Sport & Cinéma : Darroussin, le visionnaire

En ce temps de confinement, beaucoup de sportifs essayent de trouver des solutions pour continuer à entretenir leur forme. Si les coureurs ont la permission de jogger, les cyclistes doivent faire avec cette impossibilité de sortir et se tournent, pour beaucoup d’entre eux, vers le home trainer, mais version sportive. Ce n’est plus le vélo d’appartement de mémé. Maintenant, il existe des appareils connectés qui grâce à une application et via un écran que l’on pose face à soi pendant l’effort, donne l’impression de rouler sur des chemins existants ou imaginaires. On peut même pédaler avec des amis en se connectant simultanément sur la même application. Alors, des pelotons virtuels se forment sans sortir de chez soi. On pourrait d’ailleurs imaginer des amateurs courir de chez eux des courses avec les professionnels. Mais… cette idée n’est pas nouvelle ! Un film s’en était déjà emparé.

Dans Le Dernier Tour de Thierry Chabert (1994), Baptiste est un coureur cycliste amateur un peu spécial. À trente-sept ans, il va courir son dernier Tour mais pas de la façon que l’on imaginerait. Tous les étés, il court le Tour de France sur son home-trainer dans son salon et en même temps que les professionnels. Pas d’appareils connectés ni d’applications en ce temps-là mais un simple vélo d’appartement posé dans son salon, plutôt à l’ancienne et une bonne vieille télévision à tube posée devant lui. Il vit cette épreuve tels les véritables professionnels dont il suit la course sur l’écran, et se considère d’ailleurs comme un coureur à part entière du Tour. Ainsi, son médecin qui lui fait passer la visite médicale d’avant-Tour et qui le suit tout au long des trois semaines lui explique qu’il est un des plus « vieux » du peloton et qu’il doit faire attention. Ce sera ainsi son dernier Tour et peu importe si cela « rigole au café ». Son masseur qui vient lui prodiguer des soins tous les jours, depuis son premier Tour, le conseille et commente avec lui son classement général. Car oui, Baptiste calcule son classement en s’obligeant à faire exactement les mêmes distances que les étapes réelles, en accentuant la résistance de son appareil si la route s’élève.

Ce téléfilm part d’une idée un peu folle, unique, et partage avec beaucoup de modestie et de tendresse une passion pour le vélo et pour le Tour de France. Baptiste est interprété par un Jean-Pierre Darroussin formidable dans ce personnage d’anti-héros lunaire et en même temps très terre à terre car il faut être très organisé pour réaliser ce qu’il fait. Ainsi, il nous pose la question de la folie. Qui est fou ? Lui ou les autres ? Baptiste vit son rêve par procuration et nous aussi avec lui.

Aujourd’hui, le film prend un autre ton. Il résonne un peu plus fort. Il est un coureur immobile comme beaucoup de coureurs aujourd’hui. Un paradoxe qui sied bien à cette période que nous vivons, où personne n’a jamais été autant connecté sans pour autant quitter son chez soi. On est donc tous, un peu, des Jean-Pierre Darroussin.

Le Dernier tour de Thierry Chabert (1994, France, Coul., 96’)

Avec Jean-Pierre Darroussin, Henri Virlojeux, Laure Duthilleul