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Athlete A : dans les coulisses des abus sexuels dans la gym américaine


Athlete A est un documentaire d'utilité publique. Réalisé en 2020 par Bonni Cohen et John Shenk pour Netflix, il décrypte une affaire judiciaire qui a secoué l’Amérique en 2017 et en 2018, celle de Larry Nassar. Ce médecin de l’équipe nationale de gymnastique américaine, aussi kiné et ostéopathe à l’Université d’Etat du Michigan, a été déclaré coupable d’avoir perpétré, de 1998 à 2015, des abus sexuels sur des centaines de gymnastes mineurs.


L’intérêt du documentaire n’est pas dans le rappel des faits, largement détaillés dans la presse américaine et francophone au moment du procès. On se souvient aussi de ces vidéos de victimes, sur les réseaux sociaux. Elles se succédaient à la barre, mouchoir en main, devant la charismatique juge Rosemarie Aquilina, pour raconter les détails de leurs histoires, toutes plus sordides les unes que les autres, de leurs larmes, de leurs colères et de leurs regards libérateurs lancés à leur bourreau.


Bonni Cohen et John Shenk ont été bien plus loin. Athlete A est un puissant documentaire, les réseaux sociaux d’USA Gymnastics sont d’ailleurs envahis de critiques depuis sa sortie. Il est un vrai décryptage de la maltraitance systémique de la fédération américaine envers ses athlètes. Il permet de comprendre comment, par sa négligence et sa protection, USA Gymnastics a favorisé les agissements de Larry Nassar et s’en est même rendue complice. On apprend que la fédération américaine ne signalait pas des dizaines de plaintes reçues lorsqu’elles n’étaient signées ni de la main de la victime présumée, ni par un parent.


Les deux réalisateurs reviennent à la genèse de l’affaire Nassar : on retrouve l’équipe de journalistes d’investigation de l’Indianapolis Star qui a eu écho des premiers abus sexuels en août 2016, alors que Team USA raflait neuf médailles aux Jeux de Rio. Si la plupart des athlètes de premier plan abusées, comme Aly Raisman ou Simone Biles, n’ont pas témoigné dans le documentaire. Le film est solide grâce à l’intervention de protagonistes clés du dossier. Rachel Denhollander, brillante avocate, ancienne gymnaste, fut cet été là l’une des premières championnes à avoir signalé Larry Nassar.


Le docu tente aussi de décrypter la maltraitance systémique via un habile retour en arrière, dans les années 70, à l’époque où les gymnastes n’étaient plus vraiment des femmes, beaucoup plus des petites filles jeunes et frêles au cerveau malléable. C’est l’époque où Bela et Martha Karolyi, sous Ceausescu, faisaient régner la dictature sur les tapis de sol, leur chorégraphe de l’époque en témoigne. Les Karolyi ont mené une certaine Nadia Comaneci au succès, cinq titres olympiques et surtout, un 10 mémorable aux Jeux de Montréal en 1976. Et puis, le couple traverse l’Atlantique, leurs méthodes dans leurs bagages. Mary Lou Retton décroche l’or en 1984, Team USA devient bankable, et qu’importe la santé des athlètes pour leur nouveau PDG d’alors, Steve Penny, marketeux plus sensible aux sirènes du business.


Les Karolyi coachaient la crème de la gym américaine dans leur ranch du Texas interdit aux parents. Du pain béni pour Larry Nassar, “le seul adulte sympa à la fédération”, soutient l’ancienne championne Jamie Dantzscher. Les gymnastes rappellent les compliments que leur adressait Larry Nassar et les attouchements qu’elles subissaient pendant des consultations. Quand on est une jeune fille de 15 ans, qu'on ne connaît pas encore sa sexualité et qu’un adulte nous manipule, comment percevoir le bien du mal ?


Le témoignage de Jamie Dantzscher fait aussi écho à celui de Maggie Nichols, 23 ans aujourd’hui, qui est l’Athlete A, la première à avoir rapporté des faits d’abus sexuels de Larry Nassar. C’était en 2015 : sa fédération promet à la famille d’agir mais ne signale pas tout de suite au FBI, Vous découvrirez pourquoi, mais cela laisse à Nassar le soin de poursuivre ses sévices.


Athlete A est aussi un rappel du rôle important du journalisme d’investigation puisqu’il fait écho à un film brillant, Spotlight. Sorti en 2016, ce long-métrage racontait le travail d’une équipe de journalistes du Boston Globe. La rédaction avait découvert que l’Eglise Catholique avait couvert des années durant des faits de violences sexuelles commises et couvertes par des personnalités religieuses, juridiques et politiques à Boston. Leur enquête déclenchera des révélations mondiales et sera récompensée du Pulitzer.


Il est aussi bon d’entendre de nouveaux les victimes de Nassar, leurs parents, et de découvrir comment un mécanisme de maltraitance peut se mettre en place pendant des années dans une fédération. Athlete A fait bien sûr écho à la révélation récente des abus sexuels subis par plusieurs gymnastes françaises dont Sarah Abitbol. Si les faits sont nauséeux, qu’on demeure bouche béante devant ses témoignages de victimes, la médiatisation de ces affaires nous donne une impression encourageante. Cette impression que quelque chose est en train de changer.

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