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Que faut-il lire pendant ce tour de France 2020 ? Partie 1

Gabriel Garcia Marquez. Le triple champion dévoile ses secrets. Co-Edition Marabout et So lonely, 2020.

Tous passionnés de littérature sportive rêvent un jour de lire une rencontre entre un grand écrivain et un grand champion. C’est chose faite avec Le triple champion dévoile ses secrets. En 1955, Gabriel Garcia Marquez, jeune journaliste et futur Prix Nobel de littérature en 1982, va vivre cinq jours aux cotés de Ramón Hoyos, le premier champion cycliste colombien. Peu connu en dehors des frontières de l’Amérique du Sud, la faute à une carrière trop locale, il est considéré comme une idole nationale - il n’y a pas un jour sans que les fans guettent sa sortie, lui demande un conseil ou un autographe – et fût un père spirituel pour les grands coureurs qui vont lui succéder : Luis Herrera, Nairo Quintana et Egan Bernal. Celui qui voulait devenir curé est pourtant réticent à se confesser devant la presse, méfiant vis-à-vis d’une réalité parfois modifiée selon le bon vouloir du journaliste. Cette fois, il accepte la rencontre et ne le regrettera pas. « C’est plus fatiguant que le Tour de Colombie » dira-t-il. Qu’apprend-on sur ce champion ? « Le scarabée de la montagne », surnom qu’il doit à son aisance à grimper, est un homme avec « un caractère doux, affable et chaleureux des paysans d’Antioquia ». Un homme pressé qui a toujours voulu aller vite : « je vais si vite depuis ma naissance que je ne comprends toujours pas pourquoi je ne suis pas l’aîné de la famille ». Pourtant il découvre le vélo très tardivement, en 1942, à l’âge de 10 ans, lorsqu’un commerce de location s’installe à Marinilla. L'idée qu'il est possible de se déplacer à deux roues ne lui effleure pas l'esprit, d’ailleurs il pense qu’il s’agit d’une boutique de pièces détachées pour d’autres véhicules. Un jour, sur le chemin de l'école, il croise un jeune homme sur ce drôle d’engin. Interloqué, Ramón l’apostrophe : "Comment fais-tu pour ne pas tomber ?". La réponse, "c'est un secret" attise encore un peu plus sa curiosité. Un an plus tard, il part à Medellin pour vivre avec ses frères et gagner de l’argent. A 11 ans, Ramón Hoyos est magasinier lorsqu’il découvre que le jeune livreur du magasin d’en face gagne deux fois plus que lui. Il ne se met pas au vélo par plaisir mais pour l’appât du gain. Il a 14 ans. D’ailleurs son premier jour comme livreur aurait pu être le dernier car à la première intersection, il snobe le feu rouge et se fait renverser par un camion. Ce qui fera dire à son patron "Mon enfant, si tu veux être un bon livreur, apprends d'abord à faire du vélo !" Il faudra attendre encore trois ans avant que le Colombien découvre l'existence du cyclisme de compétition, grâce à sa rencontre avec Victor Betancourt, propriétaire d’un atelier de réparation de deux-roues qui se trouve aussi être le directeur du club cycliste Saeta. C’est une révélation pour l’adolescent, qui se lance dans la compétition en 1951 dans des conditions très précaires : Assis sur une selle en fer, il pédale avec des chaussures de football sur un vélo sans vitesses. Il profite de chaque victoire pour améliorer son équipement. Il remportera cinq Tour de Colombie dont quatre consécutifs entre 1953 et 1958 et battra Fausto Coppi et Hugo Koblet lors de la Clasico El Colombiano, prouvant qu’il n’était pas qu’une gloire nationale. Mais sa vie est touchée par un drame. Sans le savoir, Gabriel Garcia Marquez et Ramón Hoyos étaient déjà liés par un événement, la catastrophe du glissement de terrain de Media Luna qui eut lieu un an plus tôt. Ce fut le premier reportage pour l’homme de lettres, le tombeau de la mère et de la sœur aînée du coureur. Une tragédie dont le champion aura du mal à se remettre, le plongeant un temps dans l’alcool et la dépression. A raison de cinq heures d’entretiens par jour, « cinquante-deux feuillets ont été noircis et vingt-neuf tasses de café ont été bues, mais aucune par le rédacteur. Personne n’a gardé le compte des mégots, parce que le rédacteur allumait cigarette sur cigarette et que, pendant cette période où il ne s’entrainait pas, Ramón Hoyos fumait une moyenne de dix-huit cigarettes tous les deux jours ». Le résultat de leur rencontre fut publié en Juin 1955 par le quotidien El Espectador, dans une série de quatorze articles, qui sont rassemblés dans ce livre exceptionnel, inédit en français. Un document aussi rare que précis sur ce qui fait la construction et la psychologie d’un champion, son rapport à la douleur et à la célébrité. Cette biographie permet une plongée dans la Colombie et le cyclisme des années 50, et c’est aussi le témoignage précieux sur le travail d’un des plus grands écrivains du XXe siècle, l’auteur de Cent ans de solitude et Chronique d’une mort annoncée, qui après chaque chapitre éclaire la vérité sur la légende en la confrontant à d’autres témoignages. Nos deux héros seront liés jusqu’à la mort puisqu’ils quitteront ce monde en 2014, à sept mois d’intervalles. Il est à noter que Gabriel Garcia Marquez ne fut pas le seul artiste à s’intéresser au champion colombien puisqu’en 1959, le peintre Fernando Botero, lui consacrera un tableau intitulé Apoteosis de Ramón Hoyos !

Guy Roger. Bernal et les fils de la cordillère. Éditions Solar. 2020.


Ce n’est pas un livre de sport, mais bien un livre d’Histoire que Guy Roger a écrit là.

L’Histoire d’un pays, la Colombie. Où vient s’écarteler la Cordillère des Andes.

Il nous raconte ces Dieux, pour certains encore vivants, avec qui il taille la bavette et le bout de gras dans son pèlerinage andin. La Colombie, ce pays qui nous offre des grimpeurs insatiables, infatigables.

Tout est dit dans ce dicton colombien : “il suffit de soulever une pierre pour trouver un cycliste”. Et là-bas, les pierres roulent ! Comme un symbole, dans le Tour de France 2019, Egan Bernal revêt le maillot jaune. Cette couleur que l’on retrouve sur le drapeau colombien. La couleur du soleil, de l’harmonie et de la justice. Enfin un Colombien se pâme de la toison d’or ! Il était temps ! Qui se souvient ici, sur nos terres continentales, de Cochise Rodriguez, d’Alfonso Florez, de Fabio Parra, de Soler le malchanceux ?

Il y a peut-être Lucho Herrera qui traîne encore au fin fond de nos mémoires. Nous étions jeunes et beaux dans les montées de l’Alpe-d’huez et de Morzine. La caravane passe et les scarabées fredonnent.

Pour paraphraser Forero : “en bas dans la vallée on salue les généraux, en haut des montagnes les escarabajo”. Pas un endroit dans ce pays où ne traîne, sur la place du village, la statue d’un régional de l’étape. Héraut de pierre et de béton qui transmet le message aux touristes de passage : “ici est né Quintana, ici est né Herrera, ici est né Bernal… ici est mort Alfonso Florez Ortiz !”. À chacun ses monuments et ses croyances. On devine dans cet ouvrage que la genèse d’un destin exceptionnel prend racine dans le terreau de la pauvreté et de la misère sociale. Car on ne dompte pas les cols de la Cordillère avec une cuillère d’argent dans la bouche. Il faut avoir souffert bien avant. Il faut avoir connu bambin, le goût du sang, de la sueur et des larmes. Lire "Bernal et les fils de la cordillère", c’est sentir la torpeur estivale de Medellín et au loin, entendre chanter Carlos Gardel. C’est apprendre que les frères Escobar ont vu passer Ramón Hoyos dans un virage du Alto de Minas.

C'est découvrir des cols dans les montagnes ou plutôt des chemins de croix : “Paramo de Letras”, "Altao de la Linea”, "Escobero”, “Alto de Minas”, “Santa Elena”, “San Miguel”… que juste à chuchoter du bout des lèvres on a les cuisses qui tirent et l’oxygène qui vient à manquer. Et si le Tour de Colombie était plus dur que le Tour de France ? Nombreux de nos héros s’y sont essayés (Bernard Hinault, Laurent Fignon, Luc Leblanc, Julian Alaphilippe...). Nombreux sont venus, ont vu et ont été battus ! Certes Bernal fait la couverture. Parce qu'il est et sera à jamais le premier. Mais Guy Rocher nous raconte les autres. Les précurseurs, les pionniers, les malheureux, les miraculés... Il faudrait presque un livre pour chacun. Nous voici larme à l'œil à lire la vie de Mauricio Soler. Nous voici kidnappé par le récit de Lucho Herrera. Embarqué de nuit par quelques guérilleros des FARC. Le voici l'arme à gauche, le conquérant Alfonso Florez Ortiz. Tué par 4 motards par un mari éconduit. Bienvenidos a Colombia !

Guillaume Martin. Socrate à vélo. Grasset, 2020 (nouvelle édition).

Le 10 décembre à Olympie, l’équipe nationale grecque de cyclisme apprend qu’elle est retenue pour le prochain Tour de France ! Cette année, les organisateurs ont voulu un retour aux sélections nationales. Cette équipe de seconde zone a retenu l’attention par la qualité de sa candidature et la rédaction des textes. En effet, elle est composée de vélosophes : Socrate, le leader, Platon, son fidèle lieutenant, et Aristote, un jeune aux dents longues mais avec un grand sens tactique. Cette nouveauté attire la curiosité. Ainsi l’équipe allemande, en manque de confiance et de résultats, fait appel à Albert Einstein pour recruter quelques spécimens : Freud, Nietzsche et Kant. Déjà auteur de la pièce de théâtre Platon vs Platoche, Guillaume Martin, coureur cycliste pro et diplômé en philosophie, donne un premier livre drôle et savoureux. Choqué que l’on s’étonne qu’un sportif puisse penser, il démontre que le sportif développe plusieurs formes d’intelligence alors que l’école n’en valorise qu’une, celle de l’esprit. Il a écrit ce livre « avant tout pour questionner la manière dont le grand public perçoit les sportifs, et les cyclistes en particulier. Une perception qui me semble trop souvent outrancière et parcellaire ». Il s’insurge aussi contre le jeu médiatique qui impose l’insignifiant, l’artificiel et l’impersonnel. On catégorise le sportif dans le but de vendre l’événement : l’intellectuel, le mauvais descendeur, l’attaquant… Avec Guillaume Martin, on réfléchit et on rit !

Grégory Nicolas. Equipiers. Hugo sport poche, 2020.


Grégory Nicolas, auteur de quatre fictions, nous propose son premier texte documentaire : une plongée dans le quotidien des coureurs de l'ombre ! Pendant plusieurs mois, il a partagé le quotidien de Pierrig Quéméneur (son ancien rival dans les courses juniors) Pierre Rolland, Tony Gallopin, Jimmy Turgis et Clément Chevrier. Celui qui n'osait pas mêler ses deux passions, le cyclisme et l'écriture, a franchi le pas pour la bonne cause. C'est une ode à ceux qui font un travail de sape, d'usure, de sacrifice pour mieux faire briller le champion. Dans le monde professionnel, les places sont chères, celles de leaders, rares. Pour durer dans ce milieu, Il faut savoir mettre de coté ses ambitions personnelles et ses rêves de victoire au profit d'un autre. Cette relation equipier-leader est forte, car elle ne se limite pas à un simple rapport professionnel, elle est fraternelle. Ce livre aussi un hommage à une tradition familiale, qui mêle cyclisme, Morgon et amitiés, commencée avec son pépé et Louison Bobet, qui se perpétue aujourd'hui entre lui et Clément Chevrier. La boucle est bouclée. Prix Antoine-Blondin et Louis-Nucéra 2020.

Notre entretien avec Grégory Nicolas est disponible ici : https://urlz.fr/ciQ2

Marc Fernandez. Le nouveau western. Paulsen, 2020.

Cofondateur de la revue Alibi et auteur de plusieurs romans noirs, Marc Fernandez s’est lancé un défi pour le moins original : rouler sur les traces du Cid, entre mythe littéraire et véritable histoire ! Tout le monde connait le célèbre chevalier, héros de la pièce de Pierre Corneille, mais peu connaissent sa réelle histoire. Rodrigo Diaz de Vivar, de son vrai nom, est un combattant légendaire du XI e siècle, qui s’est battu auprès du roi Alphonse VI, avant d’être banni du royaume, et de traverser l’Espagne de Burgos à Valence, pour prêter main forte à divers seigneurs musulmans et chrétiens. Entournée d’une armée à son propre compte, il prendra possession de Valence en 1094. Mais sa légende commence lorsqu’il a 18 ans. Sous les ordres de Sancho II, le Cid mène de lourds combats au nord de Castille contre l’armée du roi de Pamplona. Comme le veut la tradition, pour mettre fin à une bataille, deux chevaliers doivent se provoquer en duel. Il défiera Jimens Garcès, l’un des meilleurs combattants de Navarre. Les deux hommes s’affrontent à l’épée et Rodrigue le blesse gravement, obligeant son adversaire à déposer les armes en échange de la vie sauve ! Les troupes de Navarre se retirent, et ses hommes le portent en triomphe. Rodrigue gagne la bataille et un surnom : « Campeador ». Mais revenons à notre « cyclo-auteur ». Si le Cid voyageait à cheval, Marc Fernandez voyage sur son VTT, baptisé Tornado, en hommage à son héros préféré Zorro. Un véritable défi physique pour lui, qui dans un décor de western spaghettis, va parcourir 961 km avec 11 302 mètres de dénivelé positif. 12 jours de voyage en compagnie de l’ancien journaliste espagnol Gontzal Largo, pour découvrir les routes méconnues de l’Espagne « du vide » et les histoires qui entourent la légende du cowboy médiéval ! Certes le cid est une personne fascinante mais ce périple n’aurait pas eu autant de sens sans une pointe d’histoire personnelle. Lorsqu’il arrive à Silla, à quelques kilomètres de Valence, Marc Fernandez découvre le village d’où sont partis ses grands-parents pour fuir l’Espagne et la dictature de Franco. Sans ce sacrifice, il ne serait pas là. « Oui, l’histoire est belle. Oui la performance physique était un challenge à relever. Mais la vraie raison est là, un hommage à ma famille, à ceux qui ont lutté pour que nous puissions vivre en paix et en liberté. »

Entretien de Marc Fernandez : http://urlz.fr/druM

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