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Entretien avec Kris : Georges Best était un météore !

La sortie d'un album de Kris est toujours un événement pour Ecrire le Sport. Cette année, il revient en librairies avec George Best, twist and shoot (Ed. Delcourt) l'adaptation du roman de Vincent Duluc, Le Cinquième Beatles (Stock, 2014). L'occasion d'évoquer ce nouvel album sur le sport et son nouveau rôle de directeur de la collection "Coup de tête" aux éditions Delcourt.




Kris, qu’incarne Georges Best pour toi ?

Il incarne une forme de jouissance du moment présent, il avance sans plan de carrière et sans réfléchir aux conséquences. C’est un amoureux du jeu sous toutes ces formes. Quelque part, c’est une sorte de punk avant l’heure ! Il a cramé sa vie par tous les bouts sans réfléchir au lendemain. Il incarne aussi une forme de romantisme du football à l’ancienne qui n’existe plus aujourd’hui, dont le dernier de cette lignée, est probablement Éric Cantona.


Peut-on le considérer comme la première pop-star, le premier à être connu en dehors de son sport, à tel point qu'il est surnommé le « cinquième Beatles » ?

C’est la première star populaire car il va dépasser les frontières de ce pourquoi il était connu. Il y a eu des footballeurs stars avant lui mais uniquement auprès des amateurs de football. Je ne pense pas qu’il existe des exemples avant lui. A l’époque, tous les anglais, même les non footeux, connaissent Georges Best. Il était invité partout, à la radio, à la TV, dans tous les journaux. En revanche, sa notoriété était moins mondialisée que les stars actuelles du football. Lorsqu’il va jouer aux Etats-Unis, il n’est pas très connu.





Il a une carrière fulgurante. Il commence le 14 septembre 1963 et dès 1968, à 22ans, il est au sommet mais c’est déjà le début de la fin…

C’est un météore qui a mis du temps à s’éteindre. Il a commencé en pro en 1963, devient célèbre à partir de 1965, mais dès 1968 et sa victoire en coupe d’Europe contre Benfica, sa carrière va commencer à décliner. Son sommet va durer 3-4 ans maximum. Il prend une première fois une retraite à 26 ans, même si après l’été il revient sur sa décision. Manchester United est moins compétitif, il passe son temps à boire et rencontrer des filles, à claquer son fric dans les voitures, son niveau baisse et devient pathétique à la fin de sa carrière. Il a tout vécu en accélérer. Actuellement on voit ce phénomène avec de nombreux sportifs de haut niveau. Ils font une dépression et ont très vite une volonté de stopper leur carrière vers 23/24 ans, qui souvent a commencé dès l’âge de 10/12 ans. Très jeunes, ils sont déjà dans une vie quotidienne tournée vers un professionnalisme à outrance, ce qui fait qu’à 25 ans, ils sont cramés physiquement et mentalement. Le problème est toujours le même : Que peut-on faire après sa carrière lorsque l’on a tout consacré depuis l’enfance à un domaine ? L’après carrière est souvent très compliqué. Il y a énormément d’exemples de footballeurs qui sont devenus dépressifs, qui ont perdu toute leur fortune. Finalement Georges Best fut aussi précurseur du burn-out du sportif. Et à son époque, il n’y a pas encore de mode d’emploi sur comment gérer sa carrière. Comment gérer sa notoriété ? En pleine gloire, il est tout seul face au déferlement médiatique et populaire qui lui tombe dessus. Il n’est pas protégé. Par exemple, il vit chez une logeuse en plein centre-ville, un lieu accessible de toutes et tous. Il a subi et expérimenté ce rôle de footballeur star.

Son vrai problème est qu’il a tout accepté, et qu’il en a joué aussi. C’est aussi le premier à vendre ses histoires dans les tabloïds. Ce n’est pas une victime, il est consentant. Il est devenu prisonnier du personnage qu’il avait créé.




Comment expliques-tu qu’il soit encore dans l’esprit des gens ?

Il était le premier. Il a tout pour lui. Il a une belle gueule, ses exploits sont réels et important, il a du génie en lui. Il a une grâce, un romantisme, le pouvoir d’un héros d’une tragédie grecque, et puis sa descente aux enfers. Sa vie est une tragédie grecque. Il est resté dans les tabloïds pendant plus de 40ans. Le peuple va pouvoir suivre sa descente aux enfers puisqu’il va même vendre sa dernière semaine de vie et son image sur son lit de mort avec le titre « don't die like me ». Ça marque. Il est devenu aussi célèbre dans les autres pays grâce à la diffusion de la culture anglaise dans le monde.




Cet album est une adaptation du livre de Vincent Duluc. As-tu travaillé différemment ?

J’avais rencontré Vincent Duluc au moment où nous sortions Un maillot pour l’Algérie. De son coté, il venait d’écrire Un printemps 76 sur les verts de l’AS Saint-Etienne. On a eu l’occasion de faire plusieurs rencontres littéraires ensemble puisque Rachid Mekhloufi, l’un des héros d’Un maillot pour l’Algérie (Ed. Dupuis, 2016) a joué pour l’ASSE. Dès le lancement de la collection « Coup de tête », il faisait partie de mes cibles. J’avais lu et aimé Le Cinquième Beatles et je lui ai proposé de l’adapter en BD. Il était d’accord pour l’adaptation mais il ne se sentait pas de le faire. Du coup, j’y suis allé car j’avais envie de le faire. A partir de là, Vincent n’a pas du tout été interventionniste. Il nous faisait confiance et nous lui faisions parvenir régulièrement l’avancée de l’album. Il n’a jamais eu de remarques négatives et il était enthousiaste. De mon côté, il a fallu retrouver un rythme de BD et suivre un format, car si nous avions adapté tout le roman, nous aurions fait un 120 pages, et là, je devais en faire 90. Avec Florent Calvez, nous avons décidé de nous concentrer sur la trajectoire ascendante, l’adolescence, la carrière, pour avoir un album lumineux plutôt qu’un récit amer sur sa longue et difficile chute. Le roman de Vincent s’attache davantage à développer cette chute crépusculaire mais elle s’adapte beaucoup mieux en mots qu’en images. Nous aurions eu l’impression d’un disque rayé. On ne cache pas sa chute mais elle est montrée sur quelques pages alors qu’elle occupe presque la moitié du roman. J’ai fait un travail de coupe pour mettre le romantisme et le bonheur de jouer qui était l’essence même de Best pour nous.




Habituellement, tu fais un gros travail documentaire. Et là tu avais déjà de la matière.

Le livre de Vincent est un roman, ce n’est pas une biographie, c’est travail subjectif sur son amour du joueur et de cette époque en Angleterre. C’est pourquoi Il y avait des trous biographiques qu’il a fallu aller combler. On s’est beaucoup appuyés sur la biographie de Duncan Hamilton, Immortel (Hugo Sport, 2015). C’est un livre génial, très complet et très bien écrit. Avec Florent Calvez, nous avons également passé des heures à voir des extraits de matchs sur internet, des photos pour bien visualiser l’époque, les fringues, les voitures et les coupes de cheveux. Il est vrai que j’ai fait beaucoup moins de recherches que pour Violette Morris ou Notre mère la guerre.


En plus d’être scénariste, tu es devenu éditeur en étant responsable de la collection « Coup de tête ». C’était une envie que tu avais depuis plusieurs années. Quel est ton bilan après 6 albums ?

Pour l’instant, j’ai travaillé sur une quinzaine d’albums en tant qu’éditeur, tous ne sont pas encore sortis. Mon bilan est simple : C’est beaucoup plus dur de faire un livre en tant qu’éditeur qu’en tant qu’auteur ! Tout est compliqué : trouver la bonne histoire, les bons auteurs, trouver le public. Je me rends compte de la chance que j’ai eu en tant qu’auteur car j’ai trouvé un public. Contrairement à ce que tout le monde dit, la période est difficile pour la BD. Même si elle a gagné ses galons comme un art reconnu, l’immense majorité des albums ont du mal à exister, ils se vendent beaucoup moins qu’il y a 10 ans et encore moins qu’il y a 20 ou 30 ans. C’est difficile de trouver une adéquation financière et économique par rapport au temps d’écriture et aux ventes. Quand on parle de BD documentaire, il y a un gros travail de recherche qui n’est pas finançable dans l’économie actuelle de la BD. Une équipe de télévision qui traiterait du même sujet aurait la prise en charge du voyage sur place. En BD, l’écriture et la réalisation sont comprises dans le financement mais pas le temps de recherche ou la préparation du projet. Nous avons dû renoncer à certains projets car il aurait fallu un budget documentaire. Je pense à celui sur le Tour du Rwanda en cyclisme, l’auteur ne peut pas faire autrement que d’aller sur place pour suivre l’épreuve. Malheureusement le coût du voyage correspond au budget global de l’album. Ce n’est pas simple mais ce rôle de directeur de collection est très enrichissant. J’aurais quasiment fait tous les métiers autour de la BD. Je crois qu’il n’y a que le marketing que je n’ai pas fait.


L’offre est vraiment de plus en plus de qualité mais le public lecteur d’histoire du sport s’est-il élargi ?

Il est vrai qu’en une dizaine d’années, l’offre a considérablement explosée. Le public s’est probablement un peu étendu mais il n’y a pas eu de révolution pour l’instant, pas uniquement en BD, en roman également. En revanche, les lecteurs ne sont pas forcément des passionnés de sport au départ. Je pense à Un maillot pour l’Algérie. Il a été lu par plein de gens qui ne s’intéressaient pas au football mais qui avait un réel intérêt pour l’histoire. Médiatiquement, on voit une évolution. Si je compare deux de mes albums qui sortent au même moment : Georges Best et Une partition irlandaise. Nous avons 5 fois plus d’articles de presse sur Georges Best. On arrive à faire sortir les récits du sport du « ghetto » de la presse sportive, on a pas mal d’articles dans la presse musicale (Les Inrocks, Rock n ’Folk) par exemple mais très peu dans la presse spécialisée en BD. C’est marrant. Comme si pour les lecteurs-trices de BD, ces albums étaient d’abord faits pour les passionnés de sport mais pas pour les passionnés de BD. Avant, nous n’avions que des articles dans la presse BD. Aujourd’hui, c’est un peu l’inverse. Ça serait bien qu’un jour, on ait les deux ! Dans le domaine Sport et Litttérature/BD, Il y a encore des galons à gagner mais aujourd’hui je pense que c’est le combat est déjà gagné.



Que nous prépares-tu pour la 2e partie de l’année ?

Dans la seconde partie de l’année 2022, il n’y aura que l’album sur Jim Thorpe, le premier footballeur américain amérindien au début du XXe siècle. Il a également gagné deux médailles d’or aux JO de Stockholm en 1912. On le raconte avant tout sur l’angle du Foot US.

Plusieurs projets sont en cours. En 2023, il y aura un récit sur Septembre noir, le groupe terroriste palestinien fondé en 1970, avec l’attentat de Munich en 1972 lors des JO. Mais à travers la finale de basket entre URSS et les USA, qui marque la première victoire des soviétiques fassent aux américains. Jeff Legrand sera au scénario. Il y aura un album sur la diplomatie du ping-pong qui à travers la rencontre entre un pongiste chinois et un pongiste américain va raconter le rapprochement entre Mao Zedong et Richard Nixon. Alcante sera au scénario, Alain Meunier au dessin. Il y aura aussi une biographie dessinée de Marcel Cerdan, avec Bertrand Galic au scénario ; un récit sur la voile et la Rolex Fastnet Race en 1979 où une énorme tempête transforme la course en cauchemar. En quelques minutes, plus de 90 bateaux sont à la vague. C’est la plus grande opération de sauvetage menée par la Royaume Unis pour sauver les concurrents. Il y aura tout de même une vingtaine de mort. Un peu plus tard, nous aurons un album sur le tennis, le sumo, mais j’en parle moins car ils sont moins avancés dans l’écriture.


Il y a quelques années, tu nous avais confié que le sport n’était pas encore un sujet qui intéressait les auteurs de la BD. Cela a-t-il évolué ?

Oui, je n’ai pas de mal à trouver des auteurs. En revanche, j’ai plus de mal à trouver des autrices intéressées par le sujet et plus de mal à recevoir des projets sur le sport au féminin. Pour l’instant, il y a un réel déséquilibre dans la répartition sport masculin/sport féminin, c’est regrettable. J’ai envie que les auteurs viennent nous voir avec des projets qu’ils portent avec leurs tripes et non par opportunisme. Qu’ils soient réellement passionnés par le sport. Pour l’instant, c’est encore à moi d’aller chercher les auteurs ou des sujets. J’aimerais bien recevoir plus de projets que les auteurs défendent eux-mêmes.


Propos recueillis par Julien Legalle


Kris, Florent Calvez et Vincent Duluc. George Best, twist and shoot. Delcourt, 2022.

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