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"Senna est mort au sommet de son art et sa mort l’a fait passer de pilote respecté et craint à celui de mythe. " Thomas Woloch

Il y a quelques mois, à l’occasion des 30 ans de l'accident mortel d'Ayrton Senna, plusieurs livres sont sortis. Coté fiction, L’icône immolée de Lionel Froissart (En exergue, 2024) a marqué les esprits en revenant dans la vie et la tête d'Ayrton, 24h avant l'accident d'Imola. Coté beau livre, c'est "Eternel Senna "(Glénat, 2024) de Thomas Woloch et Daniel Ortelli, qui a retenu mon attention. L'occasion de proposer un entretien à Thomas pour parler du grand pilote brésilien mais aussi du retour sur le devant de la scène de la F1 entrainant l'explosion du nombre de livres.


Thomas, comment expliquez-vous que Senna, à l’image de Maradona, suscite toujours autant d’intérêt trente ans après sa mort ?

Outre la particularité que Senna et Maradona sont d’Amérique du Sud tous les deux, je pense qu’il s’agit de deux grands champions qui ont amené le pays sur le toit du monde dans leur discipline sportive. Même si Ayrton Senna était moins controversé que l’était Diego Maradona. Senna est mort au sommet de son art et sa mort l’a fait passer de pilote respecté et craint à celui de mythe. Pour ce livre, j’ai rencontré beaucoup de Brésiliens et beaucoup ont les yeux qui brillent lorsque je prononçais le nom du pilote. Et puis, il y a aussi le fait que Senna représente toute une époque de la Formule 1 avec ses F1 suralimentées, ses coups de volant incroyables, mais aussi une certaine idée du risque. Car avec le décès d’Ayrton Senna, je pense qu’une certaine époque de la Formule 1 est partie avec lui.


Quelle est votre image de Senna ?

Pour moi, Ayrton Senna c’est un homme intrépide, très déterminé et à l’affut du moindre détail. Je ne veux pas faire dans l’hagiographique et il est important de noter le fait qu’il était aussi un grand stratège. Dans toutes les équipes où il est allé, il a toujours veillé à se faire apprécier. Comme me l’avait dit Bob Dance, son ingénieur chez Lotus de 1985 à 1987, c’est difficile de ne pas aimer quelqu’un qui veut vous amener dans le haut du panier. C’est même normal de l’apprécier ! Il exigeait le maximum de ses mécaniciens et plusieurs de ces crises de colère sont légendaires pour ceux qui le fréquentaient à l’époque. Il savait aussi comment parler à la presse pour que l’opinion lui soit favorable. C’était quelqu’un de très intelligent qui savait user des « mind games ».

Pour le livre, vous avez interrogé plusieurs pilotes. Quelles images ont-ils de Senna ? A-t-il influencé une génération de pilotes ? Quelle(s) trace(s) a-t-il laissé dans le milieu ? 

Parmi les témoignages que j’ai recueillis, beaucoup me parlent de sa grande faculté à donner des informations précises sur la voiture. Ça ne m’a pas étonné, car c’est un aspect qui est souvent abordé dans des ouvrages sur Ayrton Senna. Mais il ne faut pas aussi ignorer l’aspect humain d’Ayrton Senna. Un des psychologues qui l’a suivi qui est basé en Caroline du Nord, Jacques Dallaire, avec qui j’ai pu échanger, m’a parlé de quelqu’un qui avait un « instinct de prédateur » et dont la force mentale était incroyable. Ceci tout en me disant qu’il n’avait « jamais vu le moindre sentiment d’arrogance chez lui. Il était confiant, oui, mais il avait une très bonne âme. » J’ai pu aussi avoir le point de vue de Nuño Cobra, son préparateur physique, qui lui est à Sao Paulo. Pour lui, il y avait « Ayrton » et « Senna ». Une des phrases qui m’avait marqué qu’il m’a dit était que « Senna faisait tout avec excès, en allant le plus profondément possible, en exigeant le maximum. » Pour lui, il était capable de se transformer en véritable démon ! Mais cela a une explication rationnelle selon Nuno Cobra comme il me l’a dit : « Ayrton était donc une personne charmante, mais “Senna” était troublé parce qu'il devait produire des résultats. » Et puis, il y a aussi un de ses rivaux de kartings, Mike Wilson, à qui il a laissé des souvenirs très rugueux sur la piste, mais magnifiques à l’extérieur des circuits. Concernant la génération de pilote actuelle, je pense que plusieurs n’étaient pas nés quand il est décédé, mais son image demeure présente. Il n’y a qu’à voir le nombre de personnes de la génération de Charles Leclerc le citant ou lui rendant hommage. Je suppose que pour eux, Senna représente le talent pur, mais avec un grain de folie. Et je suppose qu’il faut être un peu fou pour piloter à toute vitesse sur les circuits du monde entier.

 

Il commence en 84 et les débuts sont compliqués : il pense qu’il a un problème cardiaque, une rage de dents lors du 1er GP, le vol de son passeport à Monaco. Il enchaine les mésaventures.

Sans oublier sa paralysie de Bell fin 1984 qui va être gênante pour faire des shootings photos avec les sponsors ! Ses débuts en F1 sont loin de se passer comme dans un rêve en dehors de la piste. Mais je pense que ce sont les différentes épreuves qu’il a traversées qui lui ont permis d’être un pilote prêt à faire face à tout.


Quelles sont les grandes étapes de sa carrière ?

Cela reste subjectif, mais pour moi, il y a son arrivée en Formule 1 chez Toleman en 1984, puis sa première victoire à Estoril en 1985 chez Lotus. La saison 1988 est celle qui lui permet de rentrer dans l’histoire en étant champion au Brésil pour sa première année chez McLaren. Et pour moi, celle qui est la plus aboutie est 1991 avec pour débuter la saison une victoire obtenue dans la douleur, celle du Brésil, quelques jours après son anniversaire et en point d’orgue son troisième titre de Champion du monde. Je pourrais aussi ajouter 1994, car Auto-Hebdo parlait de « Mariage du siècle » en janvier / février lorsque Senna intègre Williams…


Depuis quelques années, les publications sur la F1 sont nombreuses. D’où vient cette émulation ? Le passionné de F1 aime aller plus loin que le simple grand prix ?

Je pense que l’on peut dire merci à la série Drive to survive sur Netflix. Je suis né en 1997 et j’ai grandi en écoutant Jean-Louis Moncet sur TF1. C’est même lui qui m’a donné envie d’être journaliste ! Et à l’école, on me regardait bizarrement quand je parlais de Formule 1. Maintenant, c’est devenu « tendance » et ceux qui étaient étonnés de ma passion pour ce sport sont maintenant les mêmes qui me posent des questions, car ils ont vu Drive to survive ! Puis, il y a aussi le fait qu’on peut s’exprimer et débattre massivement avec les réseaux sociaux qui contribuent à cela…

Quand on est passionné de Formule 1, je pense qu’on a toujours envie d’en savoir plus sur la passion qui nous anime. J’ai grandi en lisant Auto-Hebdo puis Autosport, le magazine anglais de référence. Quant aux livres, ma bibliothèque en est remplie. J’adore les Livres d’Or de la Formule rédigés par Renaud de Laborderie. Je les relis avec plaisir. De toute manière, j’ai toujours adoré tout ce qui me permettait d’en apprendre plus sur ce sport, mais aussi sur d’autres sports. C’est vraiment la lecture qui a nourri ma culture sportive, que ce soit sur le hockey sur glace, le foot US, le baseball, la NASCAR, ou le football. Et je me rends compte qu’on est plusieurs dans le même cas !

C’est réellement les livres qui m’ont permis d’apprendre les données statistiques, les grands pilotes, les anecdotes avec la grande et la petite histoire. Je crois que j’ai tellement lu et relu mes livres sur la F1 que j’en connais la majorité par cœur. Après, c’est génial d’avoir accès aux sites du monde entier, mais pour moi, la sensation du papier est incroyable. Et puis, j’apprécie plus la qualité d’écriture de l’auteur dans un livre que je tiens en main. Aussi, je dois admettre que j’ai un énorme faible pour les archives, et ce dans toutes les langues et cela concernant tous les sports… Je suis capable d’y passer des heures. Preuve de ma « folie » : je suis capable de citer les derniers mots du journal L’Équipe du 2 mai 1994 sur l’annonce de la mort de Senna : « Dehors le soleil se couchait sous le jour finissant ». Ce livre sur Senna est mon troisième livre en trois ans. Je me souviens que j’avais 24 ans quand j’étais en train d'écrire mon premier livre et avec du recul, je pense que je n’aurais jamais été publié si la Formule 1 n’avait pas eu un regain d’intérêt.


Propos recueillis par Julien Legalle

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