top of page

Courir pour être libre ! Cinq questions à Annelise Heurtier, auteure de "La Fille d’Avril"

Les romans d’Annelise Heurtier se trouvent sur les rayonnages de tous les bons CDI… Et pour cause !

La romancière tisse des intrigues passionnantes sur des sujets engagés : Sweet Sixteen (2013) nous introduit auprès d’étudiants noirs dans l’Amérique ségrégationniste, Le Complexe du papillon (2016) traite du douloureux sujet de l’anorexie…

Avec La Fille d’avril (2018), Annelise Heurtier nous fait partager le destin d’une jeune fille, adolescente dans les années 60, qui rêve de courir, pour se sentir vivre, se sentir libre… Seul problème : les coureuses ne sont pas légion dans les années 60 et les stéréotypes sont monnaie courante quant à l’incompétence féminine en matière de sport… Sans parler des dangers que représente tout effort intense pour le « sexe faible » ! La course à pied pourrait endommager l’organe utérin au point de provoquer la stérilité, l’excès d’effort produirait des femmes à barbe ! Le roman rend compte avec justesse d’une époque et fait entendre les fantasmes et les normes d’avant mai 68…

On retrouve aussi la culture populaire de la jeunesse de l’époque, car les années 60, ce sont aussi les scandaleuses chansons de Polnareff, Mademoiselle Âge Tendre et Salut Les copains, les clubs sandwichs (dernière mode culinaire à l’américaine)… Dans le lycée de jeunes filles, on ose à peine chuchoter pour évoquer ces petites révolutions qui sont sur le point de changer la vie des femmes : les serviettes hygiéniques, la pilule contraceptive…


Ce roman s’offre comme une excellente façon de faire comprendre aux jeunes lecteurs / lectrices que le sport a aussi été un terrain de revendication et de lutte pour les femmes…



Votre personnage, Catherine, vit à la campagne, dans un milieu ouvrier et modeste. Elle est scolarisée dans une école pour jeunes filles tenues par des sœurs… Un univers bien loin des lecteurs d’aujourd’hui ! Pourquoi ces choix, alors que la littérature qui s’intéresse à la période investit davantage le mai 68 vécu par les Parisiens ?


Effectivement, on a une vision quasi tronquée de cette période, puisque le mai 68 qui focalise l’attention est souvent celui des Parisiens et des étudiants… Or, la France rurale a vécu les évènements à un autre rythme. Les jeunes filles que je mets en scène dans mon roman sont ancrées dans un quotidien très concret, fait de tâches ménagères et elles sont corsetées dans des habitudes et des traditions. Elles n’ont aucun accès à la formation et les livres sont à l’époque réservés aux intellectuels (quand ils ne sont pas plus directement considérés comme des passes temps pour « feignants »).

Dans les années 60, on porte également un regard bien différent sur l’enfance. Les naissances ne sont pas maitrisées et l’enfant n’occupe pas la même place au sein de la famille qu’aujourd’hui.


Comment vous êtes-vous documentée sur la période ?


Le mai 68 des Parisiens est largement investi par l’historiographie et je n’ai eu aucun mal à trouver des informations... Pour comprendre comment les habitants des zones rurales avaient vécu la période, j’ai mené plusieurs interviews, notamment dans la sphère familiale. Cela a été l’occasion de réunir l’ensemble de mes tantes pour une journée souvenirs ! Elles se sont livrées et m’ont raconté leur histoire faite de moments heureux et douloureux.


Récemment les revendications féministes pénètrent les terrains de sport (mouvement de revendication initié par les footballeuses, dénonciation des violences sexistes et/ou sexuelles dans le monde du sport…). Selon vous, les terrains de sport ont-ils été, dès les années 60, des terrains de lutte féministe qui ne disaient pas leur nom ? Dans cette perspective, peut-on considérer votre personnage, Catherine, comme féministe ? Finalement, elle revendique le droit à une pratique sportive au même titre que les hommes, mais aussi le droit d’étudier…


Question difficile ! Sans doute, effectivement, les sportives, à leur façon, ont fait avancer la cause des femmes, mais sans en avoir véritablement conscience… Quant à Catherine, elle est une féministe qui s’ignore.

En 1960, les jeunes filles et les femmes subissent d’importantes injonctions à la féminité. Les corps doivent obéir à une série de règles (longueur des jupes, retenue…). Mais les modèles de genre sont aussi lourds à porter pour les hommes : eux-mêmes se voient imposer un modèle de virilité et doivent s’y conformer s’ils ne veulent pas déchoir.



À la fin de votre ouvrage (« note de l’auteur »), vous faites explicitement référence à Kathrine Switzer qui a bravé les interdits pour pouvoir participer au marathon de Boston en 1967. Peut-on considérer que cette sportive est à l’origine de ce roman ? Pourquoi avoir choisi la forme du roman plutôt que la biographie fictionnelle ou biofiction ?


J’ai tendance à comparer mon activité de romancière à un travail de jardinière. Je reste particulièrement attentive au monde qui m’entoure et, dans l’actualité, les échanges, je repère des graines que j’aimerais faire germer. Or, il a beaucoup été question de Kathrine Switzer en 2017, pour le cinquantenaire de sa participation au marathon de Boston. Son histoire m’a interpelée, sans doute aussi parce que je pratique la course à pied. J’ai alors fait des recherches ; j’ai lu sa biographie… La graine était prête à germer ! Je préfère toutefois le genre du roman à celui de la biofiction… et la vie de Kathrine Switzer ne comportait sans doute pas assez d’éléments romanesques pour que je m’en empare directement. J’ai préféré m’en inspirer pour brosser les traits de mon personnage principal, Catherine. À la fin du roman, cette dernière est d’ailleurs malmenée (pour ne pas dire violentée) lors de sa première participation à une compétition officielle : un clin d’œil évident à cette autre Kathrine.


Selon vous, est-ce qu’écrire sur le sport a une incidence sur le style littéraire (rythme, tempo, mais aussi choix du vocabulaire dans la description des corps…) ?


Je ne pense pas que cela ait eu d’incidence sur ma façon d’écrire.



Annelise Heurtier, La Fille d’Avril. Casterman, 2018.

Posts Récents
Archives
Rechercher par Tags
bottom of page