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Entretien avec Maxime Dupuis, co-auteur du livre "Les Grands Récits"

« Les grands récits » est une respiration au milieu de l’actualité parfois étouffante du sport. Après les articles sur le site d’Eurosport, des podcasts, ce format vient d’être adapté en livre chez Amphora. Avec Panard, l’Équipe Explore et d’autres magazines de qualité, on voit qu’il y a de la place pour autre chose. Une réussite qui nous donne envie d’en savoir plus sur les coulisses de format qui prend le temps de raconter des histoires. Entretien avec Maxime Dupuis, co-auteur du projet.



Il y a 5 ans vous avez entamé une réflexion pour créer un nouveau format de lecture sur le site d’Eurosport. Pourquoi ? Quel constat faisiez-vous ?

Globalement nous sommes toujours à la recherche de nouveau format pour éviter la routine quotidienne. Nous savons ce qui marche sur l’actu, sur les magazines, mais l’idée c’était de proposer autre chose, de tenter ce pari du long récit sur Internet. De prendre le temps de raconter alors qu’il s’agit d’un média de l’instantanéité où le lecteur peut zapper très rapidement d’un article à l’autre. Avec Laurent Vergne, le co-auteur de ces articles, on adore le sport et l’histoire. Typiquement pour moi, les grands récits, c’est la réunion du sport et de l’histoire. Il y a l’histoire qui rencontre le sport, le sport à côté de l’histoire et le sport qui vient jouer un rôle dans la grande histoire. Essayer de partager ce que nous aimions. Parfois, ce sont des histoires qui nous ont marqué lorsque nous étions enfants. Le premier grand récit a été écrit par Laurent sur Manute Bol, le géant de 2,31m qui a pris feu à trois points en 1993. C’est une histoire qui dans l’histoire du sport est anecdotique mais qui est un moment sympa à raconter. Notre objectif est qu’une personne qui n’aime pas un sport ait envie de lire un grand récit sur ce sport. Il faut donc donner une vraie expérience de lecture pour convaincre le lecteur de s’y intéresser. Le plus beau compliment que je pourrais recevoir c’est qu’un lecteur me dise : « Je n’aime pas la F1 mais j’ai adoré ce que vous avez écrit sur Ratsenberger ». Notre objectif est de raconter des histoires qui vont dépasser le simple cadre du sport.


De mon point de vue, on retrouve des points communs avec L’Équipe Explore et Desports, notamment dans cette idée de prendre le temps de raconter des histoires du sport. Est-ce une inspiration pour vous pour développer ce nouveau format ?

Pour être tout à fait franc, je suis davantage inspiré par le journalisme sportif américain et plus particulièrement par ESPN. D’ailleurs vous remarquerez que nous traitons souvent le sport US. Il y a aussi un meilleur archivage de la presse. L’Équipe Explore est aussi une expérience visuelle, ce nous ne proposons pas. Et notre différence est que l’Equipe Explore va vers des sujets que j’appellerai « pédagogique », de décryptage. En revanche, notre point commun est de prendre le temps, de se donner les moyens de raconter une histoire, de la développer. Avec Laurent, on ne se donne pas de limite haute ou basse de signes, nous sommes libres. On écrit tant que l’on a des choses à dire. Le plus long fait 42 000 signes ! Je crois que c’est celui sur Prost-Senna. Si on regarde l’histoire d’Internet depuis 25 ans, on voit qu’il y a eu un moment pour tout. Les réseaux sociaux, le buzz, et aujourd’hui on observe davantage un retour aux sources, de prendre le temps de raconter.


Avec les articles en ligne sur Eurosport, le podcast, l’adaptation du projet en livre est-elle votre idée ou celle de l’éditeur ?

Nous avons commencé par la rédaction d’articles en ligne et comme nous rencontrions un beau succès d’estime, avec de nombreux commentaires très positifs - ce que n’est pas vraiment le cas lorsque nous traitons de l’actualité - nous avons poursuivi avec le format podcast, à nouveau avec succès. Comme Eurosport est diffuseur des JO, un gros sponsor s’était montré intéressé pour raconter des histoires olympiques et on nous a sollicités pour faire des vidéos. La dernière étape est ce projet de livre. C’est une démarche de l’éditeur Amphora, auditeur du podcast, qui trouvait que ces histoires-là avait leur place dans un ouvrage. Nous étions flattés par cette proposition car depuis 20 ans, j’écris uniquement sur le web et j’avoue que l’idée de faire un livre était très importante pour moi.



Comment avez-vous travaillé pour ne sélectionner que 14 portraits sur 150 ?

En réalité nous n’en avons choisi que 13, car celui sur Martin Fourcade est un inédit pour la sortie du livre. Avec Laurent, chacun de notre côté, nous avons fait notre liste idéale des récits écrits par l’autre, puis nous l’avons mis en commun. Nous voulions aussi représenter plusieurs sports, de mixer histoires d’hommes et de femmes. Harding/Kerigan tenait une place importante pour moi car c’est typiquement le grand récit par excellence. C’est un événement qui m’a marqué lorsque j’étais jeune. Je me souviens du bruit médiatique que cette histoire a engendré, de l’ampleur de l’affaire. Et puis cela m’a permis de replonger dans les archives d’un sport que je ne maitrise pas. Je ne suis pas du tout spécialiste de patinage artistique. Je suis allé voir des spécialistes pour être le plus précis possible.


Lors de vos recherches, qu’est-ce qui fait qu’une histoire va devenir un grand récit ?

Il faut du souffle et de l’élan héroïque. Ce n’est pas toujours un événement décisif qui fait la grande histoire du sport. Je pense au récit que j’ai écrit sur la demi-finale du 200m de Barcelone du 5 aout 1992. Mike Marsh passe à un centième de battre le record du monde mythique de Pietro Paolo Mennea alors qu’il s’est relevé longtemps avant la ligne. Un record derrière lequel Carl Lewis courrait depuis 12/13 ans. Il ne le battra jamais. C’est une histoire géniale à raconter et j’ai l’impression que tout le monde l’avait oublié. Cela dit quelque chose de la dimension humaine et sportive. Il est passé à un rien d’entrer dans la grande histoire du sport même s’il est devenu champion olympique. Il serait entré davantage dans la légende. Il y a 4 ans, j’avais fait un article sur Guy Stéphan juste après le mondial en Russie. De prime abord, on peut penser qu’il n’y aura pas ce souffle épique, car c’est un adjoint et quelqu’un d’assez discret dans les médias. Pourtant, il y avait beaucoup de chose à raconter. A contrario, nous n’avons pas encore écrit sur Jesse Owens et les JO de Berlin. Pour moi, cela reste presque trop évident. Il faudrait trouver une accroche originale.


Vous êtes deux auteurs, comment arrivez-vous à conserver votre style d'écriture sans que le lecteur soit capable de vous distinguer ?

Ce n’est pas travaillé. Il y a peut-être un peu de mimétisme de ma part car Laurent a vraiment une plume incroyable. On se relit mutuellement, on s’aide parfois. Nous avons une approche du sport commune, on aime ce qui sort de l’ordinaire. On sait que dans une performance, il y a aussi une époque, un contexte, qu’il faut savoir regarder un peu à coté du stade. Nous détestons l’anachronisme. On ne veut pas faire une analyse à rebours. Le lecteur ne doit pas ressentir cela. Nous nous replongeons dans les archives de l’époque pour éviter cet écueil. Nous faisons un gros travail sur la remise en perspective. Nous essayons de mettre tous ces éléments en avant, c’est peut-être pour cela que vous y voyez une unité.


Parmi les 14 portraits avez-vous une préférence ?

J’ai beaucoup aimé raconter Tonya Harding mais il y a un récit qui me tenait davantage à cœur. En tant que passionné de F1, c’est le récit du destin tragique de Roland Ratzenberger, le pilote automobile autrichien. Le Grand Prix de Saint-Marin à Imola marque un moment noir pour la formule 1. D’abord, Barrichello s’envole dans les pneus, puis le dimanche, il y a l’accident tragique de l’icône Ayrton Senna, mais tout le monde a malheureusement un peu oublié l’accident survenu lors des qualifications qui va coûter la vie à Roland Ratzenberger. C’est un peu l’anti-Senna. Il arrive très tard en F1, c’est seulement son 4e grand prix, et il trouve la mort dans une Simtek. Ces images-là m’ont longtemps hanté, car on voit sa tête dodeliner, qu’il est inerte et qu’il est probablement mort. C’est très cruel car mourir le même week-end que Senna va le laisser un peu dans l’oubli. Il faut se souvenir que Senna ne voulait pas vraiment participer au grand prix, qu’il avait un drapeau autrichien dans son habitacle pour célébrer la mémoire du pilote en cas de victoire… Il y aura une foule incroyable aux obsèques du brésilien dont les grandes figures de la F1 et trop peu lors des funérailles du pilote autrichien.

Dans un autre genre, j’ai aimé faire le texte sur Reggie Miller, car le début de l’article, ce sont des souvenirs de gamin de New-York avant d’y être allé. À la maison, mes parents avaient un livre de New-York vu d’en haut. J’étais fasciné par cette ville rectangulaire. Et le madison square Garden est rond. Tout cela pour vous dire que parfois le choix du récit a un lien direct avec nos souvenirs et notre sensibilité.


Un tome 2 est-il prévu ?

Avec Laurent, nous aimerions bien une suite, en y mettant plus d’inédits. Nous verrons si notre éditeur est intéressé. Il faudra attendre les chiffres des ventes pour prendre une décision. Depuis 20 ans, j’écris sur le web, mais la publication d’un livre, la noblesse de l’objet, est une véritable fierté pour nous.


Propos recueillis par Julien Legalle


Maxime Dupuis et Laurent Vergne, Les Grands récits, Amphora, 2022.

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