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"Plus fortes" de Bruno Giroux

  • Anne-Sophie Gomez
  • 4 sept.
  • 3 min de lecture

Nous avions rencontré Bruno Giroux en 2022 à l’occasion de la parution de son roman Chlore.

L’écrivain revient cet été avec Plus Fortes, livre publié en juillet 2025 aux éditions Complicités sous la forme de neuf récits courts et ciselés. Le point commun entre ces différentes histoires est double : il s’agit du sport, et plus précisément du sport de haut niveau féminin. L’auteur fait voyager ses lecteur.ices à travers les époques, les pays et les disciplines sportives et permet ainsi de remettre au centre de la piste et d’ancrer/encrer dans la mémoire collective des figures trop longtemps invisibilisées par les instances officielles et par conséquent oubliées ou ignorées.

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De l’Antiquité au XXe siècle, de la Grèce à la Martinique en passant par le Japon et l’Iran, nous partons à la rencontre d’Emma, Gertrude, Margot, Gretel, Kathrine, Marie, Sukune et Phéréniké, toutes désignées par leur prénom afin de leur restituer leur individualité si longtemps confisquée par les hommes par et l’Histoire :

« Emma Sulter s’est qualifiée sur 3 Jeux olympiques (Munich, Montréal, Moscou). Pourtant, il est étonnamment très difficile de trouver trace de cette athlète dans les tablettes de la FFA, précisément pour les années 1975 et 1976. »

Dans le dernier récit, écrit à la première personne du féminin pour mieux marquer « l’empouvoi(x)rement » qui est à l’œuvre, sont citées trois courageuses athlètes iraniennes Elnaz Rakabi, Parmida Gashemi et Sarah Kadem, qui, chacune à leur manière, ont osé défier l’oppression imposée par le régime.

On découvre notamment combien les hommes ont été des obstacles dans le parcours de ces sportives : « Emma a réussi à passer le dernier obstacle. Plus rien ne peut lui arriver. C’est oublier maintenant un entraîneur national qui a ses propres coureuses à placer. […] Bien vite, il remet en question la présence d’Emma dans l’équipe olympique. […] Une seule solution : procéder encore et encore à une autre prise de temps. Ce barrage sélectif aura lieu à Vichy. » Ou encore : « Après 8h45 de souffrances, ce fut la fin. Mon ancien entraîneur se pencha hors du bateau suiveur et me toucha le bras. Dès lors, impossible de continuer, ce geste valait disqualification. Plus tard et plus loin, enveloppée dans une couverture de survie et toute pétrie de honte sur le ponton, je l’écoutai longuement se lamenter sur mon sort. Tout était de ma faute, j’avais présumé de ses rêves. »

Comme un pendant narratif au projet de la dessinatrice Pénélope Bagieu pour ses Culottées (Gallimard, 2016), dont un des portraits était d’ailleurs consacré à une sportive, la nageuse australienne Annette Kellerman, Bruno Giroux nous propose de partir à la rencontre de destins singuliers dont la portée se révèle pourtant universelle, par-delà le temps et l’espace. Fidèle à sa délectation pour les jeux de mots et les métaphores, Bruno Giroux nous régale par la même occasion : le stade olympique de Montréal en 1976 devient « une cathédrale de sueur », renforcer les rangs du cortège d’Iraniennes protestant contre leurs privations de liberté revient à « joindre les debouts », et Margot, au jeu de paume, a « l’éteuf » d’une championne.

Précise et documentée, l’écriture enrichit le vocabulaire des lecteur.ices de plusieurs termes techniques, désuets ou régionaux/étrangers. Plus fortes constitue ainsi à la fois la possibilité d’accroître sa culture à l’occasion d’un voyage immobile à travers l’histoire du sport et aussi la contribution à une sensibilisation à la valeur du sport féminin encore fragile, comme en témoigne l’arrêt récent de l’aventure du magazine Les Sportives. Dans « Sortie de piste », Bruno Giroux, qui vit et enseigne en Martinique, fait, de plus, le choix d’une perspective intersectionnelle : quand être une femme, de couleur et de surcroît issue d’un territoire ultra-marin, constitue une triple pénalité qui lui vaudra d’être, sans ménagement, « écartée du bal de la piste ». Pour réparer cette injustice, courez vite lire l’histoire d’Emma et celle de ses compagnes, têtes hautes et poings levés.


 

 

 

 

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