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Entretien avec Tony Chapron, auteur de "Enfin libre" : "Je peux enfin dire ce que je

Après trente ans dont quatorze en Ligue 1 et plus de 1500 matchs arbitrés, Tony Chapron a vu sa carrière s’achever précipitamment le dimanche 14 janvier 2018 lors de Nantes-PSG suite à son tacle-reflexe sur le nantais Diego Carlos. Celui qui rêvait d’arbitrer son dernier match au Stade Michel d’Ornano lors de Caen-PSG devant ses amis, sa famille et ses anciens éducateurs, en a été privé par ce geste malheureux et une suspension de 6 mois. Le voici de retour avec un livre qui lui ressemble : franc, direct et clivant.

(c) Patrick Gaillardin, Flammarion


La publication de votre livre représente-t-elle une libération ?


Oui ! c’est une libération car en France la parole des arbitres est muselée par l’institution, et là, elle est enfin libre. J'ai pu enfin vous parler de l’incident du match Nantes-PSG car la direction technique de l’arbitrage me l’avait interdit. Résultat, tout le monde a pu s’exprimer sur cet incident sauf moi. Pendant ma carrière, plusieurs collègues m’avaient déjà incité à écrire un livre. J’avais envie de témoigner de la vie quotidienne d’un arbitre. On parle beaucoup des arbitres dans les médias mais peu s’expriment. Je peux enfin dire ce que je pense du football, donner un avis et émettre des critiques sur le fonctionnement de l’arbitrage sans peur des représailles de ma hiérarchie, sans avoir une mauvaise note qui m’aurait rétrogradé en fin de saison.


Pouvez-vous nous expliquer comment fonctionne l’arbitrage en France ?


Chaque saison, nous arbitrons entre quinze et vingt-cinq matchs. Après chaque rencontre, notre évaluateur fait un rapport et nous donne une note dont nous ignorons la teneur jusqu’à la fin de la saison. Ainsi à la fin de la saison, nous découvrons les rapports, les notes et notre moyenne. Même si certaines notes peuvent être discutables, cela fait un classement sans contestation possible puisqu’il refléte les performances de notre saison. Avec l’arrivée de Pascal Garibian en 2014, le nouveau directeur de la direction technique de l’arbitrage, ce système a évolué. Une note supplémentaire (1) est donnée par la DTA. Elle ne correspond ni à l’évaluation d’un match, ni à une note technique mais elle permet de corriger la moyenne et surtout de modifier le classement final de la saison ! Je l’ai appelé la note de la docilité ! Plus on est proche de la DTA, plus l’arbitre est docile, plus il a une chance d’avoir une très bonne note pour contrebalancer la mauvaise moyenne des matchs de l’année ! Ainsi certains se maintiennent en Ligue 1 chaque année alors que leur moyenne est catastrophique. En conclusion, ce ne sont pas les meilleurs arbitres qui sont les mieux classés !

Quel est l’archétype de l’arbitre français aujourd’hui ?


En France, l’arbitre idéal est « un mouton qui court ». Il faut un profil d’athlète qui court vite et longtemps car nous devons répondre à de nombreux tests physiques. Il doit bien courir mais ne doit surtout pas penser. Vous ne devez surtout pas avoir d’opinion. Pour rester au top niveau français, il faut s’effacer. Toute tentative de questionnement est systématiquement considérée comme une remise en cause des dirigeants et des pratiques. Penser le système revient à déconstruire le système de pensée. Ainsi on infantilise l’arbitre, pis on le lobotomise. Or à l’international, la différence se fait par la prestance et la charisme… Pierluigi Collina, Howard Webb, Roberto Rosetti… Trois grands noms de l’arbitrage, trois hommes charismatiques.


Comment votre passion pour l’arbitrage est-elle arrivée ?


J’ai été traumatisé par France-RFA en 1982. J’avais 10 ans. Je jouais dans le club de mon village normand et ce soir-là, je suis allé me coucher en pleurant. C’était tellement injuste de voir cette si belle équipe privée d’une finale de Coupe du monde. Injuste aussi par les nombreuses décisions contestables de l’arbitre. Je pense notamment à la violence de l’intervention de Harald Schumacher sur Patrick Battiston que l’arbitre ne va pas sanctionner d’une faute, ni d’un carton. Quelques années plus tard, comme j’étais un jeune joueur râleur, un dirigeant de mon club m’a proposé d’arbitrer pour me calmer. Après cette expérience, il m’a expliqué que je pouvais devenir arbitre officiel et m’a prêté le livre « les règles du foot, loi du jeu ». Comme tous les joueurs de foot amateur, je ne connaissais pas les règles de mon sport.


Racontez-nous votre première fois ?


C’était en février 1988 à Ussy en Normandie. J’avais quinze ans et j’arrive timidement pour arbitrer mon premier match. J’étais seul et en panique car je ne savais pas vraiment comment on arbitrait un match officiel. Il faisait très froid et en arrivant sur le terrain, je découvre qu’il est gelé ! je dois reporter le match ! Cela m’arrange. Je repousse le stress du premier match. Même si le match fût annulé, j’ai commencé ma carrière par faire une connerie puisque j’ai oublié de remplir la feuille de match !


Les arbitres sont-ils de mauvais footballeurs ?


Pendant longtemps, les clubs prenaient les plus mauvais joueurs pour arbitrer car chaque club amateur devait fournir des arbitres sous peine de ne pas pouvoir accéder à une division supérieure ou à un recrutement. Ainsi on se retrouve avec des arbitres bedonnants, lents, plus habitués au banc de touche qu’au terrain. Ainsi ces jeunes rendent service à leur club mais sans beaucoup de passion. Ce ne sont pas ces jeunes-là qui deviendront arbitres de haut niveau. Pour casser le cliché, Ruddy Buquet, arbitre de L1, a joué en CFA (quatrième division) et on voit aujourd’hui certains joueurs pro devenir arbitre. C’est le cas de Gael Angoula (2). Il ne faut pas forcément avoir été un grand joueur pour devenir un grand arbitre, mais il faut être passionné.



On reproche souvent aux joueurs actuels d’être individualistes dans un sport collectif. Est-ce la même chose chez les arbitres ?


Le malheur des uns fait le bonheur des autres ! Nous sommes en concurrence pour rester en Ligue 1, être désigné pour un grand match ou une finale de coupe nationale. C’est une compétition. Il faut être le meilleur. Nous sommes des sportifs dans une compétition sportive. L’objectif est de terminer le plus haut possible.


Comment prenez-vous une décision ?


La décision répond à un nombre important d’éléments mais il ne faut pas négliger l’environnement du match ni le coté émotionnel. L’arbitre n’est pas un robot. Même si on tend de plus en plus à une uniformisation, chaque arbitre a sa sensibilité. Le poids médiatique du match, la pression du stade et la relation avec les joueurs jouent un rôle. Par exemple, lors d’un match, le coach d’Evian est tellement désagréable, et les joueurs agressifs que cela a eu un impact sur ma façon de juger des situations. Sur une action litigieuse, j’ai sifflé un penalty contre eux. Pourtant c’était du 50-50. Un autre arbitre ne l’aurait peut-être pas sifflé. Si vous êtes agressé tout le match, ces comportements modifient votre capacité à juger sereinement. C’est humain. Le foot n’est pas binaire. L’arbitrage, c’est de l’interprétation. Faites un test avec vos amis. Regardez un match ensemble et essayez de voir si tout le monde sera d’accord sur une faute, un penalty, même après plusieurs ralentis.


On pense souvent qu’un bon arbitre est celui qu’on ne voit pas du match…


C’est une erreur ! J’entends souvent cette phrase : « l’arbitre a fait preuve de psychologie ». Pour moi, elle signifie, il a manqué de courage. L’arbitre n’est pas là pour faire plaisir aux gens, c’est pour cela que nous n’avons pas une bonne image auprès du public. Il vient rendre la justice. Il rendra forcément un camp heureux et un camp malheureux. J’adore la phrase de Pierluigi Collina : « Les grands arbitres sont ceux qui sont capables de prendre des décisions impopulaires ». Pour éviter tout conflit, certains vont éviter de les prendre. Pas de bruit, pas de vague. En revanche, ces arbitres n’arbitreront jamais la finale de la Coupe du monde. Ceux qui prennent des grandes décisions, ce sont les top referees à l’UEFA. Pour gagner des échelons, il faut que l’on parle de toi.


Vous avez été très impliqué dans la création du premier syndicat des arbitres. Pourquoi ?


En 2006, nous avons créé le Syndicat des Arbitres du Football d'Élite (SAFE) car nous n’avions pas de statut, pas de couverture sociale, pas de salaire fixe (3), une difficulté pour se faire reconnaitre comme sportif de haut niveau, et donc pour se dégager du temps auprès de nos employeurs. La fédération demande aux arbitres d’être de plus en plus professionnels sur le terrain sans leur donner les moyens et les protections pour le devenir. Cela avait un fort impact négatif sur leur vie professionnelle et ils leur étaient impossible de se préparer dans les meilleurs conditions. On se rend compte à ce moment là que nous ne sommes pas structurés et comme notre hiérarchie sanctionne le premier qui l’ouvre, nous en avons déduit qu’il fallait trouver une structure pour défendre tous les arbitres. J’ai pensé à un syndicat. Des représentants seront élus. ils parleront au nom du groupe et non en leurs noms propres pour éviter la mise au placard. J’ai été élu par mes collègues pour être le président de cette structure. J’étais loin d’imaginer que cette création serait aussi ma perte à plus d’un titre. Elle m’a valu de nombreuses sanctions et des mauvais rapports avec la DTA. Auparavant aucun arbitre n’osait donner son avis et d’un coup nous commencions à nous exprimer. Les arbitres entre eux expriment leur mécontentement sur leur condition de travail mais n’osent jamais l’exprimer à haute voix fasse à leur direction. D’ailleurs, tous mes successeurs à la direction de ce syndicat ont été tour à tour sanctionné par la hiérarchie.


Comment voyez-vous l’arbitre du futur ?


J’ai fait plusieurs propositions pour ouvrir le monde de l’arbitrage vers l’extérieur. J’aurais sans doute beaucoup de chose à apprendre avec des confrères de d’autres sports, nous pourrions partager notre expérience avec un arbitre de tennis, de basket, de rugby . Nous pourrions nous ouvrir à la recherche, à l’entreprise, aux médias. Un autre point important serait de mettre la psychologie au centre des formations des arbitres… Pour l’instant, l’arbitre est fermé sur lui-même. Si nous voulons progresser il ne faudra pas rester dans l’entre-soi. Celui qui n’avance pas, recule. D’ailleurs le directeur de l’arbitrage pourrait ne pas être un ancien arbitre. Il pourrait apporter son expérience de l’entreprise, du management. Le président d’AIRFRANCE n’est pas pilote d’avion, c’est juste un manager.


L’arbitre du futur aura-t-il une aide technologique ?


Une aide oui, mais quelque chose qui le supplée, non. La technologie ne doit pas remplacer l’arbitre car l’arbitrage en football est dans l’interprétation. Je crois plus en l’être humain qu’en la technologie, d’autant qu’elle aussi est faillible. Ces derniers mois, nous avons pu constater des problèmes techniques concernant l’Assistance vidéo à l'arbitrage ou la Goal-line technology. On peut aussi voir le problème de la ligne pour vérifier un hors-jeu. Les images sont montées et choisies par le réalisateur. En fonction du choix des images, on peut montrer un joueur hors-jeu ou non. Elles faussent tout. Ce n’est pas une méthode scientifique. D’ailleurs, elle n’a pas éradiquée la polémique ni le sentiment d’ injustice. On l’a encore vu en finale de la Coupe du monde 2018. On peut aussi remarquer une injustice entre les clubs du championnat de France. Par exemple, les matchs du dimanche soir à 21h en direct sur Canal + sont filmés par vingt-cinq caméras, donc les arbitres disposent de nombreuses images pour juger. Sur ce créneau-là, nous voyons que les grands clubs : PSG, Marseille, Lyon, Monaco. Sur un match du samedi soir à 20h, les arbitres disposent seulement de neuf caméras. Pour une même compétition, nous n’avons pas les mêmes outils de jugement. En gros, les matchs de Caen, Angers, Dijon ne disposent pas des mêmes moyens techniques que les grands clubs. Les petites équipes ne sont pas jugées de la même façon que les grands. Je regrette qu’on ne puisse plus s’interroger sur la vidéo, on voit que tout le monde doit être pour sinon on passe pour un ringard, un rétrograde.

  1. Pour avoir dénoncé cette nouvelle système de notation et de gestion des arbitres, Stéphane Lannoy, arbitre international, fut suspendu 5 mois par la fédération française de football.

  2. En 2017, A 34 ans, Gaël Angoula, ex-joueur de Bastia, Angers et Nîmes a décidé de mettre un terme à sa carrière de joueur professionnel pour se tourner vers l’arbitrage.

  3. Aujourd’hui un arbitre non professionnel gagne autour de 10 000 euros net par mois, 15 000 pour un pro. 2931 euros brut pour un match de Ligue 1, 1532 euros brut en Ligue 2. Il faut ajouter un fixe de 3320e brut.

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