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Sport & cinema : Des montagnes à la mer, la liberté retrouvée de Bruce Dern

Le jour d’après est arrivé et n’y voyez aucune référence au film catastrophe de Roland Emerich. Pas de vague glaciaire sur la planète mais plutôt une vague d’apéro (il y a des glaçons !) partout en France qui prend la suite de cette vague virale catastrophique qui mit le monde à l’arrêt. Le confinement est terminé et chacun peut reprendre, dans la limite des 100km et en respectant les gestes sanitaires, des activités sportives presque normales en plein air – mis à part pour les sports collectifs.

Évidemment, si je vous écris cela, c’est pour vous parler d’un film et d’un sport qui vous évoquera cette liberté retrouvée. Ce film fut une des plus belles découvertes lors de l’écriture de notre livre Sport&Cinéma. Un film méconnu voire même inconnu du grand public. Pourtant, il avait tout pour connaître le succès. Des acteurs emblématiques : Bruce Dern, artiste attaché au Nouvel Hollywood, ce mouvement qui chamboula tous les codes du cinéma américain à partir de la fin des années 1960 et Pam Grier une icône du cinéma de la Blaxploitation utilisée ici dans un autre registre ; un réalisateur primé : Rob Nilsson avait remporté en 1979 avec Northern Lights, la caméra d’or au Festival de Cannes qui récompense le meilleur premier film ; un scénario reprenant les ficelles des meilleurs films de sport en y apportant une dose de poésie et de fraîcheur, de liberté artistique par rapport aux codes qui régissent souvent ce genre de production. Ainsi, On the Edge sorti en 1985 avait un joli chemin à tracer. Un peu à l’image de son personnage… mais comme son personnage, il disparut des radars.

Dans ce film, Wes Holman est un athlète promis à un grand avenir quand il est dénoncé́ par un autre coureur pour manquement à l’amateurisme, et banni de toutes compétitions. Dans les années 1970, la fédération américaine était très stricte, une prime reçue dans un meeting pouvait détruire votre carrière. Vingt ans plus tard, Holman revient dans sa région pour participer, sans y être inscrit, à la Cielo Sea Race, un trail qui va des montagnes à la mer et s’inspire de la Dipsea Race. Celle-ci se court depuis 1905 et aurait dû fêter sa 110ème édition en 2020 sans ce fichu virus. Voilà donc déjà une bonne raison de découvrir ce film.

Ainsi, Holman s’entraîne pour gagner cette course avec l’aide de son ancien entraîneur. Il prend le départ caché derrière une palissade, rejoignant le peloton quelques centaines de mètres après la ligne.

Cette course sera pour lui l’occasion, à quarante ans passés, de retrouver son honneur et l’estime de lui-même. Il s’impose un régime d’ascète et des séances d’entraînement extrêmement dures que Nilsson filme avec une belle énergie. Il offre ainsi de superbes images d’Holman, courant sur la crête d’une colline au petit matin, au milieu de la forêt, ou gravissant jusqu’à l’épuisement une côte abrupte, tenant des pierres à bout de bras. Une caméra subjective emprunte des petits sentiers… Des plans d’hélicoptère magnifient l’espace… Le cinéaste sublime ainsi la course à pied en pleine nature, avec la volonté́ farouche de faire ressentir aux spectateurs, entre souffrance profonde et sentiment de toute puissance, de fatigue intense et d’extase fiévreuse devant des panoramas grandioses, l’expérience des coureurs en plein effort, jusqu’à cette sensation étrange de se détacher de son enveloppe corporelle, d’avoir envie de conquérir le monde ou de fusionner avec les paysages.

Cette mise en scène très physique – les cadreurs ont « donné » de leur personne ! – est aussi une ode à l’espace américain et fait de cette course atypique qui part des hauteurs pour atteindre le rivage, une belle métaphore. Holman dévale, grimpe et s’épuise pour finalement plonger dans l’océan, symbole d’une digne rédemption. Il se lave de ses échecs et convoque la course à pied comme un lieu de communion collective. Les coureurs ne feront plus qu’un. La course-nature, nouvelle forme de religion, trouve dans son dépassement de soi et sa plénitude des accords mystiques qui manquent généralement aux courses traditionnelles sur route ou sur piste. Là, les coureurs touchent les sommets, descendent dans l’obscurité des vallées, suivent une crête étroite, risquent épuisement ou chutes mortelles, sont seul face à eux-mêmes et à la nature éclatante et exigeante. Face au monde donc. Pour Nilsson, la course-trail est une allégorie de la vie et elle se parcourt ensemble. Il convient d’ailleurs de signaler que, réalisé en 1985, ce film était très en avance sur son temps au regard de l’explosion récente de cette pratique sportive.

Contrairement à d’autres réalisateurs de films de sport, auxquels il fait parfois référence, notamment par l’utilisation de vieux entraîneurs aux méthodes « à l’ancienne » (Rocky [J. G. Avildsen, 1976]), d’une musique inspirante (Les Chariots de feu [Chariots of Fire, H. Hudson, 1981]), Nilsson, récompensé par la Caméra d’or au Festival de Cannes, ne tombe pas dans un pathos larmoyant, se concentrant sur l’effort et le combat de son personnage, sur l’expression de de la course à pied comme philosophie. Une vraie vision d’auteur. Cette course, c’est la vie et il n’y a donc jamais de vainqueurs. Les autres coureurs – qui sont de vrais coureurs –, comprendront que ce combat d’Holman est celui de tous.

Injustement oublié, On the Edge est l’un des plus beaux films sur la course à pied, avec un Bruce Dern barbu, au physique d’athlète incroyable, presque angoissant. Une sorte de messie ou de fou, tout dépend de quel côté on place nos baskets. Solaire, comme le film, il irradie d’une grâce et d’une mélancolie, cette œuvre au charme incontestable.

On the Edge de Rob Nilsson (1985, USA, Coul., 92’) avec Bruce Dern, Bill Bailey, Pam Grier

NB : Le film est difficile à trouver. Il existe un DVD édité en Espagne sous le titre « El Ultimo Marathon » mais dans une version coupée des scènes avec Pam Grier… Dommage car leur tendre histoire d’amour, entre un Blanc et une Noire, ajoutait une petite touche sensuelle et transgressive.

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