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Le sport fait son cinéma ! Entretien avec Julien Camy, co-auteur de "Sport & Cinéma"


Vous répertoriez près de 350 films sur le football, le football américain et le baseball, 500 sur la boxe, 50 sur le surf, 30 sur le rugby, une quinzaine sur le sumo, cinq sur la pelote basque… soit près de soixante sports représentés ! Comment expliquez-vous la surreprésentation au cinéma de certains sports, à l’exemple de la boxe ? Existe-il des sports davantage cinégéniques que d’autres ?


En effet, les sports au cinéma ne sont pas tous égaux !

Tout d’abord, il y a une question culturelle. Le mythe de la figure sportive vient en grande partie des Etats-Unis et il n’est pas étonnant que ce soit le pays qui a réalisé la très grande majorité des films de sport. Tout d’abord parce que le sport fait partie de la culture et de l’éducation des élites américaines dans les lycées, universités et grandes écoles. C’est aussi pour de nombreux Américains socialement défavorisés mais doués en sport, le moyen de s’en sortir socialement grâce à des bourses scolaires notamment. Le sport peut aussi être vu comme la possibilité du rêve américain : avec rien, on peut arriver tout en haut.

C’était également une façon d’écrire l’histoire américaine, plus jeune que celle de l’Europe et qui a besoin de personnages historiques. Robinson au baseball a symbolisé la lutte contre la ségrégation par exemple – très beau film 42. Une statue en bronze de Rocky a été installée en bas des marches du musée des beaux arts de Philadelphie et tous les jours des dizaines de personnes viennent se faire prendre en photo à ses côtés ! C’est pour vous dire l’importance de ce boxeur personnage de fiction, dans la culture et l’imagerie américaines... Il est devenu un véritable personnage historique.

L’autre explication, vient du sport lui-même et sa capacité à être bien retranscrit à l’écran. Comme l’explique Jean-Jacques Annaud, il est plus facile de filmer deux personnes dans un espace circonscrit éclairé, en suivant des mouvements que l’on peut chorégraphier à l’avance, que 22 joueurs sur une pelouse immense courant après un ballon à la trajectoire plus aléatoire. De même, Elie Chouraqui, qui fut membre de l’équipe de France de volley-ball avant d’être réalisateur, reconnaît que le mouvement très rapide du ballon de volley de haut en bas est très peu cinégénique.

Cela explique en grande partie pourquoi la boxe s’est imposée comme le sport le plus cinématographique. En dehors de la popularité du sport en général, la boxe porte une tension incroyable, une violence alliée à une beauté du geste pur, des scénarii de combats improbables. C’est un lieu de rebondissements, de chutes et de renaissance. Un sport où les corps sont montrés, visibles, meurtris, blessés. Et quand on tombe sur le ring les bras en croix, on ne peut éviter de penser à la puissance christique que la boxe peut porter en elle. Les plus grands films de sports tournent autour de la boxe : Nous avons gagné ce soir, Requiem pour un champion, Raging Bull, Girlfight, Rocky

Quant au football, l’autre sport le plus filmé au cinéma, il est moins aimé. Ainsi, il n’est guère étonnant d’entendre dire qu’il n’y a pas de bons films autour du football. Ce qui est faux : Coup de tête, A mort l’arbitre, The Firm, Hors Jeu, Joue-là comme Beckham, les Petits Princes et même A nous la victoire que nous réhabilitons dans notre ouvrage. Ce n’est pas le plus grand film de Huston mais il ne mérite pas les foudres qu’il a eu à affronter.

S’il faut que le sport soit « facile » à filmer et populaire, il y a parfois des exceptions comme pour Rasta Rocket, un des très rares films autour du bobsleigh mais au succès immense. Le sujet est passé par-dessus le reste car il ne faut pas oublier qu’un film est avant tout une histoire que l’on raconte.

Des variations sont-elles identifiables selon les pays ? Non seulement quant aux sports représentés mais aussi quant à la nature de la représentation et aux modalités de traitement cinématographique du sport ?


Certains sports sont très présents au cinéma parce que ce sont des sports qui sont très populaires aux Etats-Unis comme le baseball, le football américain et le basket. Mis à part le baseball que le Japon a mis en scène, les deux autres sont exclusivement présents dans des films produits par les Etats-Unis qui écrasent le monde en terme de production de films tous les ans. Les films sur le Sumo sont généralement japonais et ceux sur la pétanque, français. Rien de bien étonnant.

Évidemment chaque pays ayant une culture différente, une approche du cinéma qui lui est propre, cela se retrouve dans les films ayant pour sujet le sport. Les films produits par Hollywood ressemblent aux films hollywoodiens, le sujet n’est qu’un prétexte, parfois très bon, pour développer des fils narratifs déjà rebattus. La représentation du sport est également plus conventionnelle et se rapproche plus, dans sa fabrication, aux retransmissions télévisées où l’on privilégie le déroulement de l’action dans l’histoire.

Dans les films français, l’approche peut être radicalement différente et souvent, le réalisateur ne cherche pas à concurrencer la télévision. Cela ne passe pas forcément par filmer le fait de jeu mais les à-côtés, se concentrer sur un joueur comme dans Mercenaire où les scènes de rugby cadrent principalement le personnage principal qu’il ait ou n’ait pas la balle. La télévision ne peut pas se permettre ces points de vue qui se désintéressent du résultat pour s’attacher à l’humain. Quand Vianney Lebasque filme le football dans Les Petits Princes, il montre la beauté de son sport en chorégraphiant de très belle manière des actions. Mais il exprime également l’intensité et l’enjeu du match pour les personnages (par rapport à ce qui s’est passé et qui va se passer après) en faisant des gros plans, en suivant les personnages plutôt que le ballon.

Le sport est aussi un moyen d’évoquer une situation sociale et sociétale et cela est particulier à chaque pays. Panahi parle de la situation des femmes en montrant l’interdiction pour elles d’aller dans les stades en Iran (Hors-jeu) ; les films de basket évoquent très souvent les situations défavorisées des populations afro-américaines aux Etats-Unis (Colère noire, Cornbread, Earl and me, He got Game, Above the Rim). Du Ballon d’or à Comme un lion, le foot parle d’immigration en France…


Comment avez-vous procédé pour venir à bout de ce large corpus ? D’ailleurs votre ouvrage prétend-t-il à l’exhaustivité ?

Avec peu d’heures de sommeil ! Nous ne prétendons aucunement à l’exhaustivité dans le recensement des films même si au départ, tel était notre but. Nous avons dû attendre dix ans avant que ce projet ne voit le jour. Toutes les grandes maisons d’édition ont refusé le livre. Alors quand, nous nous sommes lancés dans ce projet grâce à un éditeur niçois, nous voulions tout mettre mais nous ne pensions pas que le corpus était si grand. Au fur et à mesure que nous plongions dans ces sports au cinéma, nous trouvions de nouveaux films. Les recherches ne furent pas faciles parce qu’il existe très peu d’ouvrages sur ce sujet. Notre livre est le seul au monde à être aussi complet. Aux Etats-Unis, certains livres existent mais s’intéressent principalement aux sports américains. Nous avons donc sollicité des amis à travers le monde pour avoir un panorama le plus complet, cherché sur internet au travers de mots-clés, sur des forums, en lisant les discussions autour d’un film de sport où d’autres titres pouvaient être cités…

Ce fut long et fastidieux mais passionnant car c’est ce désir d’exhaustivité qui nous a permis de découvrir un film chinois autour du foot, des petites perles autour du tennis ou de la course en montagne, des films de boxe du monde entier… Après, est venue l’heure du choix car il était évident que l’ensemble des films que nous avons répertoriés – plus de 2500, ne pourraient se retrouver dans le livre. En revanche, nous avons choisi d’être exhaustifs dans les sports, c’est-à-dire que tous les sports représentés au cinéma sont présents dans l’ouvrage ; puis, pour chaque sport, nous avons sélectionné les films les plus importants, pas forcément ceux que l’on préférait ou les meilleurs, mais les films qui représentaient au mieux le sport au cinéma dans le monde. C’est-à-dire qu’entre un énième film de boxe américain et un film indien sur une boxeuse – peut-être moins réussi, on préférait mettre en avant le second.

Cependant pour les sports moins filmés, la liste peut être exhaustive, comme pour le bobsleigh, le sumo, le triathlon ou le tennis de table.

Vous avez interviewé des réalisateurs et des sportifs, les premiers profitant du pouvoir d’attraction du sport, les seconds de celui du cinéma. Quelle rencontre vous a le plus marqué ?

Certainement Ken Loach. Je suis très sensible à ses films et à sa vision du sport qui est un acteur de notre société et doit continuer d’être accessible au plus grand nombre. Son film, parle de cela, de ces stades où les classes populaires sont petit à petit exclues face à l’augmentation des tarifs des places. Mais pas seulement, le sport et principalement le football pour Loach, est un lieu d’expression où chacun est à égalité, où les émotions sont partagées ensemble, où il faut faire groupe pour réussir.

Chez les sportifs, mettant de côté ceux qui m’ont fait rêver petit (Thierry Vigneron, Jacky Durand, Bernard Hinault, Muriel Hurtis…), ma rencontre avec Catherine Lacoste qui a évoqué pour moi son histoire incroyable dans le golf ou Billy Mills et sa médaille d’or au 10 000m de Tokyo et son combat pour les Indiens d’Amérique, ont été très riches.

Pour mon père, je pense que sa discussion avec Jean-Paul Belmondo ou Sir Jackie Stewart ont été des grands moments.

N’avez vous pas été surpris du nombre de sportifs passés devant la caméra ? Quelles étaient leurs motivations et celles des réalisateurs pour les voir jouer dans leur film ?

Finalement, il n’y a pas tant de grands sportifs qui ont fait de vraies carrières devant la caméra : Johnny Weissmuller, Eric Cantona, Jason Statham, Lino Ventura, Bud Spencer, O.J. Simpson…

Je ne saurais expliquer leurs motivations car je pense qu’elles sont propres à chacun mais il est vrai que quand on est sous la lumière en tant qu’athlète de haut niveau, on veut le rester et le cinéma peut être une solution pour satisfaire l’égo, d’autant que cette popularité peut intéresser des producteurs pour aider commercialement le film. C’est pour cela que l’on voit beaucoup de sportifs venir faire des caméos dans des films, des clins d’œil. Cela n’engage en rien.

Pour faire carrière, il faut ensuite faire oublier son passé de sportif car un réalisateur n’engage pas un sportif mais un acteur pour interpréter un personnage et cela n’est pas donné à tous les sportifs.

Je pense qu’il y a aussi cette volonté de performance, un terme utilisé dans le monde du sport et du cinéma, de mise en danger devant la caméra comme dans le stade, cette adrénaline que l’on peut retrouver au cinéma ou au théâtre, qui doit certainement attirer les grands sportifs mais aussi les sportifs moins doués.


Julien Camy et Gérard Camy, Sport & Cinéma, Nice, De Suffren, 2016.

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