corps, ce serait une atteinte à leur virilité.


« Une famille unie, pour le meilleur et pour le pire, par le cyclisme ». Loïc pouvait-il échapper à cette passion familiale ?

Loïc a un caractère malléable. Avec un caractère plus fort, il aurait pu s’extraire de ce milieu. Lorsque l’on grandit dans un milieu aussi particulier, il est difficile de s’en extraire.


Pensez-vous que le cyclisme puisse être considéré comme une « religion » ?

Le cyclisme est une religion car de nombreux signes l’attestent : les courses ont lieu le dimanche, il réunit des fidèles dans une grande ferveur, il peut donner un sens à la vie. Le cyclisme n’est pas un sport qui s’improvise, il y a de nombreux sacrifices à faire même en amateur. On ne peut pas en faire à 10 ou 20 %, il faut s’y consacrer totalement.


La musique, notamment par l’intermédiaire d’Elvis, est très présente dans ce récit. Pourquoi ce choix ? Peut-on parler d’une bande originale pour accompagner le roman ?

L’idée d’une bande originale me plait bien car cela changerait de la musique habituelle que l’on entend les jours de course. Dans la chambre de mon frère, il y avait un poster d’Elvis. Je voulais donner de l’épaisseur à mon personnage. Même si Loïc est un garçon effacé, je voulais lui donner quelque chose en plus. La passion d’Elvis est souvent présentée comme une passion désuète. On le représente dans sa période de Las Vegas, avec les paillettes et les rouflaquettes. Je trouvais quelques similitudes entre mon personnage de Loïc et Elvis. Le rockeur a été aussi très influencé. Son amour de la musique a été détourné à des fins commerciales. Loïc est influencé par sa famille car ils aspirent à avoir leur nom accroché à coté des grands champions régionaux.


Dans votre roman, le sport et la littérature se mêlent parfaitement pour créer une poésie grâce à un vocabulaire et des expressions particulières.

Les expressions de vélo apportent une richesse à la langue et une authenticité à ce récit. Si je n’avais pas utilisé les termes techniques, j’aurais perdu en authenticité. Je voulais aussi réunir deux publics, les spécialistes du vélo et les novices. Pour éviter d’exclure des lecteurs, nous avons indiqué un lexique à la fin du roman.


Avez-vous une expression préférée ?

« Je suis à bloc » (rires) car c’est tout et rien à la fois. C’est une expression passe-partout. J’aime beaucoup aussi « en mettre une » et « il n’y a plus personne dans la roue » car c’est une jubilation.


Quelles sont vos influences ?

J’adore la littérature américaine car elle est imagée. Hemingway est mon maître absolu car il écrivait sur des sujets qu’il connaissait et maitrisait. Dernièrement j’ai lu Le cabaret de la dernière chance de London sur ses problèmes d’alcoolisme. Il a écrit ce livre il y a un siècle et pourtant il est toujours criant de vérité. Martin Eden, un autre roman de London, m’a beaucoup aidé pour ce livre. Je me suis reconnu dans ce personnage. Un petit gars qui vient des bas-fonds et qui rêve de rejoindre la haute société.. En côtoyant « le beau monde », il découvre le côté superficiel, il est déçu. Après cette expérience, il ne pourra plus retourner vers l’un des deux mondes et naviguera toujours entre les deux.


Quels sont vos projets ?

J’ai quasiment terminé mon deuxième roman. Cette fois, je ne traite pas d’un sujet sportif mais de l’école.


Un pronostic pour ce Tour ? (*)

Je ne suis pas forcement très bon en prono. J’adore Vincenzo Nibali car nous avons le même âge (rires) et il représente un cyclisme du passé. Il est insaisissable. Même si avec l’âge, il est en perte de vitesse, il termine souvent très bien sa troisième semaine. Il faudra aussi se méfier de Geraint Thomas. Et sans faire dans l’originalité, Froome sera sans doute en haut de l’affiche.


*L’interview a été réalisé au début du Tour.



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