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Entretien avec Ianis Periac : "les Anti-héros [...] c’est un peu nous tous."

Commençons cette nouvelle année de la meilleure des manières avec un entretien avec Ianis Periac, auteur de l'excellent "Foot thérapie" et du livre "Les anti-héros de la coupe du monde de football ", un coup de cœur de la fin 2022.


C’est quoi un anti-héros dans le football ? c’est être libre ?

Oui, il y a une certaine idée de liberté. Liberté de penser, d’être différent, d’être soi-même surtout je dirais. Ce qui est pratique avec les Anti-héros c’est que c’est un peu nous tous. On peut s’y identifier sans trop de problème. C’est celui qui n’avait pas forcement les bonnes cartes sur la ligne de départ mais, parce qu’on le regarde avec affection, avec amour et bienveillance, il parvient à s’épanouir et à casser sur la ligne d’arrivée en beauté. Je trouve ça fantastique d’avoir la liberté intellectuelle d’être soi-même à 100%. D’assumer qui l’on est.



Comment avez-vous établi la sélection ?

Le premier critère est le seul valable dans tout ce qu’on fait, c’est le critère affectif. Sans amour, ça ne sert à rien de commencer une aventure. Il n’y a que des joueurs que j’aime ou qui me touchent d’une certaine manière dans ce livre. Par leur fragilité, leur génie ou leur charisme, ils font résonner quelque chose de très fort en moi. Ensuite, il faut qu’ils aient une histoire puissante avec la Coupe du monde évidemment. Et enfin, il faut qu’ils se complètent les uns les autres. Que leurs failles, aussi bien que leur génie soient complémentaires afin que l’ensemble regarde la vie sous toutes ses facettes. Les plus nobles comme les plus sombres.


Avez-vous un joueur/entraineur préféré dans cette liste, pourquoi ?

Comme je disais, je les aime tous. À force de faire des recherches pour l’écriture du livre, je me suis emparé de leurs vies, de leurs personnalités et ils sont un peu devenus des membres de ma famille. Donc c’est difficile pour moi de choisir. Évidemment, il y a Socrates qui est mon oncle puisque son frère Raï a un peu été mon second papa pendant ses années PSG. En 1994, j’ai 10 ans, le moment parfait pour être marqué à vie et ébloui par la classe de deux joueurs de ce calibre. Il y a Gazza, le grand frère talentueux qu’on voit s’autodétruire parce qu’extra-sensible. Le mur approche mais il ne veut pas ralentir, le con. Il reprend une lampée de Whisky et accélère en pleurant, dégouté d’être ce qu’il est. Comment ne pas l’aimer ? Barbosa, le grand-père, le patriarche, celui qui est à l’origine de tout ou encore Caszely qui par le tragique et la force de son histoire me touche et m’inspire énormément. Mais si je devais en choisir un, je pense que je choisirais René Higuita. D’abord pour son prénom. René, moustachu et maillot bigarré, c’est magnifique. Il y a un côté vieux flamboyant que j’aime bien. Et ensuite pour son côté enfant de l’orage et son amour du jeu. Je pense être fondamentalement un joueur. J’adore le jeu. Jouer. Au sens premier du terme. S’amuser. Rire. Tenter un dribble dans le rond central face à Roger Milla en prolongation d’un huitième de finale de Coupe du monde et le rater. Quel panache ! J’y vois une déclaration d’amour au jeu et j’adore ça. C’est important de rester des enfants.



Vous commencez le livre par Carlos Caszely. Pouvez-vous revenir sur son parcours ?

En 1974, Carlos Caszely a 24 ans. Il va jouer sa première Coupe du monde avec le Chili, c’est un génie. Un joueur brillant au futur prometteur qu’on appelle le Roi du mètre carré. Pourtant, il décide que tout ça n’a pas beaucoup d’importance face à la situation politique de son pays et à la dureté de la dictature de Pinochet. Il ne peut pas se taire alors il attaque de manière très frontale le Dictateur. Il en paiera les conséquence au prix fort mais finira par avoir gain de cause car son engagement jouera un rôle certain dans la défaite de Pinochet quelques années plus tard. S’engager corps et âme dans une lutte n’est jamais chose aisée, qu’on soit footballeur ou pas d’ailleurs, ce n’est jamais facile de dire « non ». On demande souvent aux footballeurs de s’engager politiquement, d’être plus investi dans les luttes pour la liberté ou l’égalité mais on oublie un peu trop souvent à mon gout qu’ils sont des citoyens comme les autres et que ce n’est pas donné à tout le monde d’endosser toutes ces responsabilités. Alors quand un joueur le fait et qu’en plus il parvient à faire changer les choses durablement, ça devient plus qu’un simple footballeur. C’est un activiste, c’est un grand-homme. Pour moi, Caszely est un modele, un exemple. Je vous parlais du patriarche de la famille, du grand frère, de l’oncle etc. Lui ce serait la légende de la famille. Celui qui a quitté le nid à 18 ans pour faire le tour du monde et qui revient seulement une fois par an, aux fêtes de Noël ou à l’anniversaire de la Mama, pour nous raconter ce qu’il a vu et changer le monde.


Vous avez un regard singulier sur le football. C’était déjà le cas dans votre premier livre « Football thérapie ». Êtes-vous en décalage avec l’univers du football ?

Je ne sais pas si j’ai un regard singulier sur le football ou si je suis en décalage avec ce monde. Je pense très sincèrement qu’il y a autant de football différents qu’il n’y a d’individus. J’ai toujours pensé que le football n’était que le reflet de notre société. On y retrouve tout ce qu’il y a de beau et tout ce qu’il y a de moins beau. Alors, en ce moment dans le football moderne, on met beaucoup en avant la gloire, les stats, le bling-bling parce que c’est ce qui fait vendre. C’est ce qui ramène du clic. Mais il y a un nombre incalculable d’autres manières de le regarder et d’en parler et il y a beaucoup de gens qui le font. Simplement, ils ont peut-être moins d’audience. Il y a les romantiques, les joueurs, les engagés, les philosophes et chacun va avoir un regard unique sur ce sport. Il y a des associations comme Tatane qui font de l’insertion sociale par le foot, des podcasts comme En dehors de ma Surface qui parlent de foot et de voyages et mille autres encore. Je pense que le foot - et le sport en général - est un biais formidable pour rencontrer l’autre. L’autre en tant qu’individu. Deux fans de foot à l’autre bout du monde qui ne parlent pas la même langue peuvent créer une complicité extraordinaire en un seul regard. Mais aussi l’autre en tant qu’entité. La littérature, la musique, la culture, la sociologie. SI on regarde bien, avec un oeil bienveillant, on peut trouver tout ça dans le football.


Vous publiez vos deux livres chez Braquage, une maison « indépendante, curieuse et engagée ». J’ai l’impression que c’est 3 adjectifs vous correspondent pleinement.

Ce qui est sûr c’est que le nom de la Maison d’édition me correspond bien. Braquage. En écrivant ces deux bouquins, j’ai un peu l’impression de réaliser un braquage de ma propre vie. Jamais je n’aurais imaginé écrire un livre. Alors deux… C’est incroyable. Je suis venu à l’écriture un peu par hasard, par la musique et le foot justement. Fan de rap, j’adorais la juxtaposition des mots qui faisait naitre des images, le rythme de la phrase, les bons mots aux bons endroits etc. Quand je lisais des articles de foot bien écrits, je trouvais ça magique. J’ai redécouvert la lecture par le foot, je pense. À part ça, c’est sûr que je suis ravi de travailler avec cette Maison d’édition qui partage un certain nombre de valeurs qui sont les miennes. C’est une maison qui n’a pas une grande puissance de frappe car petite, donc elle ne se lance que sur des projets qui lui plaisent vraiment. Auxquels, elle croit et avec beaucoup d’amour. En plus, tout est fait en local. C’est imprimé et édité en France. J’ai une super relation avec l’éditeur. On est dans l’humain, je ne suis pas juste une ligne de plus dans un catalogue. C’est important parce que c’est ce qui permet d’avoir des livres différents et pas simplement des biographies de joueurs stars.


Pour vos deux textes, il y a les illustrations de Samy Glenisson. Pourquoi et quel regard portez-vous sur ces illustrations ?

Samy c’est mon ami. Mon pote. On s’est trouvé au coin de la rue il y a 10 ans et on ne s’est plus lâché depuis. J’adore travailler avec lui parce qu’on a une vision commune du monde dans lequel on vit mais avec des nuances différentes qui font qu'on se complète très bien. On se comprend en deux mots et en même temps on se challenge l’un l’autre. On se pousse à aller plus loin et à progresser. J’aime beaucoup son univers et son coup de crayon parce qu’il a ce qui pour moi est le plus difficile et de plus beau dans toute chose. L’émotion. On peut aimer ou ne pas aimer mais c’est difficile de rester insensible à son travail il me semble. Et comme il me comprend bien, je trouve que ses illustrations s’emparent du texte, l’assimilent et offrent un petit quelque chose en plus qui donnent un éclairage supplémentaire dans la grille de lecture.


Propos recueillis par Julien Legalle


Ianis Periac, Les anti-héros de la Coupe du monde de football, Ed. du braquage, 2022.

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