top of page

« Le sport me colle à la peau, et ce n’est pas pour me déplaire. » Entretien avec Jeff Legrand

Nous suivons le travail de Jeff Legrand depuis plusieurs années, notamment pour ses 3 albums sur le cyclisme, consacrés à deux des plus grands coureurs du XXe siècle : Bernard Hinault et Raymond Poulidor. La sortie de "Mon Tour 64", le deuxième tome de la série, était une belle occasion d'aller à la rencontre de cet auteur !

Jeff, comment est né ce projet de BD sur et avec Raymond Poulidor ?


Après RAYMOND (sorti en 2018), l’idée d’une suite s’est assez vite imposée. Le choix de la centrer sur le Tour 64 également. C’est le sujet qui était le plus abordé en dédicace, et Raymond en profitait toujours pour rétablir sa vérité « Non, je n’ai pas perdu le Tour dans la montée du Puy. ». Et pour raconter toutes ses péripéties, souvent oubliées. Nous avions notre sujet, d’autant que Christophe rêvait depuis toujours de faire une BD sur la mythique montée du Puy-de-Dôme. Hélas, c’est sans notre icône que nous avons dû nous mettre au boulot avec Christophe et le soutien de Louis, notre éditeur. En espérant avoir rendu hommage à la mémoire du champion.



Raymond Poulidor a accompagné la création de la BD. Quel était votre rapport avec lui, comment avez travaillé et quelle image gardez-vous de lui ?


Raymond a surtout pu nous accompagner sur la 1ère (RAYMOND - Mareuil Éditions - 2018), nous n’avons hélas pas pu nous voir pour travailler sur MON TOUR 64, une idée que nous avions eu tous les 3 avec Christophe. Ma première rencontre avec Raymond, c’était au départ du Paris-Roubaix 2017. Imaginez un enfant de 39 ans tout intimidé devant l’une de ses idoles, et vous comprendrez l’état dans lequel je me trouvais. Il dédicaçait des photos, et a tout mis en plan pour discuter une petite heure avec moi, ne faisant des pauses que pour saluer Sagan et d'autres qui passaient par là pour monter sur le podium de présentation des coureurs. Il m’a rapidement fait confiance, comme Louis de Mareuil, et nous avons pu nous lancer dans cette aventure. Nos sessions de travail, puis les séances de dédicaces m’ont permis de découvrir un homme de caractère, attachant, drôle, et profondément humain. Rencontrer son public était son carburant, regarder les courses de MVDP ses moments de bonheur et de fierté. J’ai encore du mal à m’imaginer qu’il soit parti si vite, lui qui aurait adoré dédicacer cette BD lors du passage de son Tour, chez lui, à Saint-Léonard-de-Noblat. Mais je sais que ses amis sont mobilisés pour lui rendre hommage, comme avec l’opération « Merci Poupou », et que ASO a également prévu différentes choses. Raymond sera encore sur les routes de France cette année.


Comme vous venez de l'évoquer, dans ce Tome 2, vous abordez le Tour 64. Est-ce celui qu’il aurait dû gagner ?

Question difficile. Il ne faut pas oublier qu’en 64, il y avait un semi-amateur, pas mauvais sur les grands Tours, un certain Jacques Anquetil. Puis à partir de 69, c’est le cannibale que Raymond aura à défier. Personnellement, je pense que le plus gros échec de Raymond, c’est en 65. Il a peut-être sous-estimé Gimondi, et, malgré ses efforts, il n’a jamais pu combler son retard. Et puis il y a 68. Raymond domine les débats, mais une chute provoquée par une moto met fin au rêve. Beaucoup d’experts pensent qu’il se serait imposé sans ce nouveau coup du sort.


Pourquoi est-il perçu comme "un loser" alors qu’il a remporté de nombreux titres, dont la Vuelta et Milan San-Remo … ?


Je ne suis pas certain que Raymond soit perçu comme un loser. En tous cas je ne peux m’y résoudre. Tout cela est né des médias, Raymond n’est même pas le coureur à avoir fait le plus de 2ème place sur le Tour, mais Joop a fini par remporter le Graal effaçant cette statistique. Après, Raymond s’est toujours amusé de cette image, qui a construit son mythe comme il le reconnaissait lui-même. J’invite ceux qui ne connaissent pas ses plus de 180 victoires à passer à Saint-Léonard-de-Noblat, je connais quelques personnes là-bas qui seront ravies de leur rafraichir la mémoire.


Au-delà de Poulidor, j’ai l’impression que vous avez aimé traiter les années 60.

J’aime l’Histoire, la France, et ces années sont riches car tout était à (re)construire. La politique, l’art, les médias, le sport, tout était en ébullition. Le contexte politique, que nous rappelons en introduction de l’album, est pour moi important car il explique en partie la fracture que portaient, bien malgré eux, Raymond et Jacques.



Après deux albums sur Poulidor et un sur Hinault, pourriez-vous faire un album sur un coureur contemporain ? Et si oui, lequel ?


Pour être honnête, il me faudrait creuser un peu la vie des coureurs pour voir si l’un d’entre eux a un terreau fertile à la création d’un univers narratif suffisamment fort. Un coureur comme Daniel Teklehaimanot semble avoir ce profil. Si j’écoutais mon cœur, ce serait certainement sur Thibaut Pinot, un homme et un coureur que j’apprécie (qui m’a fait chialer l’an dernier), originaire d’une région qui est un peu la mienne (jeune, j’étais plus souvent à Bonal qu’à Picot). Et si je devais écrire une comédie, ce serait évidemment sur Peter Sagan !


D’ailleurs allez-vous suivre le Tour 2020 ? Et si oui, avez-vous un favori ?


Je ne rate jamais le Tour, j’ai décalé mes vacances pour, à minima, le suivre à la télé. Le « hasard » voulant que je les passe dans les Alpes, peut-être qu’au détour d’une randonnée j’apercevrai un coureur ou deux !

Pour revenir à votre question, là encore, mon cœur ne suivrait pas la raison. Mon cœur : on ne parle que des Inéos et des Jumbo, mais Tib et la FDJ sont armés pour le parcours de cette année, et ce malgré la méforme de Gaudu (que j’espère tout de même voir sur le Tour). Et que dire de Martin, qui semble dans la forme de sa vie ? La raison : malgré les « dégâts » sur le Dauphiné, si Bernal est aligné, c’est qu’il peut s’imposer. Son pic de forme est je pense prévu pour la 3ème semaine du Tour. Derrière bien évidemment, Roglic et son équipe de dingue, et ce malgré l’absence de Kruijswijk. Mon top 5 du coup, l’ordre restant à définir : Pinot - Martin - Bernal - Roglic - Buchmann.


Pour terminer, j’aimerais revenir sur les liens entre la BD et le sport. Depuis quelques années, nous avons le plaisir de découvrir une présence accrue du sport dans la BD. D’ailleurs, en septembre, Kris va lancer sa collection « Coup de Tête » chez Delcourt. Que pensez-vous de cette évolution ? Le monde de la BD prend-il enfin le sujet du sport avec sérieux ?

Le sport a toujours était très présent dans la BD. J’ai dévoré les Éric Castel et les Michel Vaillant étant enfant, puis passé des heures à lire des mangas sportifs. C’est vrai qu’en France, les années 2000 ont surtout fait naitre des succès de BD à sketch, dans lesquels la caricature est le levier narratif unique.


Je crois que ce qui a changé, c’est la prise de conscience (de certains) de ce qu’est le sport. Pas seulement un moyen pour des millionnaires d’occuper la populace, mais une culture à part entière, avec tout ce que cela implique. Un album marque pour moi un tournant dans la perception qu’ont pu avoir les éditeurs du sport : L’aigle sans orteil, de (mon voisin) LAX. Nous n’étions plus dans la victoire, la course au succès, l’argent, la caricature. Lax nous fait plonger dans la souffrance, l’effort, la passion, l’impact du sacrifice sur la famille, sur le corps.


C’est la qualité des œuvres qui fait qu’aujourd’hui le sport est de plus en plus présent, et avec de beaux succès. Les narrations sont plus profondes, s’inscrivent dans des contextes historiques, développent des personnages à plusieurs dimensions. Bref, le sport est un terreau narratif hyper riche, qu’il soit historique ou fictionné. Que le groupe Delcourt entre dans la danse est un signe super encourageant, surtout lorsque l’on voit la qualité de ce qui arrive. J’avais eu la chance d’échanger avec Alix, éditrice du groupe, l’an dernier lors du LyonBD. Je sais qu’ils sont très ambitieux sur ce projet, donc si Kris souhaite me contacter, je serai ravi de discuter avec lui des nombreux projets que j’ai en tête !


Pour finir, si ma prochaine création est une comédie déjantée (sortie en octobre sur webtoonfactory.com), je développe en ce moment un webtoon sur l’escrime, sport que j’ai pratiqué à haut niveau, pour le groupe Dupuis. Le sport me colle à la peau, et ce n’est pas pour me déplaire.


Bonus : Notre critique de "Hinault, objectif maillot jaune" de Jeff Legrand chez Mareuil.


Posts Récents
Archives
Rechercher par Tags
bottom of page