« Jouer Frères(s) à Paris, c’est notre Ligue des champions ! »
- Valentin Deudon
- 25 sept.
- 5 min de lecture
Comédien professionnel et passionné de sport, Jean-Baptiste Guinchard joue Frère(s), l’étoffe d’un chef jusqu’au 5 janvier 2026 au théâtre Lepic à Paris, aux côtés de son acolyte de toujours Guillaume Tagnati. Une pièce sur l’amitié et la notion de réussite, qui tisse notamment des liens forts entre les univers de la cuisine et du football.
Après plus de 150 dates notamment au festival d’Avignon, la pièce "Frère(s), l'étoffe d'un chef" a repris depuis peu et jusqu'au 5 janvier au théâtre Lepic à Paris. Comment se sont passées les premières représentations ?
C’est un régal de montrer ce spectacle à un nouveau public et même si nous sommes bien rôdés, il y a toujours cette appréhension (plus ou moins justifiée) de « réussir à Paris »… C’est notre Ligue de champions à nous, que d’exister et trouver notre place dans une rentrée théâtrale foisonnante !

Qu'est-ce qui te plait et t'anime dans le fait de donner vie à cette histoire d'amitié et de fraternité ?
Rendre hommage à la beauté de ce métier, le don de soi et l’exigence qu’il implique. Poser, sans être donneur de leçon, la question de la réussite et de l’accomplissement. Et puis cette histoire d’amitié sur scène entre ces deux personnages, c’est du vécu : Guillaume et moi sommes amis depuis plus de 20 ans, tout autant sur les planches que sur les terrains de sport, alors aller au bureau avec son meilleur pote, c’est plutôt plaisant !
Quelle complexité ou résistance as-tu croisé en tant qu'acteur dans la préparation de ce projet ?
Il a fallu maitriser une partition (texte, déplacements, chorégraphies, lumières…) pointue et exigeante, qui au départ a pu paraitre très contraignante, voire enfermante. Même si de la contrainte nait la liberté, au début cela a été parfois très dur de trouver le naturel alors qu’il y a dix mille choses à penser… et puis vient le moment où justement on ne « pense plus », ce qui ne veut pas dire qu’on est stupide mais plutôt que la partition est intégrée, organique. Là on peut vraiment commencer à s’amuser !
On y trouve des liens avec l'univers du football ; en ta qualité de joueur de l'équipe de France de football des écrivains, ça n'est pas pour te déplaire j'imagine !
C’est vraiment une idée de Clément Marchand, auteur et metteur en scène de la pièce d’introduire ce lien avec le foot, je n’allais pas l’en dissuader… En plus, c’est très drôle puisque je joue le personnage qui n’y connait absolument rien ! Voilà donc ce qu’on appelle « un rôle de composition ».

Il y a cette scène centrale à Naples, au stadio Diego Armando Maradona, où ton personnage, jusque-là indifférent au football, vit l’expérience de la simultanéité : une joie intense, partagée au même instant et au même endroit par des dizaines de milliers de personnes autour de lui. Pour la jouer avec une telle justesse, t’es-tu appuyé sur tes propres souvenirs de stade ? (Si oui, tu pourrais nous en citer un ?)
Merci pour le compliment, cela prouve que ça marche, d’autant plus que la scénographie de Natacha Markoff est très figurative, tout comme la tonalité générale de la mise en scène : pas de carotte aux plateaux, d’odeurs ou de projections d’images de stade et de foule en délire… Mais tout cela repose sur un travail d’équipe : on salue le jeu du comédien, tout comme on salue le buteur mais le buteur n’est rien sans la construction collective de l’action. Dans notre cas c’est un vrai travail de troupe : l’écriture de Clément est ciselée, elle porte énormément, le travail de la chorégraphe Delphine Jungman amplifie le mouvement, la musique de Patrick Biyick et les lumières de Julien Barillet qui créent une atmosphère incroyable. Mais puisque tu parles de souvenir, je ne résiste pas à livrer le premier d’une longue série : stade Bonal, 1987, victoire de Sochaux (mon club de cœur) contre Nantes, et tout un public qui chante : « cui cui cui, les canaris sont cuits ».
La pièce établit un parallèle saisissant entre la cuisine et le football de haut niveau, deux univers marqués par la discipline, la compétition, la pression quotidienne et les inégalités de réussite entre hommes et femmes, où l’on tente, dès 14 ou 15 ans, de transformer un rêve en carrière. Penses-tu que c’est cette proximité qui a rendu la présence du foot si naturelle dans l’histoire ?
Oui, sans aucun doute, le parallèle était assez évident… j’ajouterais également que le football s’est imposé naturellement à nous trois car nous aimons tous les trois le sport et en particulier celui-là. Je ne connaissais pas Clément avant de travailler sur Frère(s) ; ce métier repose sur une confiance mutuelle, pour se livrer, faire tomber ses pudeurs et ses barrières, savoir qu’il était fana comme nous ne pouvait pas faire de lui une mauvaise personne.

Quel est ton rapport à ce sport et au sport en général aujourd'hui ? De quelle manière l'utilises-tu notamment dans ton travail d'ateliers de découverte du théâtre auprès de différents publics ?
Un rapport « d’enfant lucide », capable de s’extasier et d’être profondément touché par un beau geste, une médaille ou une joie collective après une victoire ; tout en étant agacé par les dérives mercantiles et l’individualisme chez certains joueurs. C’est peut-être pour cela que dans mes ateliers j’insiste beaucoup sur le groupe (je propose beaucoup d’exercices en chœur par exemple) ; je crois vraiment à l’expression individuelle grâce à la force du groupe.
Il y a quelques années, avec le même partenaire que dans Frère(s), Guillaume Tagnati, tu avais joué Les athlètes dans leur tête, une adaptation d'un livre culte de la littérature sportive signé Paul Fournel. Quels souvenirs gardes-tu de cette expérience ?
Déjà, au risque de te décevoir, je crois que nous serions incapables de retrouver le même niveau d’engagement physique que nous avions à l’époque ! C’est une magnifique expérience et un spectacle cher à notre parcours. Déjà, il nous paraissait important de montrer que, contrairement aux idées reçues, un sportif est aussi quelqu’un qui réfléchit, se questionne… et pas juste un « bon à courir ». Ensuite nous avons eu la chance de jouer le spectacle à l’INSEP et au CIO ! Le texte de Paul Fournel est d’une justesse folle, un peu comme dans Frère(s) on y retrouve la quête du geste parfait, la remise en cause, et le doute qui peut s’insinuer au moindre petit grain de sable. Dans Les athlètes dans leur tête comme dans Frère(s), je suis heureux de réunir mes deux passions, le sport et la culture ; j’aime beaucoup cette pensée d’Antonin Artaud qui parle de « l’athlétisme affectif » de l’acteur.
Entretien réalisé par Sébastien Thibault et Valentin Deudon
Frère(s), l’étoffe d’un chef : jusqu’au 5 janvier 2026 au théâtre Lepic à Paris.





















Commentaires