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Entretien avec Yamina Benahmed Daho, autrice de "Poule D"

Comment est venue l’idée d’écrire Poule D ?


L’idée est venue quelque temps après mon inscription dans une équipe de football féminine du Val de Marne. Rapidement, j'ai tenu un carnet racontant nos matchs et nos entraînements. J'ai écrit quelques textes que je publiais sur un blog hébergé sur le site So Foot. Je savais que ces textes seraient la base d'un roman car les footballeuses étaient des personnages inédits en littérature. J'ai travaillé presque deux ans sur la forme, le récit d'apprentissage, la tonalité comique, l'écriture technique, les chapitres documentaires.

Que souhaitiez-vous mettre en avant ?


Je ne sais pas s’il y a une chose que je souhaitais mettre en avant, d’autant que le roman fonctionne sur des digressions qui consitent à faire se rejoindre plusieurs histoires de football (les jeux de ballon pendant l'enfance, le Dick Kerr Ladies créé en 14, l'OL féminin jouant la Champions' League). Ce qui peut-être me tenait le plus à cœur dans l’écriture de ce livre, c’était l’idée du récit d’apprentissage comique au travers d’un personnage féminin. Aborder l’apprentissage, non pas de manière sérieuse en valorisant une héroïne qui s'accomplirait à chaque réussite, mais en restant à ras de terre, en analysant les gestes, le jeu, les corps en mouvement et souvent en échec.

Contrairement au sport masculin, on évoque rarement la performance dans le football pratiqué par les femmes, comme si ce ne pouvait pas être un absolu à atteindre. Il serait intéressant de l’analyser politiquement. Pourquoi évacue-t-on la notion de performance sportive chez la femme ? J'aborde cette question dans le passage du discours de l'entraîneur qui cantonne son équipe à un football-plaisir, notion pour le moins ironique selon la narratrice. Pourquoi des femmes ne se mettraient-elles pas à jouer au football par simple et pure envie de gagner?


Peut-on le considérer comme un roman féministe ?


Cela ne me dérange pas que l’on considère ce roman comme féministe mais lorsque j’écris, cela n’est jamais mon moteur. Je m'étonne d'ailleurs de plus en plus en constatant que cette question est toujours posée aux auteures, pas aux auteurs, comme si on soupçonnait les femmes de ne pouvoir être uniquement dans la création, qu'il y avait quelque chose là-dessous et ce serait...le féminisme! Mes livres ne sont pas des outils d’émancipation, il me semble que des travailleurs sociaux ou des aides-soignantes sont plus importants que mes livres dans ce domaine. Ce qui m’intéresse, c’est la création. C'est par exemple, faire entrer des sportives en littérature. À ce titre, on peut dire que Poule D est un roman politique, parce qu'il questionne le corps physique et social, sa perception, ses performances, son langage et inévitablement, oui, la question du traitement du corps de la femme se pose et traverse le livre mais c'est une question littéraire et politique, pas exclusivement féministe, me semble-t-il.



Pouvez-vous nous rappeler l’origine de votre engagement dans l’équipe ?


Elle est mise en abîme dans le roman. J’appartiens à une génération où il n’y avait pas de club de football pour les filles. Elles ne pouvaient pas s’inscrire dans un club, pas même jouer dans une équipe mixte. Cela m’a manqué pendant l’enfance. Je pouvais jouer un petit peu avec mes copains ou mes frères, mais lorsque qu'on passait à la compétition, les filles en étaient exclues. Ce fut une déception, une injustice. Lorsque j’ai enseigné dans l’académie de Créteil pendant 5 ans, je vivais au Sud de Paris. J’ai cherché et trouvé un club amateur tout juste fondé, qui acceptait des joueuses de tous les âges, tous les niveaux. Ainsi est née cette équipe hybride, comique et profondément tendre. C’était une expérience sportive et sensible que je voulais absolument vivre.




Dans Poule D, peut-on parler d’un foot pour les femmes par les hommes ?


C’est une remarque juste. Je me suis inspiré de la réalité. Mon roman est une étroite fenêtre sur une réalité qui concerne le sport en général. Je suis heureuse que Corinne Diacre soit la sélectionneuse des Bleues car cela donne une vraie équipe féminine. Le sport pratiqué par les femmes se développe mais on a toujours des hommes aux postes les plus importants. C'est une répartition des postes qui ne concerne pas uniquement le rapport inégalitaire entre hommes et femmes, cela concerne aussi d'autres minorités. Il faut sur cette question voir les documentaires d'Olivier Dacourt. Et cela se passe dans le sport mais aussi dans les autres domaines (entreprises privées ou fonction publique), comme quoi, on y revient, la question n'est pas féministe, elle est politique.

Dans Poule D, les personnages masculins, Mario et Bernard, sont à la fois drôles et tristes. Ils naviguent à vue, sont des amateurs comme leurs joueuses mais, du seul fait qu'ils sont des hommes, tentent d'inspirer des discours pros, ce qui les rend assez maladroits. C'est une posture qu'on retrouve dans le sport amateur en général et qui est assez comique. Je m'en suis largement inspirée pour évoquer une pratique bancale, joyeuse, un foot du dimanche, où il faut se débrouiller avec deux plots et des chasubles trouées.


Que pensez-vous du slogan de Tatane « Pour un foot durable et joyeux » ?


Je suis d’accord avec ce slogan. La joie du football est aussi cette part d'enfance du jeu que l'on voudrait retrouver. En jouant au foot, en réalisant ce rêve de petite fille, je raconte dans Poule D une enfance retrouvée. Je crois qu'on va s'inscrire dans un club pour ça, qu'on rejoint ses copains et ses copines sur le terrain d'abord pour ça, pour la joie du jeu commun.



La littérature contemporaine propose peu de footballeuses. Comment expliquez-vous cela ?


J’ai appris lors du colloque "football et littérature" qui s'est tenu à l’Institut Lumière en mars dernier que Poule D est le premier roman sur le football pratiqué par les femmes. Ce n'est pas très étonnant car le sport résonne peu en littérature, le football encore moins et logiquement le football pratiqué par les femmes dix fois moins encore. Et cela, pour des raisons qu'on sait : le sport retirerait sa noblesse à la littérature, comme si la littérature n'était pas politique et le sport pas un outil politique. Ils sont en réalité de formidables échos. La littérature au service du sport, c'est une écriture qui suit le geste, porte les corps, raconte l'intime et le politique d'un corps. Faire entrer le sport en littérature, c'est y faire entrer des récits de vie inédits. Thomas Simonnet, mon éditeur et directeur de la collection l’Arbalète chez Gallimard, a soutenu Poule D parce qu'il a immédiatement saisi son intérêt littéraire, et je l'en remercie.


La Coupe du monde vient de se terminer. Quel bilan faites-vous de cet événement ?


Je suis d'abord déçue car j'aurais voulu que ma tribune de supportrice "Elles gagneront, et le passé avec elles" publié sur Diacritik le jour de France-Corée du Sud se réalise. Mais, c'est la loi du jeu.

Je n'ai ensuite pas vraiment d'avis sur l'élan que cela a provoqué, même si les médias ont beaucoup abordé les audiences excellentes de nombreux matchs. Comme je ne crois pas au ruissellement, cela bénéficiera davantage aux sponsors et aux chaînes qu'aux clubs qui voudraient ouvrir des sections mixtes ou féminines. Pour développer le sport et permettre sa pratique à toutes celles et ceux qui en sont exclus, il faudrait une véritable politique qui le finance. Hélas, le sport est un service qui, comme tous les services publics, se porte mal.

Il y a cependant une chose qu'a donné à voir cette Coupe du monde et dont je suis très très heureuse, ce sont ces femmes du monde entier sur un terrain de foot. Leurs physiques, leurs apparences, leurs corps sont si différents, si variés, si singuliers. Ils montrent enfin ce qu'est une femme dans la vraie vie, loin des clichés de genre et des représentations imposées en société. Ça, je dois dire que ce fut ma grande joie!


Yamina Benahmed Daho. Poule D, Gallimard, 2014.

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