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Entretien avec François Chevalier et Jérémy Le Bescont, auteurs de « Bonnes vacances ».

Pouvez-vous vous présenter ?


F.C : Je suis journaliste, en poste à Télérama depuis 2010, avec une préférence pour la gastronomie, le sport et les cultures urbaines.

François Chevalier

JLB : Également journaliste, passé par de nombreux médias radio, TV, web et presse écrite, en ce moment sur le déploiement des matinales de France Bleu sur France 3 mais historiquement orienté sur le basket et les musiques actuelles. François est né à Limoges, j’y réside, d’où notre attachement à cette histoire.

Jérémy Le Bescont



Comment est né le projet de "Bonnes vacances" ?


FC : Au moment de la préparation du numéro 3 du magazine Entorse, au printemps 2019, j’ai proposé Stéphane Peaucelle-Laurens — le boss des éditions Entorse — de rédiger un grand papier sur le CSP 2000, avec l’ambition d’interroger le plus de joueurs possible. Stéphane était intéressé mais il n’a pas retenu ma proposition, faute de place. Quelques semaines plus tard, le 21 juin 2019, je fais part à Jérémy de ma proposition et là, coup de théâtre : j’apprends qu’il a un projet de livre en tête depuis quelques années ! Très vite, il est apparu évident que nous devions travailler ensemble. Nous avons rencontré plusieurs maisons d’édition et Entorse était la meilleure option. Il n’a pas fallu longtemps pour convaincre Stéphane qui connaissait bien l’histoire.


JLB : C’est vraiment une convergence assez hasardeuse. Personnellement, j’étais vraiment hanté par l’idée de traiter cette histoire, je crois même me souvenir d’en parler à Fred Weis un jour dans sa caisse mais je ne trouvais pas la forme - sincèrement, je ne pensais pas forcément à un livre - et l’horloge commençait à tourner. Sortir quelque chose une fois le vingtième anniversaire passé aurait eu moins de saveur et aurait très probablement rencontré moins d’intérêt public. Sans ce diner dans une bonne pizzeria parisienne, ce livre n’aurait peut-être pas vu le jour. Nous n’avons d’ailleurs même pas défini la forme du matériel ce soir-là, c’est seulement par la suite, lorsque nous nous sommes rendus compte que nous avions énormément de matière et que le livre serait le plus idoine. Stéphane a également été convaincant là-dessus : c’était sa première sortie sur ce format-là mais ça ne lui a jamais fait peur, c’est même lui qui nous a encouragé dans cette voie.



Pouvez-vous nous expliquer l’origine du titre ?


FC : C’est une idée brillante de Stéphane ! Lors de la première réunion dans les bureaux d’Helmo — le studio de graphisme qui a assuré la direction artistique du livre — il a eu comme une illumination. C’était une évidence pour lui, d’extraire un élément fort de l’histoire, un peu à la manière de la série The Last Dance d’ailleurs. Sincèrement, avec Jérémy, nous n’étions pas convaincus par cette option au début mais il s‘est avéré, après maintes discussions sur le sujet, que c’était vraiment une super idée. Nous avons appris à « aimer » ce titre, qui est un clin d’œil au mic drop de Yann Bonato et aujourd’hui, il n’y a plus de doute : c’était le meilleur titre !


JLB : Comme François le dit, ce titre n’a pas créé une adhésion immédiate et pour être honnête, elle est venue tardivement (rires). Je n’y croyais pas et je pensais qu’on allait au casse-pipe. J’ai eu tort, ce qui est vraiment très positif ! Pour moi, le plus surprenant a été de constater que beaucoup de gens se souvenaient par coeur des derniers mots de Yann à la TV, ça fait pourtant vingt piges ! Edouard Choquet, un Limougeaud qui joue actuellement en Jeep Elite et qui est présent dans le livre, me l’a récitée de tête. C’est dire à quel point les gens ont profondément été marqués par cette période.



Dans chaque moment fort de la saison, vous avez mis en confrontation les témoignages des protagonistes, à la fois les joueurs, le coach, Président et journalistes. Comment avez-vous travaillé ?


JLB : Au départ, nous étions très concentrés sur les joueurs mais nous avons vite compris que ce prisme serait trop réducteur. Dans cette histoire, tout ce qui se déroule sur le terrain est intrinsèquement lié aux coulisses et aux affaires extra-sportives, il fallait donc élargir le cercle, sans mauvais jeu de mots, et de fil en aiguille, les couches se sont multipliées au point de devenir un vrai mille-feuilles. Mais outre nos interviews, nous avions également énormément d’archives, tous les Basket Hebdo ou Maxi-Basket conservés de cette époque, François a également sollicité Basket Retro et BBall Channel, qui font un travail complètement laissé de côté par nos instances. Il s’est également tapé une bonne journée à l'INAthèque de la BNF François Mitterrand.


FC : L’épopée du CSP 2000, c’est une histoire qui a été beaucoup fantasmée et nous voulions être le plus précis possible sur les faits. Surtout, il fallait contrebalancer les points de vue de certains intervenants clés comme Didier Rose, Jean-Paul de Peretti et même Yann Bonato. Pour cela, nous avons procédé comme dans une enquête classique en interrogeant de nombreuses sources et en épluchant les journaux de l’époque, pour tout remettre en perspective. Ce qui nous amené à remonter jusqu’à Jacques Chirac, Patrick Drahi, le comptable du CSP, le commandant du SRPJ…




"Didier Rose, c’est à la fois Bernard Tapie et Jean-Pierre Bernès dans un même personnage !"





Etes-vous d’accord, si je vous dis que Didier Rose, le Bernard Tapie du basket, incarne parfaitement cette histoire, à la fois les succès, les problèmes financiers et la relégation.


FC : Didier Rose, c’est à la fois Bernard Tapie et Jean-Pierre Bernès dans un même personnage ! Tapie pour le côté bling bling amateur de grosses cylindrées qui n’a pas sa langue dans sa poche et Bernès puisque l’on parle d’un puissant agent de joueurs volontiers magouilleur. Mais pour répondre à la question, oui, Didier Rose est un personnage central du livre, sans lui, le CSP n’aurait sans doute pas gagné autant de titres car il possédait un important réseau mais sans lui aussi, la catastrophe de 2000 ne serait sans doute pas arriver puisqu’il s’est retrouvé au cœur de l’affaire des comptes du CSP. Didier Rose est le seul qui a écopé d’une peine de prison ferme.


JLB : Je serai un peu plus nuancé. Il cristallise toutes les dimensions de du CSP dans son ensemble mais cette histoire en particulier, cette saison-là, si quelqu’un l’incarne, ce sont bien les joueurs et le coach. Au bout du compte, Didier Rose a été très médiatisé cette année-là mais on ne l’a plus vu ni entendu dès février. Maintenant, j’ai plus d’estime pour Didier Rose que pour Bernard Tapie : il faut tout de même souligner le travail énorme qu’il a fait pour le basket français au cours des années 80 et 90, à un moment où celui-ci était visible auprès du public. Ce n’était clairement pas désintéressé mais je pense qu’il y a moins de cynisme que Tapie : il y a derrière ça une véritable passion et connaissance du basket. Aussi, il n’est pas question de le défendre, loin de là, mais je pense que si Didier Rose a fait de la prison et semble être aujourd’hui persona non grata, beaucoup dans le basket français ont profité de son travail et là, je ne parle pas uniquement des joueurs. Il y a une grande zone grise sur laquelle de nombreuses personnes ont fermé les yeux, pour des raisons qui leur appartiennent.




"L’épopée sportive doit beaucoup à la personnalité de Yann Bonato"




Comment expliquez-vous ce parcours incroyable des joueurs alors qu’avant chaque match ils savent que la saison peut s’arrêter du jour au lendemain ? Je pense à l’épisode à l’aéroport d’Orly avant le départ pour Ankara.


FC : L’épopée sportive doit beaucoup à la personnalité de Yann Bonato. Les témoignages abondent dans ce sens. C’est lui a qui convaincu les joueurs de faire des sacrifices financiers pour sauver le club. Son charisme et son leadership ont permis à l’équipe de maintenir le cap. Il a lui-même proposé aux plus bas salaires du groupe de les aider à finir le mois. L’épisode du vol pour Ankara démontre que Bonato était en mission. Alors que le CSP est sur le point de déclarer forfait, qu’il n’y a plus d’argent dans les caisses, c’est encore lui qui fait monter tout le monde dans l’avion. Surréaliste.


JLB : Je crois qu’il ne faut pas non plus oublier la force du public limougeaud, particulièrement à cette époque-là. Cette équipe et cette salle n’ont plus fait qu’un : les deux se sont poussés naturellement. Sincèrement, si j’habite à Limoges, je n’y suis pas né et je ne suis pas un supporter naturel mais je ne crois pas que cela aurait pu se passer ailleurs. Je ne sais pas si les joueurs auraient trouvé cette force sans la ferveur et le soutien de toute la ville. Et puis beaucoup n’avaient finalement plus rien à perdre, à part les Américains. Yann était en mission reconquête, avait des choses à prouver, un coup d’arrêt aurait été désastreux. Fred devait confirmer son excellente saison précédente pour la NBA et c’est aussi quelqu’un de loyal avec ce club. Les autres n’avaient que très peu d’alternatives, pas le droit d’aller jouer ailleurs en France, pas encore de demandes de l’étranger. Et surtout, je crois qu’ils s’appréciaient beaucoup et savaient à quel point il y avait tout pour aller au bout, surtout avec ce coach, qui a tout a fait pour les concentrer sur le sportif.


Parlons un peu du coach Ivanovic. La victoire tient-elle aussi dans l’union des joueurs face à la dureté de ses méthodes ?


FC : Sans doute. Ivanovic n’a jamais changé sa méthode. Dès la préparation de début de saison, il informe ses joueurs qu’ils vont vivre un « enfer » sous ses ordres. Il ne les prend pas en traître. Le stage de Font-Romeu est terrible, proche d’un entraînement militaire. Réveil à 5h du matin, course dans les cailloux en altitude, interdiction de boire… Le groupe ne touche pas un ballon pendant 15 jours. Il y a des types qui vomissent à la fin de la journée. Les joueurs le détestent mais ils sont assez intelligents pour comprendre que la victoire a un prix, au sens « yougoslave » du terme (rires). Au cours de la saison, malgré les fortes turbulences en dehors du terrain, Ivanovic restera imperturbable, concentré sur ses objectifs sportifs. Il pourrait y avoir un tremblement de terre, Ivanovic ne bougerait pas. Flippant.


JLB : Ça m’impressionne vraiment : tous sports confondus, je ne suis pas sûr qu’il y ait beaucoup de groupes capables de subir tant de discipline. Ce CSP en fait partie, comme le CSP de Maljkovic en 93 ou le Vitoria du début 2000, les équipes d’Obradovic ou celles de Van Gaal dans le foot. Un autre coach qu’Ivanovic n’aurait sans doute pas eu cette faculté à mobiliser ce groupe et ces égos en dépit des turbulences extra-sportives. Regardez, malgré d’autres difficultés, très différentes certes, avec le COVID cette année, il parvient quand même à être champion d’Espagne !


"Le succès est le cimetière des équipes moyennes ». Cette phrase de l’ancien coach Bozidar Maljkovic, citée 6 ans plus tôt au moment de la victoire en coupe d’Europe 1993, est terrible mais elle semble aussi très adaptée à la situation de la saison 1999-2000.


FC : Maljkovic prononce cette phrase sur le parking de la salle du Pirée, juste après le titre européen de 1993, comme pour avertir les dirigeants que le plus dur est à venir. Et il n’avait pas tort ! 2000 arrive parce qu’il y a eu 1993. Le titre suprême, c’est aussi le début des ennuis financiers pour le CSP qui va chercher en vain à conserver son standing. La situation illustre la difficulté pour un club français des années 90 de rester au sommet. L’OM a eu les mêmes problèmes dans le foot. Et ça « pète » en 2000 parce que la coupe est pleine.


Comment va le club aujourd’hui ? S’est-il remis de ces histoires extra sportives ?


FC : Maljkovic avait raison… Le CSP est devenu un club de milieu de tableau. Le club a d’abord replongé en 2004 puisqu’il était une nouvelle fois au bord du chaos. Avant de se reconstruire avec l’arrivée de Frédéric Forte à la présidence, qui est parvenu à conquérir un doublé surprise en 2014/2015. Mais la disparition de ce dernier, en 2017, a ramené de l’instabilité au niveau de la direction. Si le club semble un peu plus apaisé aujourd’hui — Céline Forte a repris le contrôle — les résultats sportifs sont décevants et la période dorée des années 80/90 est un lointain souvenir.


JLB : Je suis un peu moins sévère. Le CSP est en phase de transition, comme l’est une grande partie du basket français qui doit se renouveler. L’ASVEL a commencé ce travail bien avant avant mais bénéficie des moyens de Tony Parker, Jean-Michel Aulas et d’une agglomération d’une toute autre taille. Le CSP actuel pâtit surtout des turbulences engendrées par la disparition de Fred Forte, qui avait une vision, même si sa gestion était également onéreuse. Mais ses successeurs sont partis en vrille. Aujourd’hui, la nouvelle équipe montée par Céline Forte dit aspirer à construire sur le long terme et l’on sait qu’il faut du temps pour construire les fondations. L’accent est de nouveau mis sur la formation, sur la continuité dans l’effectif professionnel, ça ne brille pas mais ça semble cohérent. Alors oui, le club n’a pas encore de grandes ambitions sportives mais je crois qu’il faut en passer par là pour en nourrir ensuite durablement. Je ne sais pas s’ils réussiront mais je pense qu’un peu d’humilité est une bonne chose pour ce club, cette ville et la suite. Avec des bases plus saines, il leur sera peut-être permis de rêver à nouveau.


François Chevalier et Jérémy Le Bescont. Bonnes vacances. Entorse, 2020.



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