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Rencontre avec Kévin Veyssière, un passionné et éclaireur de la géopolitique du football

Alors que la très sulfureuse Coupe du monde de football au Qatar va débuter le 20 novembre - un Mondial qui met la FIFA et l’industrie sportive face à leurs contradictions - il est intéressant de revenir sur les liens entre cette compétition et la sphère politique. Rencontre avec Kévin Veyssière (@FCGeopolitics ) pour parler de son nouveau livre "Football Club Geopolitics, 22 Histoires insolites sur la Coupe du Monde de football" aux éditions Max Milo.




Comment s’intéresse-t-on à la géopolitique du sport ? Un lien avec votre profession ou vos études ?

Je n’ai pas vraiment de lien entre la géopolitique et mes études. J’ai fait des études juridiques et dans la communication politique qui m’ont amené à travailler à l’Assemblée Nationale. Mon intérêt pour la géopolitique du sport vient avant tout de ma passion du football depuis très jeune, qui m’a permis ensuite de creuser autour des histoires des pays/clubs autour de la géographie de l’histoire et de la politique.


Quel est l’objectif de ce livre ?

L’objectif de ce livre est d’expliquer de manière ludique, synthétique et objective pourquoi le football est plus que du football et comment la Coupe du Monde est devenue au fil des éditions un évènement international sportif, économique, politique et social. J’ai fait le choix de raconter cela en 22 chapitres de moins de 10 pages pour permettre au lecteur de pouvoir piocher dans n’importe quelle histoire, et qu’il puisse ainsi en apprendre plus soit sur le football, soit sur les relations internationales, soit les deux. Bref des histoires impactantes pour démonter que le football est une porte d’entrée vers les enjeux géopolitique passés et actuels.


Pour ce nouveau livre, vous avez choisi 22 matchs insolites de la Coupe du monde. Pourquoi et comment avez-vous procédé pour faire cette sélection ?

22 car le 1er livre était aussi sur 22 histoires. Un chiffre symbolique pour le football (2 équipes de 11). Pour le choix j’aurai pu faire une histoire par édition de Coupe du Monde mais je cherchais avant tout des histoires fortes qui avaient un réel lien avec la géopolitique et où à chaque fois il y avait une histoire sportive forte. J’ai aussi fait en sorte de pouvoir couvrir tous les continents malgré l’omniprésence des sélections européennes et sud-américaines dans la compétition. Enfin les chapitres sur l’Afrique du Sud, la Russie et le Qatar mettent en exergue plus les conditions d’organisation de la Coupe du Monde que la compétition en elle-même. Comment obtenir l’organisation de la Coupe du Monde révèle un enjeu géopolitique majeur pour briller à l’international, et qui peut dès lors mettre en avant les côtés sombres du régime politique du pays. Je tenais aussi à faire un chapitre sur le développement du football féminin, comme élément d’émancipation de la femme à la sortie de la 1ère Guerre Mondiale et qui, après avoir été interdit, refait surface dans les années 1970 avec un succès populaire grâce à des Coupes du Monde officieuses.


On voit que dès la première Coupe du monde, il a un réel enjeu géopolitique avec le choix de l’Uruguay. Pouvez-vous revenir sur cette 1ere Coupe du monde et le choix de l’Uruguay ?

L’Uruguay est un petit pays d’Amérique du Sud qui a obtenu son indépendance en 1830 mais qui a du batailler pour sortir de l’influence de ses deux grands voisins, l’Argentine et le Brésil. Ce n’est qu’à partir du début du XXe siècle que l’Uruguay parvient à construire son propre modèle de social-démocratie, avec un accent particulier mis autour des politiques sociales et éducatives, notamment le sport. Grâce au football, l’Uruguay va se révéler, il remporte bon nombre des premières éditions de la Copa America et les tournois olympique de football de 1924 et 1928. L’Uruguay se fait donc un nom grâce au football et lorsque l’opportunité se présente d’organiser la 1ère Coupe du Monde, les autorités politiques font tout pour l’obtenir. L’enjeu est à la fois international (se rendre visible au yeux du monde), régional (être sur le même rang que l’Argentine et le Brésil) et national (fêter le centenaire du pays, développer des infrastructures autour de la compétition, associer la population à l’évènement, faire briller un élément de la nation uruguayenne, la sélection, grâce à ce Mondial). L’Uruguay n’hésitera d’ailleurs pas à prendre en charge les coûts d’organisation et les frais de déplacement des différentes équipes. Le pari est réussi puisque le pays parvient à convaincre certaines sélections européennes de se joindre à l’évènement. Un évènement remporté par l’Uruguay, qui symbolise le début de ce lien fort entre la nation uruguayenne et le football.



On voit que les Coupes du monde sont très importantes pour les dictatures et autres régimes autoritaires (Italie fasciste, Corée du Nord, Chili, Zaïre…).

Mais peut-elle permettre à des pays qui n’ont plus de relations de renouer des contacts ?

Pour répondre à cette dernière question, je dirai que le sport peut accompagner certains pays qui reprennent des relations diplomatiques. À l'image du match États-Unis - Iran lors de la Coupe du Monde 1998. L'image de paix qui ressort de ce match n'aurait pas été possible si les deux pouvoirs politiques américains et iraniens n'avaient pas en amont tenté un rapprochement diplomatique, que vient matérialiser, symboliser le match. C'est les États-Unis qui ont utilisé en premier lieu cette pratique de diplomatie par le sport, avec la diplomatie du ping-pong en 1970 qui a permis d'accélérer le rapprochement entre le pouvoir américain et chinois. Le football ne peut pas se substituer à la politique. Impossible aujourd'hui qu'un Arménie-Azerbaïdjan ou qu'un Serbie-Kosovo ait lieu tant que les pouvoirs politiques en place n'ont pas opéré un rapprochement diplomatique et que chacun des deux camps ait fait un véritable pas l'un vers l'autre. Sinon c'est se bercer d'illusions. Comme en témoigne le match France-Algérie en 2001, où l'on a cru que les différents franco-algériens allaient pouvoir s'estomper en l'espace d'un match grâce à la génération "black blanc beur". Par ailleurs, autant par le passé le sport a été utilisé pour recrédibiliser des régimes (Corée du Nord, Zaïre...) autant aujourd'hui la pratique étant connue il est plus facile de discerner ce type de stratégie, comme en témoigne les accusations de "sportswashing" à l'encontre de l'utilisation du sport par les pays du Golfe persique.


Parmi les 22 matchs, avez-vous un intérêt ou une affection particulière pour une histoire ?

J’affectionne surtout les histoires que l’on connaît moins, où certains pays se révèlent grâce à la Coupe du Monde, comme l’Uruguay, l’Allemagne de 1954, la Corée du Nord, voir le Koweït, la Croatie… Ma préférence va tout de même pour l’histoire de la sélection nord-coréenne de 1966. On a peu l’habitude de parler de la Corée du Nord de manière positive, or dans cette histoire c’est le cas. Le pays demeure déjà une énigme, après une indépendance difficile après la Guerre de Corée de 1953. Soumis aux influences chinoises et soviétiques, le pays se renferme déjà sur lui-même mais parvient à développer son économie et des services à la population, faisant même mieux que son voisin du Sud. La qualification de la Corée du Nord pour le Mondial 1966 permet ainsi de révéler tout un pays aux yeux de l’Occident, grâce à son ambassadeur qu’est la sélection nationale. Et cette équipe sera loin d’être ridicule puisqu’elle parviendra à battre l’Italie lors d’un match héroïque et créera un lien indéfectible avec la population de la ville dans laquelle se joue les matchs, Middlesbrough. Même si l’équipe de Corée du Nord s’incline en quart de finale, la compétition est une réussite. Et pour boucler la boucle des journalistes britanniques feront revenir des membres de cette équipe à Middlesbrough dans le cadre d’un reportage en 2002. Pour les faire revenir sur la terre de leurs exploits.


Nous approchons du début de la Coupe du monde au Qatar. Qu'en pensez-vous ? Faut-il absolument la boycotter ?

Je ne pense pas que le boycott soit la meilleure des réponses à apporter aux défauts organisationnels de cette Coupe du Monde au Qatar. Il fallait s’interroger sur les conditions d’attribution et d’organisation bien en amont, dès 2010. Et je ne parle pas là forcément des spectateurs mais plus des acteurs de l’industrie sportive (fédérations, sponsors, diffuseurs) avec en premier chef la FIFA. Depuis l’édition 2010 en Afrique du Sud on assiste à une inflation des coûts d’organisation de la Coupe du Monde qui pèse surtout sur les pays hôtes, sans aucun contrôle de la part de la FIFA, sans stratégie pour réfléchir à comment un tel évènement pourrait bénéficier au pays après la compétition. Le cas du Qatar est le résultat de l’aveuglement de la FIFA sur le sujet. Que cela soit pour les coût écologique, le respect des droits humains ou même les questions climatiques, la FIFA savait à l’avance à quels défis allaient avoir à faire le Qatar et rien n’a été fait pour améliorer les conditions d’organisation, alors que la même FIFA défend publiquement des valeurs autour de l’inclusion, l’écologie, le respect des droits humains. C’est finalement plus la pression des médias et des ONG qui ont fait évoluer parcellement le Qatar sur certains sujets. Paradoxalement on critique le Qatar, à juste titre, sur son rapport à la question du respect des droits humains alors même que le pays a fait des avancées majeures comparées à ses voisins du Golfe persique. Une Coupe du Monde peut donc permettre à des pays d’évoluer vers certains points, mais encore faut-il qu’un cahier des charges de l’organisation de la compétition soit mise en place en amont. Sinon ce genre de situation va se reproduire, avec la question des différences culturelles entre les pays habitués à organiser ce type d’évènement (Hémisphère nord) et le reste du Monde, qui souhaite aussi pouvoir briller grâce à ces compétitions.

Effectivement cette Coupe du Monde est critiquable et doit être critiquée sur les aspects que j’ai évoqué et que bon nombre d’enquêtes révèlent mais il faut surtout réfléchir à l’après. Car boycotter ou dénoncer un tel évènement n’aura aucun sens si derrière le même type de compétition s’organise à l’avenir. On peut déjà le voir avec les Jeux asiatiques d’hiver 2029 que l’Arabie saoudite a obtenu. Une première étape avant qu’une compétition plus importante (Jeux olympiques) ne soit dévolue à des Etats qui misent sur le sport comme stratégie de développement et de soft power, qui peuvent mettre d’importants moyens pour l’organiser et qui du fait de leur régime politique n’auront pas à faire face à une opposition d’une société civile muselée.

Les solutions pour faire évoluer l’organisation de ces Grands évènements sportifs internationaux ne sont pas légions tant les acteurs de l’industrie sportive sont restés silencieux durant l’organisation de la Coupe du Monde 2022 et encore aujourd’hui à l’approche d’une compétition de plus en plus critiquée. Les fédérations nationales pourraient être le levier pour faire évoluer la FIFA mais elles restent dépendantes de l’institution. L’organisation en elle-même n’évoluera pas en interne tant son chef de file, Gianni Infantino, de par ses déclarations demeurent insensibles à ces différents sujets. Le dernier levier reste peut-être les principaux acteurs de ce sport, les joueurs, qui pourraient dénoncer ce vers quoi leur sport tant lors des matchs de la Coupe du Monde 2022. Malheureusement les principales stars du ballon rond n’ont jamais pris de position fortes sur le sujet et si d’autres joueurs le font, auront-ils un impact ? seront-ils suivis par leurs pairs ? quel avenir pour eux et pour leur carrière ? Ce n’est peut-être pas le rôle des sportifs, mais face à la situation que le football vit actuellement seul un acte fort et médiatique pourra sans doute faire prendre conscience aux différents acteurs que certes la planète vibre pour le foot, mais à quel prix ?


Propos recueillis par Julien Legalle




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