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Les Jeux en poésie (partie 4)

En 1924, Paris accueille les Jeux olympiques d’été. Quelques mois plus tôt avait eu lieu à Chamonix, une « semaine internationale des sports d’hiver », rebaptisée après-coup, « Premiers Jeux olympiques d’hiver ». Un poète, ami de Cendrars et qui fit l’enthousiasme de Cocteau, Géo-Charles assiste en fervent spectateur à la manifestation parisienne. Quelques mois avant, il a suivi, de la capitale et par le biais de la presse, les prouesses qui se jouaient dans la neige de Chamonix… Et de ces Jeux de 1924, Géo-Charles livre un recueil d’une incroyable modernité : La VIIIe Olympiade. Le parti pris est simple : une épreuve olympique = un poème.

Cent ans plus tard, Paris accueille les Jeux et un collectif de poètes se rassemblent pour marcher dans les pas de Géo-Charles sur l’invitation de l’association Ecrire le sport : faire des Jeux, des poèmes ! Ils et elles « couvriront » les Jeux autrement en proposant un « compte-rendu » poétique, sensible et subjectif écrit à plusieurs mains. Pour faire vivre les Jeux autrement. Pour garder trace, réécrire, retraduire, trans-scrire. Ces textes seront publiés au fil des épreuves sur cette page.



*


10 août, Paris Sud - Handball


 Romain Fustier

 

on a pris une leçon de handball

 

vous effectuez vos premiers tirs dans les buts rouges-blancs

sur le plateau multisports de l’école primaire

 

elles étaient plus rapides que nous

plus puissantes

plus fortes

rien n’est jamais facile contre la Norvège

qui profitait de cinq minutes de flottement

 

le chassé-croisé attendu

tu veilles à ne pas mettre le pied sur la ligne des six mètres

à privilégier les passes à l’approche des cages

comme le conseille ton instituteur

 

les face-à-face manqués

les tirs sur les montants

des filles étaient peut-être au bout du rouleau

des pertes de balle françaises

pour certaines

 

il y a de la déception

 

un missile

twisté d’un délicieux coup de poignet

j’ai envie de souffler

de prendre du temps pour ma famille

 

je ne sais pas trop ce que je vais faire

 

les déboires tricolores ne faisaient que commencer

il faut être fières du parcours

 

vous apprenez à manipuler le ballon à la main

à limiter les déplacements à trois pas

passe interceptée

on y a toutes cru depuis le début

mais ce n’est pas toujours un conte de fées

ballon rendu

ballon perdu

 

*

10 août, stade de France- Athlétisme, 100 m haies

 Romain Fustier

 

elle a pris un excellent départ

isolée au couloir 2

pour prendre les devants de la finale

j’ai tout fait pour arriver à cette médaille

je suis pleine d’émotions

en tête jusqu’à la dernière haie

 

Cyréna Samba-Mayela en argent

 

une fois que je vois mon nom affiché sur l’écran

 

elle a longtemps cru à l’or

elle s’est fait devancer sur la ligne

 

il n’y a pas toujours énormément de conscience

lorsqu’on court

parce que ça va trop vite

ce n’est pas possible de conceptualiser

tout ce qui se passe

 

la course

il faut que je la regarde

 

 

*

11 août, château de Versailles - Pentathlon moderne, épreuve individuelle

 

Romain Fustier

 

le parc

tu te revois le fleuret en main

sous le préau de l’école

au cours d’un cycle d’initiation à l’escrime

 

les jardins à la française

le Grand Canal

tu plonges encore enfant depuis un plot en rentrant la tête

les parcelles forestières

tu feras des tours de piste en demi-fond au collège

 

c’est comme ça qu’il faut voir les choses

 

les grandes allées rectilignes

les parterres

j’en ai bavé

je voulais tout arrêter

 

j’avais des ailes

les courbes et les dessins

l’espoir après l’orage

 

quand je vous avais dit

qu’il y avait une belle histoire à raconter à Paris

la tempête du 26 décembre 1999

les rêves qu’elle poursuit

j’étais comme une reine dans le château de Versailles

les lisières de charmilles

les alignements de tilleuls

 

elle courait

elle nageait

elle avait dit qu’elle montait un peu à cheval

on sait à quel point tout peut basculer

d’un côté ou de l’autre

la grande part de folie qui la caractérise

pour se montrer capable de se transcender

parce que ce ne sont pas des choses

qu’on a de manière innée

 

les démons qu’elle a parfois dû combattre

 

je me souviens d’elle

 

ça se travaille

 

parce que c’était chouette de sentir quelqu’un de présent

qui était un diamant à tailler

 

Élodie Clouvel en argent

 

quand elle aligne toutes les parties d’elle-même

je passais dernière

il y avait un grand silence

je n’ai même pas senti

qu’on avait fait une barre

j’étais tellement dedans

je n’oublierai jamais ce cheval

la preuve qu’il ne faut rien lâcher

même quand on est au fond du trou

 

 

*

11 août, Bercy - Basketball

Romain Fustier

  

les marchandises qui arrivaient en amont de la Seine

tu remémores la finale du challenge perdue en poussin

il aura manqué quelques centimètres à l’équipe de France

pour provoquer un séisme inédit

 

le vin de Bourgogne

le bois du Morvan

tu auras fini troisième du concours départemental de shoots

les voies sur berge

ne franchiras pas la phase régionale en benjamin

 

les Bleues s’inclinent d’un point en finale

 

la gare de Paris-Bercy

les Intercités pour Clermont-Ferrand

je pense qu’elles n’étaient pas prêtes à ça

j’ai vu qu’elles avaient un peu peur

 

j’ai senti qu’on était là pour avoir la médaille d’or

l’espace taxis

la fin du début d’une histoire pour les Bleues

 

quelle satisfaction pouvez-vous tirer du match

de cette médaille d’argent

la dépose-minute

le dernier tir a transpercé le cercle au buzzer

 

Gabby Williams était encore marquée par l’épilogue

 

j’allais vite

le banc américain avait tout vu

exultait déjà

 

les commerces de type snack

le kiosque de vente de journaux

les guichets

 

que se passe-t-il au moment de votre tir

saviez-vous directement qu’il n’était qu’à deux points

les distributeurs automatiques de titres de transport

le salon d’attente

 

sauf que les Bleues avaient besoin de trois points

que le pied de l’arrière mordait la ligne primée

 

c’était dur de m’arrêter à temps

 

sur quoi ça se joue

des regrets et des promesses

s’il y avait faute ou pas

 

vous étiez en train de faire douter ces Américaines

 

les Bleues ont livré un combat titanesque

battues 66-67

 

de passer aussi près

c’est dur à encaisser

 

un match dont tout le monde va parler

pendant des années

 


*

Roland Garros 8 août 2024, finale olympique des poids mouches


Jean-Yves Tayac


L’œil d’Horus


A Billal Bennama, boxeur poids mouches

 

Tu as gravi les trois marches

Les chevilles serrées

Absent au monde

 

Tu as franchi la porte étroite

Des cordes bien tendues

Posé tes pieds légers

Sur la toile bleutée de l’aire périlleuse

 

Tu es le dernier espoir à pouvoir prendre place

Sur la plus haute marche

Le seul à pouvoir respirer les parfums de l’Olympe

 

Ce soir tes bandages de toile

Serrent un peu tes phalanges

Là d’où tu viens dit-on

Même les mémés aiment la castagne

 

Tu as laissé l’esthétique et la fraternité

A ceux qui t’ont porté de l’ombre à la lumière

 

Ebloui par la pluie de lumière

Qui fait briller ta peau

Acclamé par la foule

Que tu ne comprends pas

Tu n’as aucune haine

Tu ne connais pas l’autre

Pourtant l’autre est là

Dans son coin face à toi

Tu sais qu’il est ouzbek

 

L’Ouzbékistan…

La route de la soie…Samarcande

Ce nom qui fait rêver

Est ce soir sans objet

 

Hasanboy Dusmatov

Son bras ne doit pas être levé

Il s’agit du noble Art

Et vous êtes poids mouches

Il s’agit du noble Art

Du commerce des poings et non pas de la soie

 

Tu suivras ton instinct

Ton impérieux désir

De ressortir vainqueur

Du carré périlleux

Trois rounds…Trois fois trois minutes

Trois rounds où il avance sur toi

Trois rounds où il réduit la distance

Trois rounds où il te prend ton espace

 

Tu comprends l’intention

Dévie les trajectoires

 

Pas de retrait

Les bruits de la foule s’éloignent

 

Esquive instinctive

Le souffle d’un crochet

Te refroidit les tempes

Et rallume les braises

De ton ardeur sans faille

 

Tu ne sens pas les coups

Mais près de tes arcades

Ils laissent leur empreinte

 

 

Tu es là bien présent

Depuis trois ans tu te prépares

Depuis trois ans tu es là

Mais cet autre toi-même

Devine tous tes coups

Il avance…avance… avance

Frappe sous tous les angles

Tu contres…tu ripostes

Tu fais tout ce qu’il faut

Tu ne peux faire plus

 

Quand retentit le gong

Ton père vient vers toi

Tu cherches son regard

Il se fond dans le tien

Vous être rassurés

Fiers

C’est fini

 

Le combat est le père de toute chose

Affirmait Héraclite

Ton père est ton combat

Celui qui t’a mené au plus près des étoiles

Tu es le combat pour lequel il aurait donné tout ce qu’il possédait

 

L’arbitre ne lève pas ton bras

Ton œil est un peu meurtri

Ton œil… L’œil d’Horus

Celui de la piété filiale

 

A Blagnac vous revenez chargés d’une lune d’argent

Le soleil se lèvera demain

Vous retrouverez la salle

Où tous les soirs du monde

Des hommes et des femmes

Partagent en silence

Leurs efforts leur sueur

Et leur humanité

 

*

13 août 2024, Stade de France

Ludivine Joinnot

 

 

sous le ciel de Paris

nuages noirs ciel orageux

il faut de l’espace

des centaines d’acrobates répètent les gestes

je voudrais une fête en conscience

des Records pour célébrer les performances

un peu de biscuit supplémentaire

une rosace métallique mobile

des drapeaux des champions des médailles

des invités surprises qui ont la cote

une séance vidéo Lady Gaga

une arène dionysienne

une cascade à moto un générique

de l’émotion une montgolfière

du show du son des lumières

et la flamme

there is something inside us

we are still the same


*

Stade de France de Saint-Denis, 12.8.2024


Ludivine Joinnot


À Nafissatou Thiam

 

malgré la plaie profonde

elle cumule l'or et les points

maîtrise pleinement la discipline

performe à force de combiner les épreuves

trois courses deux sauts deux lancers

haies javelots poids

elle dépasse les records

hauteurs et longueurs

elle dépasse la barre

fait ses preuves au classement

à son palmarès les victoires se succèdent

suspense des huit secondes

pour un triplé historique

sur le podium, elle gagne le regard et la foi

de ceux qui portent fièrement le drapeau

 

*

Longues-sur-Mer, 10 aout 2024.


Henri Baron

NO FREE STYLE


La danse est

olympique

poétique

politique


Liberté

Égalité

Sorofraternité


Valeurs du sport

à géométrie variable


Médaille apolitique de la honte

décernée au jury

© Autobiopoèmes, Rêvoltes


L'Histoire retiendra que, le 10 aout 2024, lors des Jeux Olympiques de Paris, la breakdanceuse afghane Manizha (Bgirl) Talash a été disqualifiée après avoir mis sur ses épaules une étoffe sur laquelle elle affichait son soutien aux femmes de son pays.


*

2 août, Paris Sud- Tennis de table, simple


Romain Fustier



  

la porte de Versailles

la table de ping-pong dans le garage de la maison familiale

que tu dépliais avec ton voisin

les soirs de repas entre vos parents

 

le Périphérique

les boulevards des Maréchaux

tu auras tenté d’améliorer ton service au lycée

la modernisation fonctionnelle des équipements

 

Lebrun battu en demi-finales par Fan

 

les travaux étalés sur dix ans

ouvrir et paysager le lieu

je me suis fait démonter

 

*

3 août, Trocadéro - Cyclisme sur route, course en ligne

 

Romain Fustier


je ne savais pas à quelle place j’arrivais

une vue dégagée sur le tour Eiffel

on improvise un petit peu

 

elle et toi

vous longez le canal à vélo en suivant le chemin de halage

le funiculaire

j’étais concentré sur le fait de ne pas rouler

parce qu’il y avait Valentin devant

le Chat noir

la statue du chevalier de La Barre

 

le petit raidillon de la rue Lepic

Amélie Poulain

Audrey Tautou

vous pédalez sous la double rangée des platanes

leurs branches penchées sur les lentilles d’eau

 

l’ambiance aura été à la hauteur du décor

le public a su répondre présent sur le bord des routes pavées

les supporters de Montmartre m’ont poussé

j’ai donné tout ce que j’avais à donner

 

doublé en or pour Evenepoel

 

il avait profité de l’entrée sur le circuit final parisien

pour fausser compagnie aux autres favoris annoncés

 

Julien Alaphilippe a cette fois-ci laissé la lumière

à deux de ses habituels lieutenants

 

j’ai essayé de tenir dans la tête

parce que les jambes ne répondaient plus

j’avais mal aux oreilles vingt minutes après l’arrivée

 

Madouas et Laporte ont été portés par la foule

complètent le podium

 

les rues étroites flanquées de longs escaliers

une ambiance d’étape de montagne avec le son de la ville

de classique flandrienne

de critérium géant

 

c’est là

c’est le bon coup

la crevaison

la tour Eiffel en arrière-plan

un moment très stressant

 

on fait au feeling

 

il a pris le temps de célébrer comme il se doit

une fois la ligne franchie

le bon coup était parti

 

Remco Evenepoel entre dans l’histoire

 

*

5 août, la Concorde - Basketball 3x3


 Romain Fustier

 

j’arrêterai après mon bac

le jardin des Tuileries qui s’étend vers le Sud-Est

les Bleus ont fait décoller la Concorde

 

vous lancez vos premiers ballons au baby-basket

dans un panier coiffant une tige fixée sur un socle de parasol

l’Assemblée nationale

mon père serait notre entraîneur

quand je m’échauffe dans le gymnase sur un demi-terrain

place de la Révolution

la statue équestre de Louis XV renversée de son piédestal

 

les bas-fonds marécageux

les débordements de la Seine

leurs hasards

on ramène la médaille d’argent

ça a été un parcours tellement rocailleux

le siècle des Lumières

l’obélisque

ça se joue à rien

je n’ai aucun regret sur toute la compétition

 

la France n’était pas attendue à cette hauteur

on a gagné des matchs de fou furieux

 

on est cuits mentalement

physiquement

 

le goût de la combativité


*


Lundi 5 août, gymnastique épreuve au sol femmes, Paris


Marie Claes

 

petite fille de six ans qui débutes beaucoup trop tard on dit

pour un jour un haut niveau

petite fille qui progresses deux fois plus vite

deux fois plus loin que n’importe quelle autre

personne ne comprend tu

défies les lois de la physique

 

et noire et forte il faut le dire

visage pour toute une Amérique qui n’aime pas souvent les noirs visages gagnants

toi tu gagnes mais toi

si tu perds tu t’agenouilles

tu encourages tu

reconnais

 

n’en faisait pas autant celui qui

te soignant

profitait de ta vulnérabilité d’enfant

te reconnaître

 

n’en faisaient pas autant ceux qui t’ont vue déclarer forfait les petites voix sifflantes

lâcheuse

lâcheuse

te reconnaître dans ton humanité hantée des fantômes qui hantent l’humanité

 

humanité hors les bords

parfois cela arrive et parfois

carrément à des gens qui flamboient, verticaux même

s’ils tombent à genoux


*

6 août, stade de France - Athlétisme, 3000 m steeple


Romain Fustier

 

 

elle a réalisé un dernier tour de folie

avalant deux concurrentes sous les acclamations

 

Alice Finot nouveau record d’Europe

 

j’ai fait la course rêvée

une course à mon image

j’ai lâché les chevaux

j’apprends à me connaître

les nombreux changements de rythme

le franchissement des barrières

 

la rivière à l’intérieur du virage

tu traverses la gorge du torrent par une passerelle sur le vide

avant de commencer l’ascension du col

au milieu des rhododendrons

 

allonger le saut

atterrir hors de l’eau

tu montes en t’agrippant aux rochers du sentier

la violence du choc que l’eau permet d’amortir

tu franchis des éboulis pour atteindre la jonction des glaciers

 

le bonheur sans médaille

 

*

8 août, vélodrome national de Saint-Quentin-en-Yvelines - Cyclisme sur piste, omnium


Romain Fustier

 

les places en gradin

la piste en bois de pin de Sibérie

pas paniquer

rester lucide

 

Benjamin Thomas décroche la médaille d’or

 

j’étais parti pour faire podium

les virages relevés

comment réparer une piste de vélodrome après une chute

 

vous montez en selle près de la maison nordique

moulinez à travers un bois d’épicéas et de mousses

l’arrivée de la classique Bordeaux-Paris

j’ai vu que je ne m’étais rien cassé

j’avais mal partout

 

une roue qui se dérobe

une pédale qui entaille le bois clair

du carbone qui vient se ficher dans le pin de Sibérie

 

la réparation doit se faire aussi rapidement que possible

on enlève les échardes

un coup de ponceuse pour égaliser le tout

 

vous jouez du dérailleur

pédalez en danseuse

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