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Entretien avec Gaétan Alibert, M. Baseball !

Le baseball est arrivé en France il y a 130 ans. Pourtant, on ne peut pas dire qu'il soit très connu. Heureusement, Gaétan Alibert, chroniqueur sportif pour plusieurs médias dont Ecrire le Sport, s’évertue depuis plusieurs années à nous faire découvrir le National Pastime des Etats-Unis, qui va bien au-delà d’une simple activité sportive. Avec son livre "Une histoire populaire du baseball" (Ed. Blacklephant), il poursuit son entreprise de médiation via les parcours de cinq joueurs et cinq joueuses qui ont marqué le sport à leur manière. Rencontre avec notre M. Baseball !


Dans le livre, tu as choisi de mettre en lumière des joueurs et joueuses moins connus plutôt que Babe Ruth ou Joe DiMaggio. Pourquoi ?

Premièrement, je souhaitais explorer l’histoire du baseball par des chemins de traverse et éviter les chemins convenus que sont les carrières d’un Jackie Robinson ou d’un Babe Ruth, qu’on peut déjà retrouver dans certains livres français ou traduit en français. Pour Joe DiMaggio, on a, par exemple, la très belle biographie de Jerome Charyn, traduite et publiée par les éditions du sous-sol, en 2019 de mémoire. Néanmoins, les grands noms du baseball ne sont pas absents du livre. On les retrouve ici et là tout le long de la lecture mais ils ne sont pas au centre du récit. Parce que le baseball a été écrit par bien des personnes, connues ou non, et que les légendes du Hall of Fame ont brillé avec tant d’intensité qu’elles ont parfois eclipsées bien d’autres actrices et acteurs de cette histoire. Sans compter celles et ceux qui ont été mis dans l’ombre volontairement car ne correspondant pas à l’histoire officielle. Cela a longtemps été le cas du Black Baseball, le baseball des Noirs américains et des Noirs venus d’Amérique Latine, des Amérindiens, des Américains d’origine japonaise ou encore du baseball au féminin.

Heureusement, cela change depuis quelques dizaines d’années maintenant, avec un travail de plus en plus fourni pour faire sortir de l’ombre une large part de l’histoire du baseball. A l’instar d’un livre comme Une Histoire Populaire du Sport aux Etats-Unis de Dave Zirin (Lux éditeur), il me semble important de parler du baseball sous l’angle des luttes contre les discriminations et pour l’émancipation, luttes ancrées dans des réalités historiques dont le baseball fut un acteur, comme dans la mise en place de la ségrégation à la fin du 19ème siècle avec Cap Anson des Chicago White Stockings puis le début de sa fin avec l’arrivée de Jackie Robinson en MLB lors de la saison 1947.

Et puis, je voulais avoir la parité Femme-Homme dans les protagonistes principaux de mon livre. Forcément, cela m’obligé à m’éloigner des grandes figures masculines qui trustent les livres et les documentaires sur le baseball pour aller vers des figures féminines. Actuellement, une seule femme est élue au Baseball Hall of Fame américain, Effa Manley. Il s’agit d’une dirigeante des Negro Leagues, ces ligues noires qui ont existé du début des années 1920 au début des années 1960 durant la ségrégation. Elle est d’ailleurs l’une des têtes d’affiche du livre.



Comment les as-tu sélectionnés ?

Pour la majeure partie, cela s’est fait assez simplement. Je voulais retracer quelques grandes périodes de l’histoire du baseball et certains noms se sont imposés rapidement comme le lanceur Bill Lee, surnommé Spaceman, afin de retracer les mouvements sociaux et luttes sociétales dans les années 1960/1970 ou encore Effa Manley pour parler des Negro Leagues. J’ai parfois dû faire des choix quand des joueurs ou joueuses se partageaient une période et une thématique. Je pense, en particulier, à Edith Houghton, dans le premier chapitre, qui me permet de parler du baseball au féminin dans la première moitié du 20ème siècle. J’aurais pu choisir à sa place Lizzie Murphy, The Queen of Baseball, qui a eu aussi une carrière très inspirante. Au final, j’ai tranché même si je regrette encore de ne pas avoir parlé de Lizzie Murphy. Je me rattraperai dans un autre livre j’espère.

Un autre critère était l’insolite, le hors-norme. Je voulais des histoires extravagantes, qui étonnent, qui rendent curieux, afin de toucher un plus grand public que les seules personnes passionnées de baseball ou de sports américains. Dans la même logique, je voulais aussi des histoires universelles, dans lesquelles tout un chacun peut se retrouver et qui permettent de faire le lien entre une histoire personnelle et la grande Histoire. L’idée était de conter des histoires et donc, malgré toutes les informations données, de rester fluide dans la narration et l’écriture pour donner une lecture la plus plaisante possible. Les premiers retours que j’ai eu font penser que le pari est réussi et c’est d’ailleurs ce qui a séduit mon éditeur Blacklephant Editions au départ, une œuvre aussi intéressant sur le fond qu’agréable sur la forme.


As-tu une préférence pour une personnalité en particulier ?

Toujours une question difficile. Qui choisir dans les cinq femmes et cinq hommes qui forment les trames de chaque chapitre ? Ayant une forte sensibilité militante, je me sens proche d’Effa Manley et de Bill Lee. L’une a été une dirigeante des Negro Leagues, l’autre un lanceur de la MLB. Mais les deux ont fait de leur place dans le sport une tribune pour une vision plus juste du monde. Leur passion pour le baseball, qui était immense et centrale dans leur vie, et qui l’est toujours pour Bill Lee, toujours lanceur à 75 ans, ne les a jamais empêché de lutter pour les autres et pour un monde plus juste, quitte à se mettre dans la marge eux-mêmes, au lieu de profiter de positions sociales avantageuses. Puis, le chapitre de Bill Lee est sûrement celui qui m’a le plus marqué au niveau de l’écriture. Ce fut à la fois long, épuisant et réjouissant.


Tu as respecté la parité homme-femme car le baseball féminin a une histoire importante mais oubliée. On retrouve les premières joueuses, recruteuses, manageuses. Peux-tu nous rappeler les grandes lignes du baseball au féminin ?

Oui, c’était vraiment un impératif pour moi cette parité, revaloriser le matrimoine du baseball au féminin et ne pas aller à la facilité de parler du baseball au masculin, plus connu et plus riche en histoires et archives. Pour les femmes du livre, il a parfois fallu que j’aille plus loin dans mes recherches qu’avec les cinq hommes. D’une manière générale, je veux apporter ma part dans la médiatisation du sport au féminin et cela commence par mettre en lumière son histoire et son impact dans l’histoire des sociétés humaines.

En ce qui concerne le baseball au féminin, il s’agit d’une histoire presque aussi ancienne que le baseball lui-même. La première équipe féminine connue de baseball date de 1866. Il s’agissait d’une équipe du Vassar College. En 1875, des femmes sont même payées pour jouer au baseball dans l’Illinois. Le match oppose les Blondes et les Brunettes. La fin du 19ème siècle voit la création des Bloomer clubs, du nom de la militante féministe Amélia Bloomer qui créa un pantalon facilitant les pratiques sportives et qui porte son nom. Jusque dans les années 1920, des femmes jouent professionnellement ou semi-professionnellement entre elles, avec des hommes ou contre des hommes, telles Edith Houghton, Lizzie Murphy, Lizzie Arlington, Maud Nelson, Jackie Mitchell ou Babe Didrikson Zaharias. Ce n’est pas toujours simple mais certaines arrivent à faire de belles carrières et même a joué des matchs exhibition avec et contre des joueurs de la MLB, comme Jackie Mitchell qui, à 17 ans, va retirer par strikeout Babe Ruth et Lou Gehrig, deux des plus grands joueurs de tous les temps.

Dans les années 1930, une vague réactionnaire s’abat sur les femmes, qui avaient gagné des droits et de la considération les deux décennies précédentes, notamment pour avoir tenu le pays en reprenant le travail des hommes parties à la guerre. Elles sont orientées massivement vers le softball pour des raisons que j’explique dans le livre. Elles sont renvoyées dans l’ombre, le baseball, sport roi de l’Amérique, devant rester l’apanage des hommes. Il en sera de même dans les années 1950 de l’American Way of Life alors que les femmes ont joué professionnellement de 1943 à 1954 au sein de la All American Girl Professional Baseball League, immortalisée en 1992 par le film de Penny Marshall, Une Equipe Hors du Commun. A nouveau, le baseball au féminin sera renvoyé à l’oubli jusqu’à la fin des années 1980 où l’histoire de la AAGPBL va refaire surface et où des jeunes filles vont à nouveau s’emparer des terrains comme Julie Croteau, l’héroïne du dernier chapitre, chapitre qui revisite l’évolution parralèle du sport au féminin et des luttes féministes de l’après-guerre à nos jours à travers le prisme du baseball. Depuis, le baseball au féminin vit un renouveau stimulant et ce, jusqu’en France, même il reste en retrait du baseball au masculin et de ses stars en MLB.




Pourtant le joueur le plus connu en France est une joueuse ! A la fin du livre, tu évoques Mélissa Mayeux. Peux-tu nous en dire plus sur elle ? Pourra-t-elle être la première joueuse à intégrer la MLB ?

Mélissa apparaît naturellement dans le dernier chapitre et je montre comment son histoire personnelle est entré en résonnance avec le renouveau du baseball au féminin et la montée en puissance du sport au féminin. Mélissa a été une prodige du baseball français et son talent, sa passion et sa volonté de jouer au baseball au plus haut niveau ont permis de donner un coup de boost à un mouvement au sein de la Fédération Française de Baseball Softball pour permettre aux jeunes filles, après 15 ans, de jouer au baseball avec les hommes en championnat. En 2015, elle a notamment fait un buzz international en devenant la première femme à être sur la liste internationale des potentielles recrues de la MLB. Cela veut dire qu’elle pouvait signer avec une des trente franchises de la ligue. Ce n’est pas arrivé mais ça restait un pas de plus dans la reconnaissance du baseball au féminin. Aujourd’hui, son nom a rejoint celui de Julie Croteau, de Edith Houghton, de la AAGPBL et de toutes les grandes pionnières du baseball au féminin.

En revanche, afin de pouvoir jouer au plus haut niveau sportif possible après le lycée, elle a opté pour le softball universitaire américain et elle joue actuellement dans l’une des plus grandes équipes de softball des Etats-Unis, les Ragin’ Cajuns de l’université de Louisiane, en NCAA D1. A ce propos, je vous conseille son interview sur le podcast A Coup Sûr il y a quelques mois où elle parle de son parcours et notamment la difficulté de gérer sa renommée. C’est très intéressant, surtout à l’heure où on évoque de plus en plus la santé mentale des athlètes et le poids d’être un exemple. Mais pour répondre à la dernière question, il est impossible de voir Mélissa en MLB comme joueuse. Elle a choisi une autre voie mais qui sait, on la verra peut-être comme coach un jour. Plusieurs anciennes joueuses de softball sont devenues des coachs en MLB ou en ligues mineures ces dernières années, comme Alyssa Nakken en MLB aux San Francisco Giants ou Rachel Balkovec en ligues mineures pour les New York Yankees. Pour le moment, on recherche encore celle qui sera la première joueuse en MLB. Dans les années 1980, on a pensé que ce serait une joueuse de deuxième base. Aujourd’hui, on pense que ce sera une lanceuse avec une balle à effet spéciale la rendant difficile à frapper. Wait and see comme disent les Américains.


On sait que le baseball, comme le foot américain, est un sport dans l’ombre en France. Pourtant dans l’intro, tu rappelles qu’il est arrivé dans notre pays, il y a 130 ans !

Oui. Je voulais absolument parler du premier match officiel de baseball en France, celui du Spalding’s World Tour à Paris le 8 mars 1889. C’est l’une des raisons qui m’ont conduit à faire un chapitre autour d’AG Spalding, un des pères fondateurs du baseball professionnel, et donc d’accepter dans les dix protagonistes cet intrus. Autant les autres sont des personnes qui ont lutté contre diverses formes d’oppression ou ont été des parias, autant Spalding est du côté des puissants et des oppresseurs puisqu’il a participé à la mise en place de la ségrégation dans le baseball, en soutenant son manager et joueur star Cap Anson, à l’origine du bannissement des Noirs des ligues majeures et mineures à partir de 1887. Mais Spalding est profondément connecté aux premières années du baseball français et il pensait même que la France serait le prochain grand pays du baseball. Malheureusement pour nous, cela n’a pas été le cas. De ce fait, la France a une vieille mais contrastée histoire avec le baseball. Mais une histoire très riche et on en découvre encore. Actuellement, je fais partie de la commission Mémoire Fédérale de la FFBS et d’un groupe d’auteurs qui travaille sur un livre du centenaire pour 2024. Dans le cadre des recherches, on a découvert des histoires inconnues jusqu’à alors comme celle d’un abbé résistant moniteur de baseball durant l’Occupation. C’est passionnant de travailler sur cette histoire en grande partie oubliée. Alors que la FFBS connaît un record de licencié.e.s dans son histoire, il est important de découvrir ou redécouvrir cette histoire.


Comment expliques-tu que le baseball soit aussi présent dans la Culture (littérature, cinéma, Arts…) ?

Plusieurs raisons peuvent l’expliquer. L’une d’elles est que le baseball a acquis sa position de sport national au moment de la guerre de Sécession. Quand la guerre débute en 1861, le baseball est déjà un sport important mais toujours en concurrence avec le cricket. Mais la guerre civile a permis une large diffusion du jeu grâce aux soldats, qui y jouaient dans chaque camp entre deux batailles meurtrières pour lutter contre l’ennui, et qui ont ensuite diffusé le jeu un peu partout aux Etats-Unis. Et quand la guerre s’est finie, le baseball a été un symbole de ce que partageaient Nord et Sud dans la nouvelle nation américaine. National Pastime, symbole de paix et d’union, le baseball a été un des moyens de développer une mythologie pour cette jeune nation. Si en France, notre mythologie repose sur les grandes civilisations européennes et leurs héros, les Etats-Unis vont développer les leurs, que ce soit avec les héros de la guerre de Sécession, les cow-boys célèbres ou les stars du baseball. Et, forcément, quand on accède à une fonction mythologique, on inspire les artistes. Très tôt, le baseball a inspiré les artistes et des liens se sont noués entre baseball et monde de la culture. En 1889, le star du baseball King Kelly inspire ce que l’on peut considérer comme le premier grand tube de la musique populaire américaine, la chanson « Slide, Kelly, Slide ». Ce lien est également renforcé par le fait que le baseball se professionnalise ouvertement dès 1869, s’ancrant encore plus dans la culture populaire américaine. Au Japon ou en Amérique Latine, le baseball s’est construit différemment dans l’imaginaire populaire mais, au final, il a aussi investi différentes formes d’art. On compte près de 400 mangas de baseball depuis le premier, Batto-kun, en 1947. Il devance de loin le football et le tennis, qui complètent le podium.

Pendant très longtemps, aux Etats-Unis, le baseball n’a eu aucun concurrent en tant que sport et très peu de loisirs ont mobilisé les passions populaires comme lui pendant plusieurs décennies. Il était ce qui définissait l’âme américaine, comme le cricket a longtemps défini l’âme anglaise. Comme je le dis dans le livre, la mythologie autour du baseball est une construction sociale et politique mais ça a fonctionné. Et même aujourd’hui, malgré que le fait que le football américain a pris le leadership sur le sport US, le baseball reste à part dans l’imaginaire collectif américain. Et puis, entre la richesse de son histoire et la construction du jeu, autour du duel lanceur vs batteur, les changements de rythme, le baseball permet d’explorer l’âme humaine, de parler histoire et politique, ou d’offrir des scènes de sport intenses, comme dans nombre de films hollywoodiens ou dans les mangas japonais. Ceci explique que bien des œuvres autour du baseball soient cultes et traversent même l’Atlantique. Je pense à des films comme Le Stratège, 42 ou Field of Dreams, à des romans de type Comment tout a commencé de Pete Fromm chez Gallmeister ou Le Meilleur de Bernard Malamud chez Rivages ou bien aux mangas de baseball de Mitsuru Adachi dont le plus connu en France est Théo ou la batte de la victoire, Touch en VO.

Il y aurait beaucoup à dire sur les liens profonds et féconds entre baseball et culture mais je partirai sur un nouveau livre en continuant à en parler. En tout cas, c’est une des raisons de ma passion pour le baseball.


Propos recueillis par Julien Legalle

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