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Entretien avec David Lortholary : " Le joueur avec lequel le gardien a le plus de points commun

Tout le monde en convient : dans le sport en général, et au football en particulier, le gardien de but est un cas à part. Faut-il être un peu spécial pour finir dans les cages ? Avec A quoi jouent les gardiens de but ?, David Lortholary, correspondant en Allemagne pour RMC Sport, propose un travail analytique pour tenter de comprendre ce poste et ses spécificités, et lever le voile sur un rôle éminemment paradoxal.


Pourquoi avez-vous choisi de consacrer ce livre au poste de gardien de but ?


C'est une convergence d'intérêt pour ce poste. Mon éditeur, Marabout, souhaitait qu'on le fasse découvrir dans un livre dédié, indépendamment des joueurs de champ, en y accordant des moyens importants : trois journalistes expérimentés. Moi-même, j'y accordais une attention particulière depuis le début de mon intérêt pour ce sport, en 1986-1988, grâce à trois monuments : Joël Bats, Rinat Dassaev et Harald Schumacher.


Comment avez-vous travaillé pour répondre à plus de 100 questions ?


Ça se passe en quatre temps. D'abord, défricher tous les aspects concernés par le poste. Dès les premières réunions éditoriales, nous avons eu confirmation éblouissante, voire intimidante, de l'immensité du « terrain de jeu » d'un tel poste : histoire, technique, psychologie, rapport à l'équipe... Ensuite, thématiser l'ouvrage pour que cela fonctionne par chapitre. Par exemple, tout ce qui concerne un match. Dans un troisième temps, interroger les acteurs du poste sur toutes ces thématiques. Et enfin, rédiger l'ensemble. C'est comme un marathon en 100 étapes, avec ravitaillement à chaque fois pour remettre le logiciel à jour, ne pas se répéter tout en faisant écho au reste du livre.


A qui se destine votre livre ?


À toutes les personnes qui ont une curiosité quelconque pour le football, que ce soient les « simples » supporters, qui y apprendront énormément de choses et combattront leurs idées reçues, ou les techniciens spécialisés, pour susciter débats et réflexion sur un poste en perpétuelle évolution.


Quelles sont les qualités requises pour être un bon gardien ?


C'est l'une des réponses apportées par le livre ! Un exemple : aujourd'hui, les gardiens des clubs les plus riches font tous entre 1,90m et 2,00m. Pourtant, il existe des gardiens légendaires d'1,75m. Donc... la réponse se cache dans d'autres aspects : envergure, explosivité, timing, capacité à diriger une défense, charisme...


Vous relevez plusieurs paradoxes sur ce poste. Quels sont-ils ?


Le plus éclatant est le suivant, et la Ballon d'or Ada Hegerberg le souligne à sa façon dans son avant-propos : le joueur avec lequel le gardien a le plus de points communs, c'est sans conteste... l'avant-centre ! Ils sont tous deux en bout de chaîne, attirent les regards en marquant ou en empêchant un but, ont des traits de caractère commun comme une forme d'individualisme et d'isolement, doivent supporter le poids des matches dans le regard des supporters, des médias, de leurs coéquipiers aussi, et subissent des reproches plus fréquents.



Selon vous, Neuer a complétement révolutionné le poste de gardien. Pourquoi ?


Une bonne partie de la réponse se trouve, en fait, au cœur de l'école de formation des gardiens de Schalke 04. À Gelsenkirchen, avant un certain âge de l'adolescence, vous ne faites pas plus de deux séances spécifiques par semaine. Le reste du temps, c'est dans le champ, à exercer votre jeu au pied. Le résultat, quand le joueur est un génie comme Neuer, on le retrouve dans le 8e de finale de Coupe du monde Allemagne-Algérie, qui restera très longtemps comme le match de référence des gardiens de but modernes. C'est plus qu'un dépassement de fonction, c'est un doublement de fonction : gardien et libéro.


D’autres gardiens ont-ils révolutionné le poste au court de l’histoire du foot ?


Certaines histoires sont incontournables et surtout, au sens littéral, extraordinaires : Il n'y a qu'à se pencher sur la vie de Yachine... mais tous les continents ou presque ont produit des « monstres ». L'Afrique, à ce titre, est passionnante.


On remarque que les formateurs semblent très attentifs à la recherche scientifique notamment sur l’attention, la visualisation, la réaction.


Tandis que le XXe siècle était celui de la performance empirique, telle l'épopée d'un aventurier dans la jungle, le XXIe cherche l'amélioration marginale dans des méthodes effectivement plus scientifiques : nutrition, entraînement ciblé... mais ça touche toutes les disciplines sportives.


Pour terminer, quel est votre gardien favori ?


La mise en perspective, le dévoilement de l'histoire du poste a fait apparaître des branches, comme dans l'évolution de l'espèce humaine, et révélé quelques surprises. Michael Rensing, par exemple, programmé pour être le successeur d'Oliver Kahn au FC Bayern, n'a pas réussi à se maintenir au top niveau européen. Pourquoi ? C'est un excellent gardien dans la lignée de Kahn, mais il est arrivé « trop tard ». Kahn est le dernier, et l'évolution ultime, du gardien « à l'ancienne ». De ce point de vue, son titre de meilleur joueur du Mondial 2002 était plus que mérité : une évidence. Après lui, Lehmann, van der Sar et Neuer ont tout ringardisé : il ne suffit plus de réaliser des prouesses sur sa ligne. Cependant, je garde une tendresse appuyée pour les « grands perdants » comme Kahn ou Dassaev. D'autres occupent une place à part, pour des raisons extrêmement variées, qui révèlent l'infinie richesse de ce poste : Ettori, Zenga, Schmeichel... et bien sûr l'immense Jo Bell, invité de marque de ce livre, devant lequel je m'incline volontiers !


David Lortholary. A quoi jouent les gardiens de but ?. Marabout, 2019.


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