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Nous avons vu "Le roi mélancolique", le documentaire sur René Vietto. Entretien avec son r

A « Ecrire le sport », nous faisons partie des quelques chanceux à avoir vu le documentaire de Julien Camy sur le grand René Vietto : Le Roi mélancolique, la légende de René Vietto.

Nous avons adoré et c’est pour cela que nous sommes partis à la rencontre du réalisateur…


Avant toute chose, Julien, peux-tu nous dire en quelques mots qui est René Vietto ?


René Vietto est une figure malheureuse de l’histoire du cyclisme. Un héros qui éclaira la France des années 1930 par ses larmes, un double sacrifice et des envolées chevaleresques dans les montagnes. Vietto est né en 1914 à Rocheville, un quartier du Cannet, petit village jouxtant Cannes. Mais c’est en 1931 qu’on voit apparaître son nom pour la première fois dans un journal, Le Petit Niçois, lorsqu’il remporte la course azuréenne « La Boucle de Sospel ». Cette même année, il gagne Nice-Puget-Théniers-Nice. Il enchainera par plusieurs victoires dans des courses de côtes (Mont Faron, Mont Agel) dans les années suivantes jusqu’en 1934 où il gagne le Grand Prix Wolber qui lui ouvre les portes de l’équipe de France pour le Tour de France. Il s’y lance en voulant le gagner. Il aurait pu d’ailleurs s’il n’avait pas perdu plus d’une heure dans une étape dans l’Est de la France suite à des crevaisons à répétition. Dès que les montagnes arrivent, il veut rattraper le temps perdu et il gagne trois étapes dans les Alpes dont celle arrivant à Cannes, sa ville. Cela crée une véritable émeute sur place. Il a tout juste 20 ans et il devient le grimpeur esthète, majestueux que la France attendait. Les commentateurs ne cessent de lui tresser des éloges. On le compare à Alfredo Binda, la star italienne que l’on payait pour qu’il ne participe pas aux courses. Mais c’est dans les Pyrénées qu’il va marquer l’histoire. Par deux fois, dans deux étapes de suite, il se sacrifie en donnant d’abord sa roue puis son vélo à Antonin Magne, leader et maillot jaune pour qu’il puisse défendre sa tunique. Une photo finira de sceller son histoire d’amour avec les Français. On le voit en pleurs assis sur un muret, son vélo amputé d’une roue. Ce jeune garçon, tout juste sorti de l’enfance, émeut la France entière qui l’élève au rang de vainqueur moral du Tour !

©GMFMP

Sa vie semble poursuivie par la tragédie…


Oui, cette relation tragique avec le Tour et le cyclisme le poursuivra tout au long de sa carrière puisqu’en 1939, il perd le Tour à quelques étapes de la fin, un peu à la surprise générale alors qu’il a le maillot jaune sur les épaules. Il sombre dans les Alpes dans la montée de l’Izoard. Mais il reste le chouchou des Français et au sortir de la guerre, c’est lui que la France veut voir gagner. On veut qu’enfin il gagne le Tour de France que ses larmes de 1934 méritent. Mais encore une fois, lors de l’antépénultième étape, il sombre et cède à nouveau alors qu’il a le maillot jaune. C’est fini. Il est trop vieux, une nouvelle génération arrive (Fausto Coppi, Louison Bobet). Il savait que c’était sa dernière chance.

Il restera à jamais une figure tragique du Tour et du cyclisme dont la période de guerre, de 1939 à 1945, amputa de ses plus belles années. L’acteur Charles Gérard, que j’ai interviewé, et qui fut journaliste sportif, me disait d’ailleurs que sans la guerre « il aurait eu une carrière énorme ».


En quoi est-il une figure héroïque qui a marqué l’histoire du cyclisme ?


Vietto était un héros grec qui cherchait désespérer le chemin de son existence. Un vrai héros car il avait la conscience que le style et le panache importaient autant que la victoire. Il éclaboussait de sa classe tous les observateurs et autres cyclistes par sa manière de pédaler. Il cherchait à avoir le style parfait. Il ne bougeait presque pas les épaules, tirant des braquets énormes, cherchant constamment à innover et à améliorer sa machine, perfectionner son style.

C’était le héros de Louison Bobet ou de Jean-Paul Belmondo. Il inspirait la jeune génération par cette figure monumentale qu’il représentait, par sa volonté de se livrer entièrement dans l’effort, de ne rien calculer.

Quand il est décédé en 1988, le journaliste Pierre Chany écrit un article définitif sur lui titrant : « Il montait comme personne et parlait comme Raimu ». Par cette formule, il résumait qui était Vietto. Il avait des formules incroyables : « Un Vietto n’abandonne pas, il se retire » « Dormir c’est mourir et manger c’est s’empoisonner » ; « J’aurai voulu être peintre, plus que coureur »… Cette dernière, m’amène à penser que Vietto est une figure artistique du vélo dans le sens où il rejoint l’artiste qui a, au fond de lui, ce besoin viscéral de créer une œuvre, même au péril de sa vie. Vietto, lui, avait ce besoin viscéral de rouler jusqu’à épuisement… jusqu’à en mourir. D’ailleurs, Vietto aurait aimé mourir à vélo comme son ami cycliste Adrien Buttafocchi dans l’Esterel lors d’une course en 1937. Il le répétait souvent.


En quoi peut-on parler de la « légende Vietto » ?


Jean-Paul Belmondo, une autre légende, dit de lui que c’était le Roi. Mais il faut s’interroger sur ce qu’est une légende. La définition du Larousse est celle-ci : « Récit à caractère merveilleux, où les faits historiques sont transformés par l'imagination populaire ou l'invention poétique. » Or, l’histoire de Vietto a été racontée et transformée tant de fois qu’elle détient de réel ce qu’elle évoque d’abord dans notre imaginaire, c’est-à-dire, ces épopées chevaleresques dans une France encore sauvage, dans une France en guerre, dans ce que l’on aime à imaginer de cette période-là… L’histoire de l’orteil qu’il se coupe pour terminer le Tour, ce double sacrifice de 1934 qui lui coûte le Tour, ces raisons mystérieuses qui l’empêchent de gagner le Tour de 1947 mais aussi, dira-t-il celui de 1939… Tout a été dit et déformé sur Vietto et on préfère souvent raconter la légende que la réalité.

Lors de la réalisation du documentaire, j’ai beaucoup pensé à la dernière séquence du film de John Ford, L’Homme qui tua Liberty Valance (1962) quand James Stewart raconte ce qui s’est réellement passé et que les journalistes déchirent leurs notes en lui disant : « This is the west Sir. When the legend becomes fact, print the legend ! » Tout est dit ! Ce film est incroyable pour cela.

On continue d’écrire sur René Vietto. Dans son dernier et excellent ouvrage, Mes Coureurs imaginaires, Olivier Haralambon que j’interview aussi dans le documentaire sur la figure philosophique de Vietto, évoque l’orteil manquant de Vietto, comme une relique sacrée, le comparant même à la couille manquante de Lance Armstrong. La légende continue donc de raconter ! Elle est une matière vivante. De même, on continue de chercher l’orteil de Vietto qui est, semble-t-il, toujours conservé dans un bocal de formol par un de ses admirateurs à Marseille. Un ami m’avait dit avoir vu l’orteil un jour… Et voilà comment une légende se transmet… Vietto, c’est aussi une tradition orale et cycliste de se transmettre des histoires.


Comment as-tu « rencontré » René Vietto, si tu me permets l’expression ?


Cela s’est fait en trois temps et pas dans un ordre chronologique. J’ai découvert son histoire quand j’écrivais le livre Sport&Cinéma avec mon père en 2015 – le livre est sorti en octobre 2016. J’ai recherché s’il y avait de grandes histoires cyclistes adaptées à l’écran – il y en a très peu. Et je suis tombé sur l’histoire de Vietto qui ferait d’ailleurs un très beau film. Je m’y suis intéressé et j’ai commencé à lire des récits sur lui. Je me suis donc aperçu qu’il venait du village du Cannet-Rocheville… là où j’ai passé toute mon enfance. Retour en arrière rapide. Je fus licencié au Vélo Club Rochevillois et je me suis alors rappelé ce qu’il y avait d’inscrit sur ma première coupe cycliste : « Souvenir René Vietto » ! C’était dingue.

Ces liens territoriaux et sportifs m’ont rapproché de lui et j’ai voulu en savoir encore plus. J’ai alors contacté Max Leonard, journaliste anglais qui avait écrit un long article sur lui dans le magazine Rouleur. Il m’a donné le contact de René Bertrand, un ami intime de René Vietto et qui a conservé toutes ses archives… et notamment cet orteil. En février 2016, je me suis rendu chez lui à Marseille avec ma caméra sans penser que ce serait le début du tournage de mon documentaire. Mais, c’était au cas où et un réflexe comme je suis réalisateur de documentaire. On ne sait jamais. Je l’ai interrogé et je l’ai filmé cherchant longuement l’orteil de Vietto dans le grand buffet de sa cuisine. A partir de là, je savais que je tenais le début d’une histoire et je suis parti sur la route à la recherche de la légende de René Vietto.

©GMFMP

La construction du documentaire est à la fois très riche et dynamique. Le Roi mélancolique s’organise en chapitres, à partir d’un scenario très rythmé et d’une narration qui se fait à plusieurs voix. Alternent interviews (de Jean Durry à Jacques Goddet, de Jean-Paul Belmondo à Olivier Haralambon), images d’archives et même dessins (ceux de Lax, connu, sans nulle doute, des amateurs de BD avec L'Aigle sans orteils, Pain d’Alouette et L'Écureuil du Vel'd'Hiv). Comment as-tu travaillé ?


Comme le tournage s’est déroulé sur presque trois ans, j’ai beaucoup travaillé au fil des entretiens que je récoltais et des informations que je glanais. Mais j’avais écrit un scénario comme on écrit une histoire de fiction et j’avais les grandes lignes de la légende. Ce sont les cinq chapitres qui construisent le récit.

Dès le début, j’ai voulu me détacher des formes traditionnelles des documentaires historiques. Je ne voulais pas de commentaires en voix off mais des lectures. Ainsi, tous les textes qui sont lus en off par Jacques Gamblin, sont des extraits de presse ou de livres écrits de 1931 à aujourd’hui (du journal L’Auto à Forcenés de Philippe Bordas). Je voulais rester dans cette atmosphère de légende qui se raconte et ne pas avoir une voix omnisciente qui expliquerait le personnage et son histoire. Les dessins de Lax, dont j’adore le travail et pas que ses récits cyclistes mais Le Choucas, Azrayen…, j’y ai pensé dès le début pour illustrer le film. Ses dessins viennent construire un imaginaire et contribuent à donner une profondeur à cette légende. Les spectateurs ne sont pas passifs mais peuvent se projeter dans cette histoire, un peu comme dans un film de fiction à la fin duquel, on pourrait se dire : mais est-ce que tout cela a vraiment existé ?

Ainsi, j’ai fait beaucoup de recherches documentaires et littéraires, rencontré des personnes qui apportent des éclairages différents à chaque fois (journaliste, écrivain, philosophe, coureurs…) et j’ai essayé d’organiser tout cela du mieux possible pour écrire une belle histoire.


A qui est destiné ce documentaire ? Il semblerait que l’on n’ait ni besoin d’être historien du sport, ni même féru de cyclisme pour se laisser séduire par ce documentaire…


Ah non ! Le film est fait pour toucher tout le monde. Au fur et à mesure du tournage et du montage, je me suis éloigné de l’Histoire avec un grand H pour m’attacher à l’humain. Le Roi mélancolique est avant tout une tragédie humaine, l’histoire d’un homme singulier, particulier, génial, complexe… Une histoire qui touche tout le monde.

J’ai voulu faire un film dans lequel tout le monde peut se retrouver et prendre du plaisir avec de l’émotion, du tragique… Le film est drôle aussi, que ce soit par cette recherche d’orteil dans le buffet ou par les punchlines que balancent René Vietto et tous ces papis cyclistes.

La musique joue aussi un rôle très important. J’ai mis en bande son l’album pop-rock du groupe montpelliérain Leo the Last qui rythme de façon très actuelle le récit, lui conférant une modernité intemporelle.

Lors des premières projections, le public a très bien réagi et on avait dans la salle des adolescents, des cinéphiles non-sportifs, des passionnés de cyclisme, des sportifs non-cinéphiles, des cinéphiles sportifs, des spectateurs occasionnels... Je crois que le personnage de René Vietto dans ce film émeut et touche tout le monde.


Où peut-on voir Le Roi mélancolique. La légende de René Vietto ?


Avec le confinement, c’est délicat. Il a été projeté au Festival Sport, Littérature et Cinéma de l’Institut Lumière à Lyon, sélectionné par Thierry Frémaux. Il devait être projeté dans différents festivals mais pour l’instant c’est reporté ou annulé. On devrait avoir des projections prévues en juin/juillet à l’occasion du départ du Tour de France de Nice, territoire d’origine de René Vietto. C’est donc l’année pour le célébrer. Ses cendres sont d’ailleurs dispersées en haut du col de Braus au-dessus de Nice. Des séances seront organisées sur la Côte d’Azur et dans les Alpes. Il y aura aussi le Bourgogne Vélo Festival à Tournus le 4/5 juillet. Nous sommes preneurs de toutes nouvelles propositions !

Nous l’avons envoyé à des chaines de télévision : France TV, Arte, L’Equipe et des plateformes (Netflix) mais n’avons eu aucun retour. On espère vite.

En guise d’avant-goût :

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