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Entretien de Sylvain Letouzé auteur des "Histoires insolites du Tour de France"

Journaliste sportif en Normandie, Sylvain Letouzé nous présente son sixième livre,"Histoires insolites du Tour de France", rassemblant plus de 200 anecdotes sur le Tour et ses a-cotés !


Peux-tu nous présenter ton nouveau livre « histoires insolites du Tour de France » ?


C’est une autre histoire du Tour car je n’avais pas la prétention de faire les mêmes grands livres que des spécialistes du cyclisme, et je ne voulais pas traiter de la performance. Dans le livre, elle est passée au second plan, en revanche, sa présence permet d’aiguiller les lecteurs et lectrices, car on ne peut pas dissocier la performance de l’histoire du Tour. Je dirais que ce livre suit les 105 éditions du Tour sur le bord de la route et non sur la route.


Comment as-tu travaillé pour dénicher ces pépites ?


A l’occasion de la Coupe du monde 2018, j’avais collaboré au livre « Histoires insolites de la Coupe du monde » de Frédéric Veille chez City. J’ai donc appliqué la même méthode de travail et de structure de cette collection. J’ai lu une trentaine d’ouvrages et une quantité de coupures de journaux. J’adore les coupures de journaux car tu as tout à l’intérieur : l’aspect sportif et l’anecdote du chien qui traverse la route. Moi, j’ai cherché qui était le propriétaire du chien ! Il y a tellement d’anecdotes sur le Tour que j’ai fait un tri important en faisant le choix de garder deux anecdotes par an. Je n’ai pas privilégié une époque à une autre. J’ai également choisi les histoires en fonction de ma capacité à les réécrire qu’elles soient tristes ou tragiques.


Dans le préambule, tu nous dis « Plonger dans l’histoire du Tour de France, c’est d’abord plonger dans l’histoire de France ».


A chaque époque, on sent l’évolution de la société dans la manière de raconter, que ce soit à l’écrit à l’oral ou via l’image. Quant on voit ou lit un reportage sur le Tour, on reconnait rapidement l’époque. C’est aussi cela qui fait la légende du Tour, l’un des rares événements sportifs avec les JO et la Coupe du monde de foot, à avoir autant d’impact sur la société.


D’ailleurs, on voit que l’affaire Deyfus a eu un impact sur la création du tour.


Oui en 1900, la France est plongée dans cette affaire et elle est coupée en deux : soit on est Dreyfusard soit anti-Dreyfusard ! le 16 octobre de la même année, Pierre Giffard, du journal Le Vélo, un journal très important à l’époque, prend le plume en faveur du capitaine Dreyfus. Malheureusement pour lui, l’actionnaire majoritaire du journal, le baron Jules-Albert de Dion est antidreyfusard ! La sanction ne se fait par attendre puisque l’actionnaire retire son argent dès la semaine suivante pour créer un nouveau journal, l’Auto. Il contacte Henri Desgrange, champion de France de tricycle directeur de la revue Paris-Vélo, pour être le rédacteur en chef. Une longue procédure judiciaire commence car l’Auto souhaiterait prendre le nom d’Auto-Vélo. Après deux ans de procès, la justice indique que le journal gardera son nom. C’est un préjudice pour le nouveau journal car le vélo est déjà extrêmement populaire notamment via les courses comme Paris-Brest-Paris. Le journal cherche une nouvelle idée pour gagner des lecteurs. C’est à ce moment que Géo Lefèvre, journaliste responsable de la rubrique cyclisme, propose l’idée d’une course qui ferait le tour complet de la France ! Le 1er juillet 1903, c’est le départ du premier Tour.


C’est aussi une histoire des médias.


Je suis né à 500 mètres du café de la gare, là ou Albert Londres a écrit les Forçats de la route en 1924. Je voyais ce café depuis mon lycée. Je suis devenu journaliste sportif, cette image est très forte pour moi. C’est marquant. C’est un symbole du média écrit. Au-delà de la création par le journal l’Auto, le Tour a été un incroyable laboratoire pour la radio et la télévision. C’est plus simple de faire de l’expérimentation sur le Tour que sur un discours de général de Gaule !Ce n’est pas très grave d’avoir un pépin technique sur une étape car dès le lendemain, les téléspectateurs reviendront. Le Tour a toujours été un vaste champs d’expérimentation pour les médias. Mais Il y a aussi eu le revers de la médaille avec une folie médiatique, notamment dans les années 1990-2000, avant même l’arrivée des réseaux sociaux.


Quelle est l’histoire que tu préfères ?


Celle qui symbolise l’histoire des hommes avant l’histoire sportive, c’est celle de Gino Bartali. En 2010, sœur Eleonora, une religieuse de 96 ans du couvent de San Quirico en Italie, révèle dans un témoignage que le coureur à sauvé des juifs pendant la deuxième Guerre. Personne, y compris ses enfants, ne connaissait cette histoire, et sans cette religieuse, personne n’aurait eu vent de ce geste héroïque. Il faisait jusqu’à 380 kilomètres entre Florence et Assise, prétextant des entrainements, pour aller livrer des papiers de juifs à falsifier aux franciscains et aux clarisses. Les documents étaient cachés dans les tubes, la selle et le guidon du vélo. Bartali était « le bras-roulant » du cardinal Dalla Costa de Florence. Il a sauvé de nombreux juifs grâce aux faux papiers. C’est exceptionnel.


On fête les 100 ans du maillot jaune, peux-tu nous parler de sa création ?


Le Tour s’est arrêté pendant la guerre, des coureurs et vainqueurs du Tour sont morts comme François Faber, Octave Lapize et Lucien Georges Mazan. Il faut donc trouver une idée pour le relancer. Avant-guerre, sous l’influence du directeur sportif Alphonse Baugé, Henri Desgrange avait déjà émis cette idée de distinguer le leader du classement par un maillot différent. Pour la couleur jaune, Baugé aurait soumis l’idée de reprendre la couleur des soigneurs du bord de route lorsqu’il dirigeait l’équipe Peugeot. Le 19 juillet 1919, Eugène Christophe, coureur de « La Sportive », l’un des héros du Tour pour sa fourche cassée, sera le premier à le porter. La création de ce maillot distinctif qui récompense le plus fort collera parfaitement avec le besoin de héros de l’époque. Le public l’identifie très vite au milieu de nombreux coureurs.


D’ailleurs, il y a quelques anecdotes amusantes avec ce maillot notamment en 1929 puisque trois coureurs le portent lors de l’étape Bordeaux-Bayonne !


Cela fait partie des incongruités du Tour. Au départ de l’étape Bordeaux-Bayonne, les français Victor Fontan et André Leducq et le luxembourgeois Nicolas Frantz, se retrouvent à porter le maillot jaune car la veille ils sont arrivés dans le même dixième de secondes ! Henri Desgrande n’avait pas prévu de cas particulier pour cette situation. Cela se reproduira en 1931 mais avec deux coureurs. Suite à cela, Henri Desgrange décide de passer au centième de seconde pour départager les coureurs en cas d’égalité !


Il y a même eu un maillot argent !


Grâce à la presse régionale, ici Ouest éclair, j’ai découvert cette anecdote. En 1930, en plus du maillot jaune, on a eu le fameux maillot argent ! Les frères Sools, propriétaire de la marque de casquettes Grand Sport, avait décidé de créer deux prix. L’un récompensant le maillot or (maillot jaune) par la somme de 1000 francs, l’autre pour le maillot argent, avec une récompense de 500 francs. En réalité, il était jaune et noir, et symbolisait le leader des « touristes-routiers », c’est-à-dire les indépendants, ceux qui étaient sans équipe. La folie de ce maillot est qu’il n’aura été porté qu’une année !


Comme lors du Giro, une femme s’est présentée pour participer au Tour de France. Peux-tu nous parler de Marie Marvingt, cette femme extraordinaire ?


En faisant des recherches, j'ai découvert qu'une femme avait terminé la première étape du Tour en 1908, dix minutes après le peloton, car elle ne fut pas autorisée à courir avec les hommes. En creusant un peu, j’ai découvert qu’elle était l’une des plus grands aventurières françaises. Elle a un CV hallucinant. Elle a battu 17 records dans le monde sportif, elle est la seule femme à faire les 4488 km du tour de 1908. Sur 111 coureurs au départ, elle fait partie des 36 rescapés à l’arrivée. C’est une pionnière, l’une des premières femmes à montrer que le sport n’est pas qu’une affaire d’homme ! Elle n’apparait dans aucun classement car l’organisation de l’époque ne voulait pas en entendre parler, donc si Christian Prudhomme pouvait la réhabiliter, ça serait parfait pour l’histoire du sport féminin. Si on veut élargir le sujet, il aura fallu attendre 1912 pour voir la première journaliste couvrir une arrivée de Tour de France à Paris, pas le Tour complet, juste l’arrivée, et c’est Colette. On ne parle même pas du Tour de France féminin qui a été considéré comme un lever de rideau de celui des hommes… J’espère que cela va changer.


Pour terminer, que penses-tu du Tour 2019 ?


Dans ce Tour 2019, j’ai déjà noté quelques anecdotes pour un Tome 2 ! Au-delà de ça, j’ai la sensation que l’on va enfin arrêter de parler de la dernière victoire de Bernard Hinault en 1985 ! Quelque chose s’est passée. Même si un français ne gagne pas cette année, j’ai l’impression que le fait d’y avoir cru va redonner de l’envie et de l’espoir au public. Cette parenthèse me fait penser à la dernière coupe du monde de foot. La puissance de ces épreuves rejaillit sur le moral des gens, elles sont capables de créer une parenthèse sociale. Plus la possibilité d’un français en maillot jaune à Paris va vivre dans ce Tour, plus la parenthèse va se prolonger.


Sylvain Letouzé. Histoires insolites du Tour de France, City, 2019.



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