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Jeu Blanc de Richard Wagamese


Le plus beau roman que j’ai lu. Voilà, brute, la pensée qui traversa mon esprit après avoir lu le dernier mot du roman Jeu Blanc. Son auteur, le canadien Richard Wagamese, nous entraîne dans une histoire surprenante, naviguant entre conte du Grand Nord, drame social, récit intimiste et littérature sportive.



Jeu Blanc suit le parcours de Saul Indian Horse, jeune ojibwé dont l’odyssée personnelle va le conduire des grandes forêts canadiennes aux patinoires de hockey, un placement dans l’un des terribles pensionnats pour autochtones devenant le lien entre ces deux réalités fort éloignées. Et voilà que le jeune amérindien déraciné devient un prodige de ce Jeu Blanc, sport national d’un Canada des années 60-70 profondément raciste.


Le récit de Richard Wagamese tire sa source de la propre existence de l’auteur. Il fit partie de ces 150 000 amérindiens canadiens qui ont été placés de force dans des pensionnats, dirigés essentiellement par des institutions religieuses avec l’accord de l’État, et où la très grande majorité ont vécu des conditions de vie épouvantables : maltraitance, travail des enfants, piètre qualité de l’enseignement, interdiction de parler sa langue maternelle, malnutrition et souvent abus sexuels. L’objectif d’une telle cruauté : « tuer l’indien dans l’enfant ».


On est donc saisi par les changements brutaux que nous impose avec délectation la lecture de Jeu Blanc. Le roman débute comme un conte amérindien et un récit quasi-ethnologique. La description du monde ojibwé, matiné de surnaturel, nous transporte dans les forêts du Grand Nord. Puis ce voyage se termine dans un pensionnat, où une autre réalité, plus cruelle encore que la dureté de la vie forestière, nous emporte dans de nouvelles émotions. Comme le héros. Et puis, en sauveur, arrive le hockey sur glace. Il va offrir une échappatoire à notre jeune héros dont le don pour ce jeu blanc va le libérer d’une horreur pour une autre. Il va alors se confronter à nouveau au racisme que subissent les « autochtones », lui qui ose sublimer ce Jeu des Blancs.


Le hockey y est décrit avec grâce et magie, comme le talent de Saul Indian Horse. Son coup de patin, sa vision du jeu, son maniement de la crosse n’ont d’égal que les plus beaux ballets d’Opéra, les grandioses symphonies ou les tableaux de maître. Saul ne patine pas. Il danse. Et son art va se confronter aux équipes blanches mais aussi à la pratique amérindienne du hockey. Richard Wagamese nous décrit deux hockeys dans son roman. Celui des Blancs, dans des stades couverts et équipés, au sein de ligues sportives ou des tournois qui rythment la vie du sport national canadien, avec la NHL en fond. Et celui des amérindiens, fait de roadtrips, de patinoires à l’air libre, de logements chez l’habitant, d’une convivialité sans limite. Deux identités culturelles sportives qui coexistent sans se rencontrer jusqu’à l’arrivée du héros.


Jeu Blanc est un récit sombre et solaire, dramatique et énergique, bousculant avec frénésie nos émotions, prenant plaisir à nous voir en équilibre entre espoir et désespoir. L’écriture de Wagamese, à l’image de son histoire, est un paradoxe. D’une douceur brutale, elle assène des coups durs sans nous mettre KO tout en nous cajolant, en nous inspirant. Elle nous garde en vie pour avancer dans le récit et nous donner l’envie de passer à la page suivante. On avale ainsi avec simplicité et gourmandise cette aventure gargantuesque où les émotions suscitées sont aussi nombreuses que les univers visités.


Que l’on aime ou non le hockey, que l’on soit passionné de littérature sportive ou de littérature tout court, Jeu Blanc est un immanquable.

Richard Wagamese. Jeu Blanc. Editions 10/18, 2012.

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