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"Corps politiques" de Nicolas Martin-Breteau

Un mois après l’assassinat de George Floyd par des policiers de Minneapolis et alors que le mouvement Black Lives Matter bousculait profondément la société américaine jusqu’au monde aseptisé des ligues professionnelles, sortait en France le livre de Nicolas Martin-Breteau, historien des Etats-Unis, spécialiste de l’histoire des africains-américains et du racisme. Publié aux éditions de l’EHESS, Corps Politiques, le sport dans les luttes des Noirs américains pour l’égalité depuis la fin du XIXème siècle est tombé à merveille pour décrypter les enjeux actuels, notamment au sein du sport américain.


Si l’ouvrage étend son analyse de la fin du 19ème siècle aux années 1970, il n’en reste pas moins extrêmement pertinent pour analyser les évènements que traversent l’Amérique du XXIème siècle. Et même pour éclairer nombre de débats qui traversent le sport mondial et la France, comme les préjugés raciaux, même ceux que beaucoup considèrent, à tort, positivement (« les noirs courent plus vite », « les noirs sautent plus haut », « c’est génétique », « ils ont le rythme dans la peau », « c’est l’os de leur talon », « ils ont le sens du rythme », etc), et qui polluent bien des conversations du quotidien et analyses sportives (on se rappellera de certains propos, au sein du football français, sur les « grands noirs costauds en défense »).

Ce que démontre Nicolas Martin-Breteau avec ses recherches, c’est que les populations noires n’ont eu de cesse, à travers l’histoire américaine, de combattre le racisme sous les différentes formes qu’il a revêtu. Et que le sport, et à travers lui le corps et la fierté qu’on pouvait en retirer, représenta très tôt l’une des armes les plus utilisées par les africains-américains. Une utilisation qui fut sans cesse interrogée voir contestée, tant dans la communauté africaine-américaine que par les blancs détenant un pouvoir qu’ils ne voulaient pas partager.


Pour ses recherches, l’historien s’est particulièrement intéressé à la capitale fédérale, Washington, et à Edwin B. Henderson, professeur d’activités physiques, grand sportif et militant, dont le travail autour du sport, connecté aux premières luttes pour les droits civiques, a été le symbole des espoirs et des déceptions, des victoires et des défaites, des stratégies utilisées ou vilipendées qui émaillèrent la longue lutte pour les droits des africains-américains. Autour de lui, ont gravité nombre de personnalités remarquables et décisives dans l’avancée des droits civiques, eux-mêmes connectés aux grandes luttes et aux grands bouleversements de la nation américaine.


Corps politiques n’est pas seulement le résultat minutieux de longues recherches académiques, c’est aussi un récit quasi-romanesque, parsemé de parcours incroyables, et restituant parfaitement l’énergie que déploya la communauté africaine-américaine pour revendiquer sa fierté et ses droits. Le sport américain y est revisité, sous l’angle de celles et ceux qui se l’approprièrent pour ce qui était alors appelé « l’élévation de la race », stratégie visant, à travers l’acquisition d’une fierté personnelle et collective, à démonter les préjugés raciaux par l’exemple et abattre ainsi la ségrégation. Une stratégie qui sera remise en cause, notamment par le mouvement du Black Power, comme l’étudie l’historien dans la deuxième partie de son livre.


Des premières heures du basket aux poings levés de Tommie Smith et John Carlos aux JO de 1968, en passant par Jackie Robinson, Jesse Owens, Mohamed Ali, le football américain des universités noires, l’athlétisme ou encore la boxe, Nicolas Martin-Breteau livre une histoire du sport africain-américain, loin du mythe, à l’instar d’Une histoire populaire du sport aux Etats-Unis de Dave Zirin. Une lecture salutaire pour mieux comprendre l’Amérique d’hier et d’aujourd’hui.

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