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L’Art de nager le crawl

Les éditions Séguier se revendiquent « Éditeur de curiosités », ce que démontre bien la republication de L’Art de nager le crawl. Paré pour l’occasion d’une couverture à l’esthétique vintage et glamour assumée, qui représente le nageur et auteur du livre en train d’enseigner la natation à sa compatriote l’actrice Leila Hyams, initialement pressentie pour jouer Jane dans Tarzan, L’Homme-singe, le livre ne manque pas d’attirer l’œil.




Paru pour la première fois aux États-Unis en 1930 sous le titre Swimming the American Crawl, il fut traduit par Michel Vaucaire et publié en France l’année suivante, tandis que Jean Vigo filmait quant à lui un autre « roi de l’eau », Jean Taris (La natation par Jean Taris, 1931), preuve du vif intérêt que suscitaient à l’époque les nageurs.

Structuré en 19 brefs chapitres, le livre de Johnny Weissmuller est à la fois un précis de natation et un témoignage historique sur la perception du corps sportif et sur son hygiène au début de la décennie 1930. Rédigé à la première personne, ce précis de style et de technique est aussi un hommage à l’entraîneur et mentor de Weissmuller, Bill (William) Bachrach (1879-1959) à l'Illinois Athletic Club (IAC) de Chicago, présenté à plusieurs reprises comme un Pygmalion : « Quand "Bach" me prit en charge, je n’avais que 16 ans et je n’étais pas formé. J’étais comme un bloc de terre glaise naturelle, tout prêt à me laisser façonner selon les principes de la nage idéale, fruit des longues recherches de mon entraîneur. » (p. 20).



Avant de vous en dire un peu plus sur le contenu du livre, je vous propose de revenir brièvement sur l’histoire de la légende Johnny Weissmuller, qui présida, dès sa création en 1964, le panthéon mondial de la natation, l’International Swimming Hall of Fame (ISHOF).




Johnny Weissmuller en 1924 aux Jeux Olympiques


Surtout connu du grand public pour son rôle de Tarzan, qu’il interpréta à une dizaine de reprises au cinéma entre 1932 et 1948, Johnny Weissmuller fut avant cela un champion olympique multimédaillé, à Paris en 1924 puis à Amsterdam en 1928. Né en 1904 en Europe de l’est sous le nom de János Péter Weissmüller, le futur Johnny émigre avec sa famille aux États-Unis alors qu’il n’a que quelques mois. Comme une autre nageuse célèbre, l’Australienne Annette Kellermann, le jeune Johnny, alors âgé de 10 ans, contracte la poliomyélite. Et comme à Annette Kellermann, un médecin lui conseille la pratique de la natation pour l’aider à combattre la maladie. C’est le début d’une vocation.

Le « style » dont parle à plusieurs reprises Weissmuller dans son livre, est le résultat de plusieurs paramètres, que détaille l’athlète en partant de sa propre expérience. Il y a tout d’abord une morphologie élancée et souple, qui rappelle celle du serpent ondulant et glissant (« […] l’individu long et serpentin est avantagé pour nager vite et en même temps conserver de la souplesse qui permet au sang de couler librement dans les artères. En glissant sur l’eau, il rencontrera moins de résistance que le nageur carré », p. 18). Précisons ici que le verbe to crawl signifie « ramper » en anglais, comme le fait le serpent. La souplesse est d’ailleurs le terme le plus fréquemment employé sous la plume de Weissmuller, qui en fait la clé absolue de la nage. Puis viennent les conseils de placement des jambes, des bras, et de la tête, que Weissmuller maintient hors de l’eau, comme au water-polo, discipline dans laquelle il remporta d’ailleurs le bronze olympique. À cela s’ajoutent des conseils d’hygiène de vie (sommeil, routine d’entraînement) et de diététique (chapitres « Comment je me maintiens en forme » et « Le régime que j’ai suivi »). Notons ici que Weissmuller ne prône pas de régime d’éviction (de « renoncement » écrit-il), notamment en ce qui concerne les jeunes nageurs.


L’alternance entre des chapitres « techniques », dédiés à la posture corporelle et à la respiration et des chapitres plus personnels, dans lesquels le nageur se remémore des épisodes-charnières de sa carrière (« Mes débuts en compétition », « Mes deux participations aux Jeux Olympiques ») en rend plaisante la lecture même pour les non-spécialistes de la discipline. Les lecteurs férus d’histoire trouveront eux aussi de quoi nourrir leur passion, entre extraits de presse et témoignages d’époque, qui relatent les moments de gloire mais aussi les difficultés passagères : « Ma carrière, dans les championnats, ne fut pas un bonheur sans mélange, du début à la fin. J’eus mes hauts et mes bas, comme tout le monde » (p. 135). Autre fait méconnu, Johnny Weissmuller usurpa l’identité de son frère Peter, né aux États-Unis, car étant devenu apatride suite à la chute et à la disparition de l’Autriche-Hongrie, il n'aurait sinon pas pu participer aux Jeux Olympiques de Paris au sein de la délégation américaine. S’il parle bien dans le livre de son « frère Peter », et s’il fut à l’issue de ses exploits aux JO pleinement reconnu comme citoyen américain, il soutient toujours être lui-même « né à Windber, en Pennsylvanie » (p. 121), version qu’il maintiendra tout au long de sa vie et indication qui figurera même dans son avis de décès.


Si vous voulez profiter de l’été pour découvrir les secrets de Tarzan avant qu’il ne devienne « l’homme-singe » tout en parcourant une période faste de l’histoire de la natation américaine et mondiale, n’hésitez pas à vous procurer « L’Art de nager le crawl » !


En complément de cette lecture, vous pouvez visionner le documentaire d’ARTE intitulé Tarzan, le seul le vrai : https://youtu.be/LuD2xD8P6l0


Anne-Sophie Gomez



Johnny Weissmuller, L’art de nager le crawl, Éditions Séguier, 2023.




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