5 questions à Nicolas Zeisler, auteur de La boxe, c'est quoi ?
- Julien Legalle
- 3 déc.
- 5 min de lecture
La boxe, c’est quoi ? Voici la question du nouveau livre de Nicolas Zeisler, créateur du site Cultureboxe, et auteur du superbe Beauté du geste, une série de portraits de boxeurs, et du roman Tigres à la dérive. Ce nouveau livre ravira autant les novices par son approche didactique qu'aux aficionados, tant ils retrouveront les anecdotes et l'histoire des plus beaux combats et des boxeurs légendaires. Le Tout étant parfaitement illustré par les traits culture pop de Ferry Gouw.
Nicolas, c’est quoi la boxe pour toi ?
Difficile à résumer en quelques paragraphes. Dans un premier temps, j’ai envie de te dire ce qu’elle n’est pas. La boxe ce n’est pas que de la violence. Si c’était le cas, nos boxeurs se cartoucheraient à la sortie des pubs, sans règles, sans gants, sans arbitre. Ce n’est pas non plus qu’une porte de sortie ou un ascenseur social. 99 % des boxeurs pourraient te le confirmer : à quelques exceptions près, on n’y gagne pas ou pas très bien sa vie. Ce sont des années de sueur, de sang et de larmes sans aucune garantie de résultat. C’est bien plus facile de gagner de l’argent en braquant des grands-mères ou en dealant du crack.
Cela dit, on ne peut nier son pouvoir d’attraction. Dans Voyage au pays des boxeurs, le sociologue Loïc Wacquant a interrogé un nombre important d’anciens boxeurs. Deux chiffres édifiants : si c’était à refaire, près de 80 % des bonhommes (pas des grands champions, plutôt des boxeurs de club) repartiraient pour un tour. En revanche, quand on leur demande s’ils souhaitent que leurs enfants deviennent boxeurs et vivent la même vie qu’eux, ils sont là aussi près de 80 % à répondre : surtout pas ! Ça dit bien ce qu’est la boxe : un sport dur, cruel et en même temps si beau. À n’importe quel niveau, la boxe est le meilleur antidote à la tyrannie du métro-boulot-dodo. Elle t’offre un horizon, des rêves, même illusoires. Et les rêves dans la vie d’un homme, c’est peut-être ce qui est le plus important.
Last but not least, c’est un moyen d’expression. On boxe comme on est. C’est ce qui la rend tellement addictive. Beaucoup d’anciens boxeurs ont d’ailleurs du mal à tourner la page. Certains deviennent braqueurs, tombent dans la drogue ou l’alcool, ou trouvent Dieu. J’ai d’ailleurs une certaine affection pour les derniers, qui parviennent à sublimer le manque.

Dans la première partie du livre, chaque chapitre est dédié à un coup. Quel est ton préféré et son spécialiste ?
Peut-être le crochet parce que, bien exécuté, il a un côté définitif.
Il y a celui de Joe Frazier, qui envoie Ali au tapis au 15e round de leur premier combat. Ça se passe au Madison Square Garden de New York en 1970. Ce crochet, c’est l’aboutissement d’une mécanique extrêmement bien huilée. Frazier est plus petit qu’Ali. Il avance sur lui en bob and weave, il esquive très bas sur ses jambes, et l’oblige à déclencher son uppercut, ce qui ouvre une brèche dans laquelle le crochet du gauche de Frazier est ravi de s’engouffrer en remontant avec tout le poids du corps et des jambes. Et puis, c’est un crochet qui est plus qu’un crochet : dans son poing, il y a la frustration, les humiliations et le sentiment d’injustice devant l’OPA agressive d’Ali sur la couleur noire qui l’a renvoyé du côté des Blancs, du KKK et des shérifs du Sud. Ce qui est un comble quand on connaît son enfance dans les champs de coton de Beaufort.
Il y a aussi le crochet de Sugar Ray Robinson, sans doute le plus grand boxeur de l’histoire. C’est contre Gene Fullmer, à Chicago, en 1957. Quelques mois plus tôt, Fullmer, plus jeune et plus lourd, l’a battu et dépossédé de son titre de champion des moyens. Mais Sugar Ray Robinson, bien que sur la pente savonneuse, ne perd jamais deux fois contre le même boxeur. Il est trop intelligent. Il sait faire les bons ajustements. Le début du combat est plutôt à l’avantage de Fullmer qui prend confiance. Sa garde est moins hermétique. Au cinquième round, il s’avance vers Robinson qui arme son crochet du gauche. Celui-ci est donné si vite et si bien, avec un timing si parfait, qu’on se dit que les plus beaux gestes sont faits comme en passant, sans y penser, ce qui est la forme la plus aboutie de la pensée. Fullmer s’écroule pour bien plus que le compte.
Tu aimes bien dire et écrire « La boxe est un moyen d’expression, tu boxes comme tu es ». Alors qui es-tu ?
Je ne suis plus, car je ne boxe plus !
Blague à part, j’ai toujours eu un mal fou à être méchant sur le ring, à vouloir rendre les coups à tout prix. J’essayais d’aller chercher de l’agressivité, d’imaginer que le gars en face était Hitler, mais ça ne durait jamais très longtemps.
En fait, je crois que j’ai un rapport un peu trop poétique à la boxe. Comme si on ne se battait pas contre mais avec quelqu’un. J’aime bien l’idée qu’au fond, personne ne gagne et personne ne perd : nous ne sommes que différents aspects d’une même substance. Pas l’état d’esprit le plus efficace pour aller à la guerre…

Il y a un chapitre sur la boxe est plus qu’un sport. Elle est très présente dans la culture, en littérature, mais aussi au cinéma. Pourquoi ?
Parce que c’est du pain-bénit pour les littérateurs : un récit en douze chapitres, deux personnages, pas ou peu de dialogues, l’histoire la plus capricieuse qui soit où tout peut arriver, même la mort. De là à y voir une fraternité secrète entre boxeurs et écrivains ? Pourquoi pas. On pourrait citer Arthur Cravan et Jack Johnson ou Cocteau et Al Brown.
Quant au cinéma, la boxe est tellement visuelle que c’est presque une évidence. D’ailleurs, la boxe moderne et le cinéma sont nés à peu près en même temps, à la fin du 19e siècle. Ils ont grandi ensemble et sont devenus deux grands divertissements mondiaux et des formes d’art. Rocky, Fat city, Raging Bull, Plus dure sera la chute… La boxe est le sport qui a donné le plus grand nombre de chefs-d’œuvre à l’écran.
Mais attention, les bons films ou les bons livres de boxe ne sont jamais seulement des films ou des livres de boxe. Ils parlent de la mort, du courage, de la peur ou de ce que c’est qu’être un homme. Rocky raconte le rêve américain. Raging Bull, la descente aux enfers d’un homme consumé par la jalousie…
D’ailleurs tu conclues le livre par une postface fictive de Rocky. Pourquoi ?
On avait beaucoup de mal à trouver la bonne personne pour signer la préface. Qui ? Pour dire quoi ? Sans conviction, on a tout de même lancé quelques bouteilles à la mer. Ce rappeur célèbre ? Trop cher. Ce penseur du noble art ? Silence radio. Cet ancien boxeur ? Déjà vu… De guerre lasse, j’ai écrit une préface en enfilant le cuir râpé de Rocky Balboa. Qui mieux que lui pour incarner la boxe, si dure et en même temps si belle ? Un Rocky de 70 ans qui rêve d’une dernière danse. J’en étais assez content, mais ce discours crépusculaire risquait de plomber le début d’un livre qui a l’ambition de remuer le lecteur dans son fauteuil.
Et puis soudain, ce fut comme une apparition. Un soir de décembre 2024, un certain Bruno Surace s’est présenté au monde en refroidissant l’Estadio Caliente de Tijuana. D’une droite clinique, il a envoyé Jaime Munguia au tapis pour le compte. Au-delà de l’exploit sportif, il m’a reconnecté avec les émotions qui m’ont fait tomber raide dingue de ce sport il y a près de 30 ans : l’aventure, l’audace, le panache, l’honneur. Comme Munguia, j’ai pris de plein fouet la droite de Bruno et le message qu’elle délivrait : la boxe, ce sont des années de sacrifice pour quelques instants de vérité, douze rounds pour changer de destin, un coup pour changer la vie. Bruno a accepté de signer la préface du livre et Rocky s’est retrouvé en postface. Au fond, il y a une certaine logique : « It ain’t over ‘till it’s over ».





















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