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Le Tour de France et la Cote d'Azur, entretien avec notre collègue Julien Camy.

Julien, j’imagine que la sortie de ton livre "Côte d'Azur : terre de cyclisme" est liée au départ du Tour 2020 à Nice.


En effet, le Tour 2020 s’élançait de Nice avec deux étapes autour de la capitale de la Côte d’Azur. L’occasion était belle d’évoquer ce territoire que je connais bien puisque j’en suis originaire. Surtout, je voulais montrer que la Côte d’Azur, ce n’est pas seulement une bande côtière gavée de touristes, de voitures de luxe au milieu d’une urbanisation littorale catastrophique. Il y a aussi les Alpes, des routes qui serpentent à flanc de montagne, des paysages à couper le souffle et toute une histoire populaire, souvent liée à l’immigration italienne, qui en fait un territoire des paradoxes. Le cyclisme azuréen en est une parfaite métaphore.

Comment as-tu travaillé pour ce nouveau projet ?

Je travaillais depuis 2016 sur René Vietto, grimpeur ailé, cycliste de légende des années 1930-1940 et originaire d’un petit village au-dessus de Cannes, Le Cannet Rocheville. Ce documentaire « Le Roi mélancolique » m’a permis de me replonger dans l’histoire du cyclisme et plus particulièrement de ce coin de France dont Vietto en est d’ailleurs le plus illustre représentant. J’ai donc proposé le projet aux éditions Gilletta qui y furent sensibles. Puis aimant le travail collectif, j’ai appelé mon camarade André Baudin, déjà auteur d’un livre sur les légendes du cyclisme provençal et qui avait suivi le Tour de France à de nombreuses reprises pour La Provence.

Nous nous sommes partagés le travail, lui plutôt les portraits et moi, l’histoire du Tour sur la Côte. Je me suis donc replongé dans les journaux d’époque de L’Auto au Petit Niçois, de Miroir Sprint à But Club. Et ce qui est frappant, c’est de voir la force littéraire que détient ce sport. Les comptes rendus de l’époque étaient empreints de ferveur, d’une capacité à nous faire imaginer, à nous faire rêver. Nous avons essayé de travailler dans ce sens pour l’écriture de ce livre.


Il faut attendre la 3e édition pour voir le Tour sur la Côte d’Azur. Pourtant tu dis avec son climat, ses pentes, ses routes escarpées, « la riviera s’affirme comme la terre de cyclisme par excellence ».


Oui, c’est un territoire où toute l’année, vous pouvez rouler sur tous les terrains. Le col de la Madone au-dessus de Menton, une « grimpette » sur laquelle Lance Armstrong et Tony Rominger évaluaient leur état de forme, vous amène à 1000m d’altitude sur 12km en partant de la mer . On passe de l’odeur iodée de la plage, à celle plus grasse des oliviers pour terminer dans les senteurs des résineux. Les Alpes Maritimes pourraient se résumer à cette ascension. Et puis avec 300 jours de soleil par an, difficile de trouver en France meilleur terrain de jeu pour les cyclistes. De plus si on pousse un peu dans les terres, il y a le parc national du Mercantour, une merveille de la nature. Ce n’est donc guère étonnant qu’avec le développement du vélo, dans les années 1930-1940, les Alpes Maritimes pouvaient fournir à elles seules une équipe de France entre Vietto, les frères Lazaridès, Lucien Teisseire, Nello Lauredi, Fermo Camellini… C’était une vraie pépinière à champions et une grande partie d’entre eux était composée d’immigrés, souvent italiens. Celui-ci était un sport prisé des classes populaires et montre comment la Côte d’Azur d’alors – mais d’aujourd’hui aussi, est un territoire très populaire avec une grande mixité de populations. Il suffit de regarder les spécialités culinaires de Nice pour comprendre qu’elles n’ont pas été pensées par l’aristocratie ou les bourgeois. Là aussi, ce territoire s’affirme comme une terre de cyclisme par ces liens avec l’Italie, le pays du vélo.

Les professionnels ne s’y sont pas trompés. Depuis l’invention des stages hivernaux, ils viennent tous sur la Côte d’Azur de Louison Bobet à Christopher Froome ! Malheureusement, l’urbanisation désorganisée, la surpopulation côtière ont fait disparaître les grandes courses du coin (Grand Prix de Cannes, Grand Prix de Nice, Boucle de Sospel, Mont Agel, Gênes-Nice…) car elles sont de plus en plus difficile à mettre en place. Cela a eu, je pense, une conséquence directe sur la formation des jeunes. Il n’y a plus de grands coureurs sur route originaires du coin contrairement au VTT avec Loïc Bruni notamment.



Tu viens un peu de l'évoquer mais ce livre est aussi l’occasion de célébrer les grands coureurs azuréens : Binda, Vietto.


Parfaitement, Vietto en tête bien évidemment ! Le Roi René fut l’idole de la France des années 1930-1940. Mais nous voulions également célébrer la mémoire de François Poussel, ce Niçois qui prit le départ du premier Tour mais qui dut abandonner à la première étape ! Mais il y eut aussi Alfredo Binda. Le champion italien a fait ses classes cyclistes à Nice avant de repartir en Italie. Il fut le seul champion que l’on paya pour qu’il ne dispute pas une course ! Il dominait tellement le Giro qu’il lui enlevait tout son intérêt.

Après eux, il y eut Nello Lauredi au destin tragique, Fermo Camellini trop sous-estimé, les frères Lazaridès… D’ailleurs, si l’on connaît mieux Apo, ce fut Lucien qui eut la plus belle carrière et passa le premier au sommet du Ventoux sur le Tour ! Les Molinéris père et fils, José Mirando, Lucien Teisseire, Lucien Aimar, seul Azuréen vainqueur du Tour en 1966, ou dans une époque plus récente Gilbert Bellone vainqueur d’étape et originaire de Grasse… Une partie de l’histoire du cyclisme est accrochée à ce bout de territoire qui plonge dans la mer. Cela correspond également à une période du cyclisme, celle que l’on aime se raconter car elle ressemble à la vie avec des montées, des descentes, des tragédies et la beauté de la vue des Alpes Maritimes !


Quels sont les souvenirs marquants du Tour sur la Côte d’Azur ?


Tout d’abord, la première arrivée sur la Promenade des Anglais avec la victoire de René Pottier, futur vainqueur du Tour cette année 1906. Le Tour fut ensuite fidèle à la Côte d’Azur jusqu’en 1947 sans discontinuer – mis à part durant les deux guerres mondiales pendant lesquelles le Tour fut arrêté. Le Tour y inventa presque les courtes étapes pour dynamiser la course puisque dans les années 1930, l’étape Nice-Cannes (ou Cannes-Nice), qui ne comportait que 128km (alors que la moyenne était aux alentours des 300) était courue chaque année. Elle dynamitait le peloton autour de Nice avec la fameuse Boucle de Sospel et le passage par le Col de Braus, celui-là même, où sont dispersées les cendres de Vietto. Ce fut le col des Alpes Maritimes le plus franchi par le Tour avec 25 passages.

Un des grands souvenirs reste la victoire de René Vietto en 1934 à Cannes. L’enfant du pays s’échappe dans le Braus et lève les bras au bout de la Croisette devant les siens. Mais on pourrait aussi citer l’échappée de Bernard Hinault lors de la première étape du Tour 1981 qui partait de Nice. Elle ressemblait d’ailleurs un peu à la première du Tour 2020. Il s’échappe avec Jean-René Bernaudeau et le Niçois Charly Bérard, un de ses fidèles lieutenant.


As-tu une anecdote préférée du Tour sur la Côte d’Azur ?


Après la victoire de Vietto à Cannes en 1934, celui-ci est porté en triomphe par un de ses amis, un grand costaud. Le journaliste de l’Auto qui organisait le Tour, Jacques Goddet s’approche de lui pour le « récupérer » mais reçoit un coup de poing qui l’assomme. Les Azuréens ne voulaient plus lâcher l’enfant prodigue !

Mais il y en a une autre très importante dans l’histoire du Tour, en 1964. Celui que Raymond Poulidor devait gagner, où il était le plus fort… mais qu’il perd à Monaco. Pour l’arrivée de l’étape Briançon-Monaco, les coureurs doivent faire deux tours de la piste en cendrée du stade Louis II. Mais Poulidor se relève au bout d’un tour, pensant que c’est fini. Anquetil l’emporte avec la minute de bonification. Poupou termine cinquième de l’étape et plus tard, deuxième du Tour à… 55 secondes d’Anquetil.


J’imagine que tu suis ce Tour 2020. Qui aimerais-tu voir en jaune à Paris ?


Ce Tour sera spécial à plus d’un titre. Par le contexte de crise sanitaire que les coureurs ont vécu dans leur préparation, par sa période de course et son tracé très sélectif… Il est donc difficile de faire des prévisions. S’il y a bien des favoris qui se dégagent aujourd’hui (Pogacar, Roglic), la troisième semaine risque d’être terrible pour les organismes avec le froid et le mauvais temps qui peuvent arriver d’un coup. Les coureurs ont également peu de jours de courses et manquent de repères. A mon avis, il peut y avoir des retournements de situations et un outsider peut sortir son épingle du jeu. Je miserais bien sur Guillaume Martin qui monte en puissance depuis deux ans et qui sait si bien raconter le vélo même s’il semble aujourd’hui un peu trop distancé. (Entretien avec Guillaume Martin). Il faut des personnages comme cela, qui incarnent le vélo dans ses transcendances compétitives, philosophiques et historiques. Le vélo et les cyclistes ont toujours raconté des histoires et nourri notre imagination de légendes. Il ne faut surtout pas que cela cesse.

Julien Camy et André Baudin. Côte d'Azur : terre de cyclisme. Editions Gilletta. 2020.

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