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Écrire dans les traces d’une championne


Dans son premier roman, Une si grande championne, Célia Poncelin nous conduit sur les traces de Marie-Christine Subot. Ce nom ne vous dit rien ? C’est bien le problème ! Comment est-il possible que la championne française qui a révolutionné l’image du ski de fond dans les années 70 soit à ce point passée à l’oubli ? Combien sont-elles, ces femmes « culottées » qui ont renversé les barrières, ouvert les portes et ont aujourd'hui disparu dans les silences de l’Histoire ? Célia Poncelin découvre ce silence et s’interroge : « Les femmes avaient-elles disparu de l’histoire du sport ? ». La prise de conscience de cette carence et de ce grand vide semble impulser son écriture.


Le parcours de Marie-Christine Subot est hors-norme : à la fin des années 70, cette dernière est « propulsée au niveau mondial », après seulement 3 ans de pratique. Une trajectoire loin des règles fixées par la fédération et qui semble détourner la hiérarchie bien rodée en usage dans le milieu du ski français.

Mais Une si grande championne n’est pas un simple récit biographique. En interrogeant la trajectoire de Marie-Christine Subot, ce récit questionne l’histoire des sportives et l’amnésie collective qui l’accompagne…


Nous avons rencontré Célia Poncelin…


Célia Poncelin ©myshootingphoto.fr


Comment qualifieriez-vous votre texte ? s’agit-il d’un roman biographique, d’une biographique fictionnelle, voire d’une biofiction ?


C’est une excellente question, qui nous a demandé de longues heures de réflexion avec mon éditeur ! Il nous semblait indispensable de mentionner aux lecteurs que ce récit est inspiré d’une histoire vraie ; mais d’un autre côté, c’est un véritable roman car il laisse une place à la fiction. Nous avons donc opté pour une combinaison de ces deux termes, avec le sous-titre “le roman biographique d’une pionnière du ski de fond” pour montrer le genre de ce texte : un roman narré et inspiré d’une histoire vraie, la carrière sportive de Marie-Christine Subot.


Pouvez-vous présenter en quelques mots Marie-Christine Subot ?


Le roman est inspiré de la vie de ma mère, Marie-Christine Subot. Elle a grandi à Grenoble, dans les années 1960-70, au sein d’une famille amoureuse de la montagne. Elle a donc passé ses années de jeunesse à crapahuter en altitude, ce qui lui forgea une excellente condition physique. Pour la présenter, le contexte est important : il faut imaginer qu’à l’époque, les sports de neige sont balbutiants. Cela reste vraiment concentré au sein d’une élite. Ma mère avait déjà fait du ski avec sa sœur jumelle - d’ailleurs, elles n’avaient qu’une paire de skis pour deux, faute de moyens ! Mais Marie-Christine découvre véritablement cette pratique à 20 ans lors d’un stage d’hiver au cours de ses études de professorat de mathématiques - option sport. Son entraîneur l’encourage et du jour au lendemain, elle remporte le Championnat de France de ski de fond, alors qu’elle était complètement inconnue !



Marie-Christine Subot est votre maman. N’est-il pas difficile d’écrire sur une personne si proche ? Le recours à la fiction vous permet-il une mise à distance nécessaire pour que l’écriture soit possible ?


Oui, vous avez tout à fait raison. En réalité, j’ai fait la part des choses entre la maman que j’ai toujours eu en tant que fille, et la personne que j’ai découverte en lisant des archives. Dans mon enfance, j’ai grandi avec l’idée que ma mère était une championne de ski mais je n’avais pas saisi exactement ce qu’il y avait derrière tout ça. En procédant à un travail d’archives, j’ai eu l’impression de re-découvrir ma maman, sa jeunesse, sa carrière, de comprendre d’où elle venait et ce qui l’avait forgée - en bref la période de la vie où je n’existais pas encore ! Donc plutôt qu’une difficulté, ça a été une belle façon de comprendre d’où je venais. J’ai vraiment l’impression de m’être rapprochée de ma mère avec l’écriture de ce roman. D’ailleurs, je l’indique au début du roman : “ce roman est son roman”.


Comment avez-vous procédé dans votre travail d’enquête ?


L’idée de ce roman a germé lorsque je suis tombée sur ses archives personnelles. Elle avait gardé des dizaines de coupures de presse de l’époque que j’ai lues. Au début, j’ai établi une chronologie pour connecter les différents récits de l’époque, puis j’ai demandé à ma mère de m’écrire quelques anecdotes indispensables pour rendre le récit “véritable”. Une fois imprégnée de l’atmosphère de l’époque, je me suis lancée dans l’écriture. J’adore écrire depuis toujours, j’avais déjà écrit plusieurs romans sans être publiée. L’histoire était une évidence pour moi, j’étais fascinée par l’histoire, j’écrivais même dans le métro pour aller au travail. J’ai vraiment souhaité réaliser ce travail seule, sans le co-écrire avec ma mère, car je voulais livrer ma propre version de l’histoire, ce que j’imaginais. Ma volonté était vraiment que cet écrit soit un roman et non une biographie. Je me suis dit que j’avais réussi mon pari le jour où ma mère m’a dit qu’elle avait eu l’impression de revivre ses années de fondeuse en le lisant !



Vous montrez les résistances institutionnelles auxquelles Marie-Christine Subot a dû faire face. La réaction de la fédération française de ski nordique est stupéfiante ! Vous pouvez nous en dire plus ?


Bien sûr ! Comme je le disais précédemment, il faut vraiment imaginer un autre contexte qu’aujourd’hui. Écrire ce livre m’a vraiment fait prendre conscience à quel point le statut de la femme avait évolué depuis les années 1970. D’ailleurs, j’étais assez révoltée et choquée par ce que j’avais découvert. Lorsque ma mère débute ses compétitions, le divorce et l’IVG sont seulement en train d’être rendus légaux en France ! Alors, lorsqu’elle rentre dans ce milieu du ski de fond très conservateur et masculin, elle réalise que les femmes ne sont pas encore les égales des hommes. Certaines compétitions sont en effet interdites aux femmes, on “oublie” de leur remettre des médailles et la fédération française de ski nordique refuse même d’emmener ma mère aux J.O. Je pense que cela est dû au fait qu’à l’époque, la femme avait vraiment un statut très différent au sein de notre société. Un journaliste lui a quand même demandé un jour si elle était gênée par le fait qu’on la voit transpirante et essoufflée dans une compétition... Aujourd’hui, cela me semble impensable !


Effectivement, Marie-Christine Subot fait figure de combattante. Elle a dû lutter contre les discriminations pour s’imposer dans un monde d’hommes. En 1980, pour les JO de Lake Placid, la fédération française a fait le choix de ne convier aucune femme au sein de la délégation… alors que Marie-Christine Subot y avait toute sa place. Considérez-vous qu’elle soit une figure féministe ?


Oui, je le pense, dans le sens où elle a fait avancer la cause des femmes dans le milieu du ski de fond français, pour obtenir l’égalité avec les hommes. Au début du roman, je partage cette citation de Romain Gary qui représente très bien le message que j’essaye de faire passer : “je vois la vie comme une grande course de relais où chacun de nous avant de tomber doit porter plus loin le défi de l’homme”. La carrière sportive de ma mère a réussi à faire bouger les lignes et en cela, je souhaite lui rendre hommage et la remercier d’avoir eu le courage de ne rien lâcher pour le statut des femmes, une cause à laquelle je suis très sensible.



Dans le chapitre 14, vous mettez en lumière l’histoire passionnante de la course mythique la Vasaloppet. En mettant en scène votre personnage, c’est tout un pan de l’histoire du ski de fond, une histoire finalement peu connue, que vous donnez à lire…


La Vasaloppet est considérée comme la course mythique du ski de fond. C’est l’une des épreuves les plus difficiles avec 90 kilomètres à relier en Suède. Chaque année, 15 000 sportifs et sportives s’élancent. Justement, ma mère a participé à la Vasaloppet l’année où elle a été autorisée aux femmes, en 1981. À l’époque, la Vasaloppet était bien plus réputée que les Championnats du monde ou les Jeux Olympiques. Elle a terminé deuxième, mais les organisateurs avaient oublié la remise des médailles pour les femmes ! En 1978, Jean-Paul Pierrat devint le premier Français à remporter cette course. Je vois un peu cette course comme une étape de la carrière de tout fondeur qui aime les longues distances, et il faut imaginer l’ambiance particulière : le froid glacial, la piste de départ avec des milliers de coureurs, la ligne de ski de fond classique qui s’étend sur des kilomètres, la solitude de parcourir pendant des heures les plaines blanches, l’arrivée de nuit dans un petit village suédois… Cela doit être une expérience à vivre !


Propos recueillis par Julie Gaucher




Célia Poncelin. Une si grande championne. Le Roman biographique d’une pionnière du ski de fond, Les Éditions du Volcan, 2022.

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