top of page

"Ping Pong" de Taiyou Matsumoto, le manga sportif au sommet de son art

Le ping pong, ou tennis de table, est un sport jouissant d’une double image, à la fois simple loisir et sport de haut niveau ultra-rapide et technique. Des vidéos d’échanges hallucinants entre champions de ce jeu apparaissent régulièrement sur les réseaux sociaux pour nous impressionner. Cependant, en regardant ce sport, on se dit qu’il serait impossible de restituer parfaitement la rapidité des échanges et leur haute technicité. C’est pourtant ce qu’a réalisé avec brio le célèbre auteur de manga, Taiyou Matsumoto.


Entre 1996 et 1997, le mangaka, célèbre en France pour son œuvre Amer Beton, a proposé au lectorat japonais une série sobrement appelée Ping Pong (Pin Pon en japonais), avant d’être publiée en France par les éditions Tonkam/Delcourt. L’histoire débute avec deux amis, Hoshino (l’étoile) et Tsukimoto (la lune), surnommés respectivement Peko et Smile. Le premier est un prodige du tennis de table, un attaquant vivant sur son talent inné et fanfaronnant à longueur de journée. Une star. Smile, contrairement, à son surnom, ne sourit jamais, ne se met jamais en colère, ne dit jamais un mot au-dessus de l’autre. Au collège, on l’appelle le cyborg. Malgré un talent inné tout aussi impressionnant que Peko, Smile vit caché dans l’ombre de son seul ami, celui qui le sauva des brimades de leurs camarades quand ils étaient des enfants.

Ping Pong est un seinein (manga pour adultes) reprenant et détournant les codes du shonen sportif (manga pour adolescents). A l’origine, après le succès d’Amer Beton, Taiyou Matsumoto se voit demander une série sportive par son éditeur. Ayant déjà réalisé plusieurs mangas sur le sport (Straight et Le Rêve de mon Père sur le baseball, Zéro sur la boxe), Matsumoto souhaite explorer un sport moins coté dans les mangas et avec peu de joueurs à dessiner. Hésitant finalement entre le ping pong et le badminton, il choisit le premier après avoir assisté à une compétition lycéenne.


Matsumoto va offrir sa propre lecture du récit sportif. Bien qu’on y retrouve les classiques du shonen sportif comme la dualité entre le talent et l’effort, le génie et le besogneux, le favori et l’outsider ou encore les entraînements à la dure pour progresser (ce sous-genre est appelé supôkon « le sport qui vient des tripes » et apparaît avec les premières heures de gloire du manga sportif dans les années 60 au sein de productions comme Kyojin no hoshi sur le baseball et Ashita no Joe sur la boxe), Matsumoto ne cesse de déconstruire ces codes pour mieux explorer les travers de la société japonaise et les questionnements de l’adolescence, une thématique qui, avec l’enfance, revient régulièrement dans son œuvre.


Ainsi, il n’y a ni gentil, ni méchant, pas même chez les adversaires de nos deux héros. Chaque personnage est attachant. Chaque personnage peut également nous agacer dans le même temps. Ils ne sont pas de simples archétypes que l’on retrouve dans nombre de mangas sportifs ou nekketsu (du genre Dragon Ball, One Piece ou Naruto), construisant leur route vers le succès en passant courageusement épreuves et obstacles. Ce sont des individus, aux parcours chaotiques comme les nôtres, avec joie et peine, succès et échecs, rêves et désillusions. Il n’y a ni vainqueur, ni vaincu au final. Juste des êtres qui grandissent, qui avancent.


A la finesse du propos, du scénario et des dialogues, Matsumoto y ajoute une dimension visuelle époustouflante. Si son dessin n’a pas la même fantaisie que dans Amer Beton ou Le Rêve de mon Père, style qui peut rebuter le grand public, il en reste pas moins marquant. Un trait un peu assagi pour coller à la prépublication du manga et plaire aux lecteurs japonais (ces derniers votent sur les prépublications pour la poursuite ou non d’une série). Son style inimitable s’immisce dans les non-dits pour nous faire ressentir pleinement les sentiments des personnages de cette comédie mélancolique.


Mais surtout, Matsumoto excelle à nous faire vivre le ping pong. La mise en scène de la pratique du tennis de table nous plonge dans la beauté de ce sport. Les scènes de match atteignent un niveau remarquable d’intensité, particulièrement à la fin du manga où Matsumoto touche au génie dans un chapitre sans dialogue, enchaînant, dans un rythme soutenu, les échanges d’un match dantesque, donnant à sa lecture sans mots une force incroyable. Que ce soit dans la dynamique du dessin, les angles de prise de vue insolites ou les expressions du visage des athlètes, Matsumoto atteint des sommets dans son art. Et c’est pourquoi on avale les 500 pages du manga comme Gargantua ses repas.


De plus, l’édition prestige (deux volumes), sortie en 2019 à l’occasion de l’exposition consacrée à Matsumoto au festival d’Angoulême, est complétée d’un glossaire pour mieux saisir les nombreuses références du manga, et du récit instructif de la création de Ping Pong par l’éditeur japonais qui accompagna l’auteur dans son processus créatif. Depuis sa publication, il a fait l’objet de deux adaptations, avec un film live en 2002 et un anime en 2014, disponible sur France.tv Slash depuis 2018.


Ping Pong est un manga d’une grande qualité, parfaite porte d’entrée pour découvrir le travail de Taiyou Matsumoto, maître mangaka dont l’art ne laisse jamais indifférent. Avec Ping Pong, son art est même exaltant.


Posts Récents
Archives
Rechercher par Tags
bottom of page