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Entretien avec Julie Gaucher, auteure de l'anthologie "De la femme de sport à la sportive&q

Julie Gaucher est docteure en littérature française, agrégée de lettres modernes et chercheuse en histoire du sport à l’université Lyon 1 (Laboratoire sur les Vulnérabilités et l’Innovation dans le Sport). Elle a déjà publié deux essais au croisement entre littérature sportive et histoire du sport : L’Écriture de la sportive. Identité du personnage littéraire chez Paul Morand et Henry de Montherlant (L’Harmattan, 2004) et Ballon rond et héros modernes. Quand la littérature s’intéresse à la masculinité des terrains de football (Peter Lang, 2016). Elle a rejoint l'équipe d' Ecrire le sport dès 2016 en participant au livre Décalages, périple à travers le foot, puis en participant activement à l’animation de ce blog. Nous la retrouvons à l'occasion de la publication de son anthologie "De la femme de sport à la sportive : une anthologie" , qui résulte d'un travail de plus de 15 ans !




Comment t’es venue l’idée de ce nouveau livre ?


J’ai soutenu une thèse de doctorat en 2008 qui s’intéressait à la littérature à thématique sportive sur la période 1920-1955. Je n’ai plus le chiffre exact, mais j’ai alors lu environ 300 romans à thématique sportive, un corpus numériquement important étant nécessaire pour pouvoir tirer des conclusions significatives… J’avais l’impression de posséder un trésor. Il s’agissait de textes, parfois trouvés par hasard, dans des brocantes ou chez des bouquinistes ; des ouvrages consultés précautionneusement dans la salle des livres rares de la BNF... Mon directeur de thèse, Pierre Charreton, est le premier en France à avoir consacré une thèse à la « littérature sportive ». Véritable puits de connaissances sur le sujet, il me conseillait quelques titres… Ce moment de constitution et de découverte de mon corpus a été particulièrement excitant ! Le jour de ma soutenance, un des membres du jury m’a invitée à faire quelque chose de tout cela… Mais quoi ? Il m’a fallu dix ans pour trouver une réponse. Cette réponse, c’est cette anthologie. Autant dire qu’elle n’a pas été pensée, ni même rédigée, dans la précipitation…


Comment as-tu travaillé pour trouver puis sélectionner les textes ?


Je suis donc partie des textes (essentiellement des fictions) que j’avais étudiés pendant ma thèse puis, par la suite, dans ma carrière de chercheuse. Historienne du sport, je me suis en outre penchée avec intérêt sur les discours des théoriciens de l’éducation physique et du sport, des entraîneurs, des médecins… J’ai rapidement compris que la mise en regard de ces différents types de textes permettait de mieux comprendre l’histoire du sport au féminin. En conviant ensemble ces textes qui avaient accompagné l’histoire des sportives, j’ai cherché à rendre la dimension polyphonique d’une époque, à faire revivre l’univers discursif – au sens large – qui a accompagné les sportives dans leur histoire. Tous les textes relatifs aux sportives ne sont bien sûr pas présents dans l’anthologie : cette dernière est faite de choix, que j’ai voulu significatifs au regard de ma connaissance du corpus.


Tu as choisi une construction chronologique. Est-ce pour mettre en parallèle ou contradiction les discours théoriques avec les discours littéraires ?



C’est surtout pour mettre en évidence l’évolution des discours et rendre lisibles les ruptures historiques relatives à la représentation des sportives : les listes d’interdiction ou de limitation de la pratique, les préjugés et les stéréotypes évoluent ; les combats d’hier ne sont pas non plus ceux d’aujourd'hui.


Justement, peux-tu nous décrire les grandes périodes de l’évolution du sport féminin et de ses liens avec la littérature ?


Les premières pratiquantes s’adonnaient au sport dans une logique de distinction sociale et de loisir : ‘femmes de sport’ avant que d’être sportives, elles appartenaient à la noblesse et pratiquaient l’équitation, le badminton, le tennis… Leur pratique s’inscrivait en dehors de toute logique compétitive. Le baron de Vaux, notamment, leur consacre de très intéressants portraits.

Au début du XXe siècle, avec la naissance des premiers clubs et des premières fédérations sportives féminines, les sportives se sont organisées. Les années 20 ont été particulièrement importantes en matière de développement du sport au féminin. Des militantes ont œuvré pour sa reconnaissance : je pense notamment à Alice Milliat qui a tenu tête à Pierre de Coubertin pour que les sportives puissent concourir lors des Jeux olympiques. Face à son refus obstiné, elle a organisé des Olympiades féminines, qui se sont déroulées jusqu’à ce que les portes des stades olympiques soient ouvertes aux sportives.

L’évolution s’est aussi faite au niveau des pratiques : pendant longtemps, les femmes n’ont pas pu concourir en saut à la perche, par exemple. Quant aux boxeuses, elles n’ont été admises aux épreuves olympiques que très récemment (2012)… Aujourd’hui encore, les disparités sont importantes entre sportifs et sportives quant à la médiatisation, aux salaires… Dans le monde du sport, les femmes sont encore peu nombreuses dans les postes d’encadrantes.




Comment la sportive est-elle représentée en littérature ?


Dans la première moitié du XXe siècle, deux grandes tendances ont cours. Pour certains romanciers, la sportive est louée tant qu’elle reste dans les rôles que lui attribue traditionnellement la société : ceux de mère et d’épouse. Elle peut donc s’adonner à la pratique dans une logique distractive, préférant l’éducation physique aux sports violents qui lui sont interdits. Lorsqu’elle est épouse et mère, d’autres tâches l’appellent et elle doit quitter les stades ou ne les fréquenter que de façon occasionnelle. Dans cette perspective, la femme ne peut prétendre à la compétition que du temps de sa jeunesse, quand elle est ‘fille’ plutôt que ‘femme’.

Pour d’autres, la sportive est une figure de modernité et d’émancipation dont on se plait à croquer, surpris, amusé, parfois enthousiaste, le nouveau rapport au corps. Elle coïncide alors avec la garçonne, sans se confondre toutefois avec elle. Pour Paul Morand, notamment, l’enjeu de l’écriture est de saisir « une heure, des plus étonnantes de l’histoire du monde » : « il fallait faire vite, au risque de voir disparaître le spectacle ; spectacle sans précédent : des frontières nouvelles, des pays hier inconnus, la tour de Babel, les races confondues, des femmes libérées […] ». A cette longue liste, s’ajoutent bien sûr les sportives.

Depuis les années 80, cette vision dichotomique n’est plus prédominante. La sportive est envisagée comme tout autre personnage de fiction, dans des narrations où l’action et la mise en jeu du corps dominent.


C’est aussi l’occasion de mettre en valeur les auteures ?


Les autrices ? Elles sont peu nombreuses, romancières, essayistes ou poétesses, à s’être intéressées au sport, tout au moins dans la première moitié du XXe siècle. Et ce n’est pas faute d’avoir cherché ! Les romancières qui s’intéressent au sport sont rares dans le premier XXe siècle, alors même que le sport devient un sujet à la mode chez de nombreux écrivains. La recension est bien mince : Marthe Bertheaume, Berthe Bernage, Marie-Thérèse Eyquem ou Michèle Savary. Les plumes ne sont pas toujours habiles… et la conception du sport féminin parfois très traditionnaliste ! C’est surtout du côté de l’autobiographie ou du récit de vie que la prise de parole est plus audacieuse. Les sportives, en prenant la plume, livrent leur tentative, leur rêve, leur bonheur… certaines ont sans doute servi d’exemple à leurs lectrices.

Depuis les années 80, et plus encore depuis les années 2000, le sport occupe à nouveau une place de choix en littérature, et ce, après avoir été boudé par les intellectuels dans les années 50-70. Les choses ont changé et les romancières s’intéressent au corps en effort, au sport. Certaines sont des pratiquantes, d’autres d’anciennes sportives, je pense notamment à Brigitte Giraud, Lola Lafon, Yamina Benahmed Daho ou Cécile Coulon… Elles investissent le thème du sport comme elles le feraient de n’importe quel sujet de société.


Sur les 116 textes de l’anthologie, quel est ton texte préféré et pourquoi ?


Je n’ai pas véritablement de texte préféré… Certains me tiennent plus à cœur que d’autres, parce qu’ils ont particulièrement marqué l’histoire des sportives, d’autres parce qu’ils sont plus intimistes et révèlent la passion, l’enthousiasme et les joies sportives des pionnières. Je pense notamment aux textes de Marthe Ourlié, Maryse Bastié ou Colette Duval. Finalement, je pense être touchée par ces témoignages, écrits à la première personne, qui vibrent encore de l’énergie de leurs autrices. Je suis aussi reconnaissante à ces actrices de l’histoire d’avoir forcé des portes que l’on aurait préféré garder fermées pour les femmes… D’une certaine façon, leurs luttes ou simplement leur exemple, permettent aux sportives d’aujourd'hui d’exister…


Celui que tu détestes ?


Plus encore, il n’y a pas de textes que je déteste… Si certains laissent toute la misogynie de leur auteur s’exprimer sans filtre, je sais aussi que ces textes ne peuvent pas être compris sans être replacés dans leur historicité. Montherlant est un auteur sur lequel je me suis beaucoup attardée : il a livré, dans les premiers, les plus belles descriptions de personnages de sportives, attentif à la musculature et soucieux de l’utilisation du vocabulaire anatomique afin de décrire, de façon fort moderne, des corps de femmes en effort… Pour autant, il est aussi l’auteur de la terrible série des Jeunes filles, dont les titres de certains volumes annoncent la couleur : Pitié pour les femmes, Les Lépreuses…

Quoi qu’il en soit, si le chercheur connaît un premier mouvement d’humeur, confronté à certains textes, sa posture même lui permet de prendre de la distance pour envisager son objet en « objet de recherche » (auquel cas, l’affect n’a pas véritablement sa place).


Tu montres aussi que les sportives contemporaines prennent la plume !


Il était pour moi évident de laisser le dernier mot aux sportives… Qui de mieux placé pour évoquer leur expérience, leur conquête, leurs victoires, leurs efforts ?




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