Entretien avec Robin Walter, auteur de la BD Prolongations
En 2014, lorsque Robin Walter publie le premier Tome de Prolongations "Passion et dépendance", il existe encore très peu de bandes dessinées sérieuses sur le football. A cette époque, on trouve surtout des albums humoristiques et des titres pour la jeunesse. C'est à cette époque que nous avions fait la connaissance de Robin car cette publication nous avait interpellé. D'ailleurs, vous pouvez retrouver notre premier échange dans notre ouvrage collectif Décalages, périple avec le foot (éd. Salto,Myths, 2016). Depuis, le paysage éditorial a changé avec l'émergence de nombreuses publications mêlant Sport et histoire. C'est pourquoi les éditions Des Ronds dans l'O et Robin ont décidé de réunir les deux tomes dans un nouveau format et d'ajouter en bonus trois histoires footballistiques publiées dans Ernest mag. Rencontre avec un passionnée de Sport, d'histoire et de BD.
Robin, peux-tu nous rappeler, comment as-tu eu l'idée de te lancer dans ce projet Prolongations ?
Depuis la fin des années 2000, j’avais cette idée en tête. Mon premier album, le premier tome de KZ Dora, est sorti en 2010. J’avais déjà plusieurs projets dans mes tiroirs et j’avais envie de parler de football sérieusement. Faire autre chose que ce qui existait à l’époque, à savoir la BD jeunesse ou de divertissement. En littérature et dans les films étrangers, on racontait déjà le football sérieusement. Passionné de ce sport depuis de nombreuses années, l’élément déclencheur a dû être la lecture de Carton jaune de Nick Hornby. Ce fût un véritable plaisir de lecture. J’avais déjà rassemblé plusieurs éléments et réalisé des entretiens avec différentes personnes du milieu du foot. Pendant le dessin de KZ Dora, un album sombre puisque je raconte l’histoire de mon grand-père dans ce camp de concentration situé à proximité du camp de Buchenwald en Allemagne, je me disais qu’ensuite il faudrait travailler sur un sujet plus léger, et c’est le sujet foot qui s’est imposé à moi.
Es-tu d’accord avec le terme de « BD chorale » pour parler de Prolongations ? En effet, tu alternes la parole de l’arbitre, du supporter, du joueur star, du journaliste et de la famille. Tu avais la volonté de montrer tout l’environnement de ce sport ?
Cela devait être plus que cela même ! Mon projet de départ était d’intégrer d’autres personnages gravitant autour du foot comme l’entraineur, le jeune sportif, le médecin. Je voulais aborder la difficulté des gamins pour arriver à devenir pro, le dopage, le business… Pour revenir à l’idée de « scénario choral », je suis d'accord avec toi et je suis convaincu par cette construction. Je l’avais déjà utilisé dans KZ Dora pour évoquer un lieu. On retrouve souvent cette idée dans les séries et au début de l’écriture, j’avais imaginé faire plusieurs saisons. Au fil de celle-ci, j’aurais pu y ajouter les autres personnages. Peut-être que je continuerai cette idée un jour, mais pour l’instant, j’ai d’autres projets à terminer.
Tu as choisi le PSG, est-ce un club important pour toi ?
J’avais besoin que cela se passe dans un bon club de Ligue 1. À l’époque, il y avait 6/7 clubs qui pouvaient être le cadre de la BD. Je me suis posé la question de Lyon, Bordeaux ou Paris. Dès le début, je savais que je partirais sur une histoire fictive, pour une question de droits et pour me donner plus de latitude sur le scénario, et comme j’étais supporter parisien habitant en région parisienne, c’était plus simple d’étudier un club proche de mon lieu d’habitation dont je connaissais pas mal d’éléments. Et puis j’adore dessiner le Parc des princes. Quand j’ai commencé à dessiner, le PSG est passé sous bannière qatari mais je n’ai pas souhaité changer le scénario, ni mon histoire. Et puis au début, nous ne pouvions pas imaginer à quel point ils changeraient le club. C’est donc davantage le club des années 2000 qui alterne entre les places d’honneur et parfois la lutte pour le maintien qui a eu ma préférence, notamment pour l’impact sur le personnage de l’ultra.
Robin et Jérôme Rothen en 2008
Récemment des supporters historiques du club ont montré un désintérêt voire un rejet de ce « nouveau PSG » montrant une préférence pour ces années 2000. Est-ce pareil pour toi ?
Non pas du tout. Je ne suis pas nostalgique, c’est l’histoire de tous les clubs avec ces joies et ces peines. Il y avait juste moins de moments joyeux dans les années 2000-2010, en dehors de quelques matchs de championnat ou victoire en coupe nationale, et c’est sans doute cette rareté qui faisait des moments plus forts car moins attendus. Aujourd’hui, il y a moins ce phénomène de rareté mais j’arrive toujours à prendre du plaisir, à suivre les matchs, même si l’incertitude est moins grande qu’à l’époque. Peut-être que ces supporters ont aussi de la nostalgie pour l’animation des tribunes de l’époque, ils avaient l’impression de jouer un autre rôle.
Le premier tome est sorti en 2014. Tu abordais déjà les questions de l’homophobie, le conflit interne chez les arbitres, l’utilisation du sport par la sphère politique…J’ai l’impression que les sujets n’ont pas du tout progressé… En sommes-nous toujours au même point ?
Oui le premier tome est sorti en mai-juin 2014 au moment de la Coupe du monde au Brésil. Effectivement, en relisant les deux albums pour regarder si des éléments devaient être modifiés, j’ai été frappé pour la non évolution des sujets notamment sur l’homosexualité dans le foot. Je pense même que depuis la sortie du confinement, le stade est redevenu un défouloir, avec les excès sur la violence et les propos homophobes. Sur ce sujet de l’homophobie, on voit que lorsque la ligue fait sa journée « arc-en-ciel », il y a des soucis avec les joueurs, l’année passée avec Gana Gueye… et il a été soutenu par tout le Sénégal, et notamment les religieux. On se réjouit souvent de l’extension du football dans le monde, jusqu’à l’organisation pour la première d’une coupe du monde au Qatar, mais on découvre que tous ces pays non occidentaux ne pensent pas comme nous, n’ont pas les mêmes lois. De mon point de vue, il faut avancer doucement sur ces sujets et surtout ne pas imposer nos idées même si pour nous certains combats sont acquis. Même si cela est révoltant pour nous, cela serait contre-productif. Il ne fait pas oublier que les droits, les combats menés en occident ne sont pas si vieux.
Je fais partie de ceux qui pensent que depuis 20 ans, Internet a créé un monde dans un monde. Aujourd’hui on peut rapidement tout voir, savoir tout ce qui se dit, se passe partout dans le monde. Cela crée beaucoup de frustration, engendre des problèmes, que ce soit sur les questions de religion ou d’économie, et toutes ces questions rejaillissent sur le football.
Tu l’as dit, en 2014, il y avait beaucoup d’albums de gag et une offre limitée. As-tu remarqué une évolution de la BD de sport du point de vue de la qualité, du nombre et de la réception par le public ?
Il y a une évolution dans la production. Pour moi, l’album Un maillot pour l’Algérie de Kris, Rey, Gallic, a marqué un tournant dans la perception des lecteurs et des libraires. Ils ont compris que l’histoire et le sport faisaient un bon binôme. Kris a même été plus loin en créant la première collection dédiée au sport avec « Coup de tête » chez Delcourt. Au-delà de cette collection, les titres qui paraissent aujourd’hui n’auraient jamais passé auparavant le premier tour dans un service éditorial. Plus récemment La patrie des frères Werner de Philippe Collin a aussi fait du bien. Chez mon éditeur, Les ronds dans l’O, il y a aussi eu plusieurs albums sur le sport : Rêves sur le Toit du Monde sur l’équipe national du Tibet ; ZLATAN Histoire d'un champion de Paolo Castaldi et Zátopek de Jan Novák - Jaromír 99.
Concernant la republication de Prolongations, le premier tome était épuisé depuis de nombreuses années, je n’avais pas encore profité de cette nouvelle ère qui finalement est très récente. Avec mon éditrice, on voulait voir comment les albums se porteraient dans un moment plus favorable pour la BD de sport. Concernant le lectorat, j’observe que mes lecteurs me connaissent surtout pour mes livres plus historiques et ils sont souvent étonnés de voir Prolongations dans ma bibliographie. Dans les salons, lieux familiaux par excellence, j’ai souvent le schéma père-fils qui viennent lire l’album et qui ont deux lectures différentes. Ce n’est pas une surprise car je l’avais pensé comme cela mais c’est toujours agréable de voir que les lecteurs l’ont compris.
À cette nouvelle édition, tu as ajouté des portraits de « Transversale ». Peux-tu nous parler un peu de ce projet que tu animes sur Ernest mag ?
C’est une chronique que j’anime une fois par mois pour Ernest mag, un média littéraire généraliste. C’est à nouveau ma volonté de montrer tout l’intérêt des sujets qui mêlent histoire et sport. Le football a une part importante mais je traite de tous les sports. C’est une continuité de Prolongations, j’ai pu reprendre les personnages journalistes et le nom de leur émission de radio Transversale. Ce dialogue entre les deux me permet d’aborder de nombreux sujets et de les ancrer dans l’actualité. Dans cet intégral, j’en présente trois. J’ ai déjà écrit une vingtaine de chroniques, on va commencer à réfléchir pour les publier en version papier.
Pour terminer, c’est quoi le quotidien d’un scénariste/dessinateur de BD ?
Le quotidien est passionnant. Les semaines se succèdent mais elles ne se ressemblent pas. Les plus monotones sont celles du dessinateur car je fais des journées de dessin et rien d’autre… Ce n’est qu’une partie de mon travail. Pour le scenario, il a la phase de documentation, se plonger dans les archives, c’est proche d’un travail de journaliste. Ensuite, il y a la phase d’écriture. Je travaille beaucoup sur mon ordinateur, je fais le story-board, c’est-à-dire le brouillon de la BD, je fais des petits dessins très simples. Ensuite, je me mets à ma table à dessin de 8h à 19h pour vraiment finaliser le dessin. Me concernant, ces journées sont entrecoupées par des interventions dans les écoles, plutôt pour mes albums sur la déportation, et le week-end, je suis également présent sur de nombreux festivals.
Propos recueillis par Julien Legalle
Robin Walter, Prolongations, éd. Des ronds dans l'O, 2022.
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