Entretien « cartes et sports US » avec Greg Jousset, auteur de Trading Cards, une histoire du Hobby
Les jeunes français, génération après génération, ont appris à grandir avec les stickers Panini à collectionner dans des albums dédiés aux équipes de football. Outre-Atlantique, cette passion de collectionner des images de ses stars et équipes préférées a pris une autre forme depuis plus d’un siècle, la forme de cartes recto-verso, mêlant photographies et informations.
En France, nous sommes plusieurs à partager cette passion pour les cartes des sports US, leurs grandes ligues professionnelles comme la Major League Baseball ou la National Basketball Association, et, bien sûr, leurs grandes stars : Babe Ruth, Michael Jordan, Tom Brady ou encore Wayne Gretzky. Dans notre communauté, il existe un fan, amateur des cartes de Derek Jeter, légende vivante du baseball et des New York Yankees, et grand connaisseur du hobby. Ce fan est devenu auteur en sortant un livre en début d’année sur sa passion, son parcours et l’histoire du hobby : Trading Cards, une histoire du Hobby, sous-titré C’est bien plus qu’un morceau de carton.
Dans un ouvrage de 280 pages, superbement illustré, Greg Jousset revient sur les origines de sa passion pour les Trading Cards, sur leur histoire plus que centenaire, les grandes marques qui ont construit ce hobby et les acteurs en France qui ont fait vivre cet univers importé des Etats-Unis. Pour ce dernier point, le livre de Greg Jousset laisse une large place aux interviews de passionnés français et de spécialistes américains avec, en prime, les interviews de Tariq Abdul-Wahad, l’un des premiers français à avoir évolué en NBA, et l’ancien lanceur MLB Jim Morris, dont l’incroyable histoire fut adaptée par Disney dans le film Rêve de Champion (The Rookie en VO).
Avec nous, Greg Jousset revient sur sa passion et sur la création de son livre, sorti en auto-édition et grâce à un financement participatif.
Pour celles et ceux qui ne connaissent pas, peux-tu nous expliquer ce qu’est le trading card ?
La trading card est à la base une carte de collection. Le plus souvent en carton, elle peut aussi être en plastique ou en papier. Comme l’évoque son nom, elle est destinée à être éventuellement échangée. Il faudrait plusieurs pages pour rentrer dans les détails de ce petit objet car c’est bien plus qu’un morceau de carton. Contrairement à la vignette autocollante, elle est, en générale, recto verso. Elle se démarque par sa taille caractéristique qui a varié au fil des différentes évolutions.
Il est cependant difficile de dire exactement de quel pays elle est originaire réellement mais l’inspiration vient sans aucun doute d’Europe. Les trade cards étaient les ancêtres des trading cards modernes. Elles sont inspirées des cabinet cards ou cartes de visite venant d’Europe. Le phénomène a fini par envahir l’Amérique du Nord. L’industrie du tabac s’empare de ce stratagème pour vendre ses paquets de cigarettes. Ensuite le marché s’est emballé avec les chewing-gums et la carte qui accompagnait un produit est devenu un produit à part entière au vu du succès de celles-ci. L’histoire de la trading card est riche et très intéressante tant sur le plan historique et commercial.
D’où t’es venue cette passion et qu’est-ce que tu collectionnes en particulier ?
Ma passion est le fruit de plusieurs influences, mais elle est principalement familiale. Et pourtant, ils étaient loin de s’imaginer être un des vecteurs de ma passion...
C’est un savoureux mélange qui m’a amené à la collection. Je suis né en 1985 et je n’ai pas échappé à la fabuleuse période de Michael Jordan et l’expansion du sport US dans les années 90. Pour commencer, j’ai toujours eu des cartes dans les mains (ma mère m’achetait toujours un petit paquet de panini ou carte le soir pour être prêt à échanger celle-ci dans la cour de récréation ). Ensuite, l’avènement de la trading card en France avec l’arrivée d’Upper Deck (marque emblématique de trading cards après Topps, ndlr) - que ce soit chez le marchand de journaux ou à McDonald’s - m’a littéralement aspiré. Quelques années ont passé et c’est lors de mon voyage au Canada en 2001 avec ma grand-mère que j’ai été piqué par ce virus. J’ai eu un véritable déclic.
J’avais déjà un intérêt certain pour le baseball et le fait que ce petit morceau de carton était un objet totalement ancré dans le paysage culturel en Amérique du Nord m’a bien aidé.
J’ai acheté mon premier paquet au Sky Dome (aujourd’hui Rodgers Field, stade des Blue Jays en Major League Baseball, ndlr) de Toronto.
A mon retour en France, j’ai accentué mes recherches malgré mon jeune âge et le peu d’accès à ce phénomène peu commun dans notre pays. Quelques temps plus tard, ma sœur a trouvé dans une braderie un paquet de trading cards. Je l’ai ouvert et j’ai trouvé dedans une carte magnifique de Derek Jeter. Elle était différente et c’était un joueur que j’adorais. C’était en 2002 et je n’ai plus jamais arrêté de le collectionner depuis tout ce temps ! Donc tu peux voir que ma famille a eu un réel impact dans ma passion.
Tu as écrit un livre sur ce hobby confidentiel en France mais hyper répandu aux États-Unis où certaines cartes atteignent des millions de dollars. Qu’est-ce qui t’a donné envie d’écrire ce livre ?
Tout d’abord, je ne me considère pas comme écrivain. C’est un mélange « pêle-mêle » d’un récit biographique, de traductions, documentations diverses et quelques interviews. Il est le résultat d’une succession d’idées et d’envies pour un projet qui, à la base, n’était pas voué à paraître.
J’ai lu beaucoup d’articles et j’ai pu lire des livres parus aux États-Unis sur le sujet. Mon niveau d’anglais étant limité, j’étais frustré de ne pas tout comprendre ou de passer à côté de certaines informations. Je me suis plusieurs fois fait la remarque sur le fait que rien n’existait sur le sujet en français. Peu avant le confinement, j’ai commencé à écrire quelques bribes de mon histoire personnelle. Plus j’avançais, plus j’avais des pages et je me prenais au jeu. En parlant de ce projet un peu fou, on m’a conseillé de faire une campagne participative pour financer une éventuelle impression. Le bouche à oreille a opéré et j’ai pu voir plus loin que ce que mes 150 pages initiales comprenaient. J’ai atteint près de 500 pages et il a même fallu réduire et sélectionner pour ne pas exploser le budget initial. J’avais près de 50 commandes de personnes qui ont cru en moi. Je leur serais à jamais reconnaissant car ce n’était pas gagné du tout. Ils ont cru en moi avec peu d’éléments. J’ai mis du temps à sortir le projet final (qui n’est pas parfait mais cela reste amateur donc l’indulgence a été de mise pour la plupart ) car le chemin n’a pas été si facile. Mais globalement la critique du monde du hobby a été si positive que j’ai eu 100 commandes ! J’ai été submergé de demande et de questions. J’ai hésité à faire imprimer 200 exemplaires mais cela était un gros risque vu le nombre de commandes initiales. J’ai donc assuré le coup avec 150 livres et c’était déjà financièrement un gros pari.
Qu’est-ce qui a été le plus compliqué dans cette aventure où tu as choisi l’auto-édition et le financement participatif ?
Comme je te le disais sur la question précédente, je ne suis ni professionnel ni écrivain. Il a fallu monter un projet de A à Z. Pour l’anecdote, encore en avril, je n’avais même pas d’ordinateur personnel pour rédiger mon livre. J’ai choisi directement l’auto-édition car c’était pour moi la liberté de pouvoir y ajouter un contenu riche et, d’autre part, je ne voulais même pas faire de démarche auprès d’éditeurs car je ne savais même pas par où commencer. Je n’ai aucun regret sur ce point.
L’autre aspect plus complexe a été le financement. La campagne participative, malgré son succès global, n’a pas été si convaincante. J’ai dû faire face à quelques péripéties mais c’est le jeu. Pour mes erreurs, j’ai fait faire des devis pour un livre de 150 pages et il en faisait le double à l’arrivée. J’ai oublié de chiffrer également les coûts d’envoi exorbitants. Bref, le côté amateur a resurgi mais j’ai toujours trouvé une solution. Je voulais absolument qu’il soit tiré sur du papier écologique avec une couverture soignée, et tout cela made in France . J’avais envie d’un produit fini de qualité. Le contenu c’est autre chose mais déjà avoir un bel objet, c’était important. Mais j’avais également oublié l’aspect technique pour l’impression. On n’arrive pas avec son petit fichier word et hop... J’ai, par chance, trouvé un graphiste professionnel qui m’a accompagné de main de maître. Vincent Abitane a de suite aimé ma démarche et a oublié ses prétentions financières pour que je puisse aller au bout de mon projet. J’ai été aussi guidé par Valérie, Laureline, soutenu par bons nombres de collectionneurs ainsi que ma famille. Bref, je n’ai pas lâché malgré les embûches. J’ai fait des erreurs mais aussi de superbes rencontres donc le résultat est plus que positif et je ne changerai rien. Les remerciements depuis des semaines me touchent énormément.
Tu accordes une très large place aux interviews, notamment de passionnés français mais aussi d’athlètes comme Jim Morris et Tariq Abdul-Wahad. En quoi il était important d’accorder une telle place à la voix des autres dans ton livre ?
Oui, je voulais que le livre soit vivant et fasse de la place aux acteurs de notre passion : les sportifs. Je suis avant tout un passionné de sport et faire intervenir des athlètes avec ceux du hobby était, je trouve, le parfait équilibre pour que le livre soit autre chose que des documents ou des articles mis bout à bout. Je me suis toujours demandé le rapport des sportifs par rapport aux trading cards. J’avais moins de doute pour Jim Morris car il baigne dans un sport qui vit avec les cartes depuis toujours. Mais il a cependant apporté ce petit côté magique de son enfance qui parait universel à tout point de vue.
Pour TAW, c’était plus un échange informel et le fait de m’avoir montré ses cartes et partagé ses expériences sur les trading cards (qu’il ne connaissait pas avant de fouler le sol américain) fut une belle expérience. Cela montre tout le côté intrigant et passionnant de cet univers. Je devais également avoir Cristobal Huet, mais plusieurs contretemps ont fait que je n’ai pas insisté. J’ai eu peu de refus mais j’aurai aimé aussi avoir George Eddy.
Mais en l’occurrence l’alchimie de ces intervenants avec ceux du hobby a été l’une des clefs de la construction de mon livre.
Comment s'organise aujourd'hui la communauté des passionnés en France ? Comment fait-on vivre sa passion pour les cartes à collectionner quand on est en France ?
La communauté française n’a jamais été aussi productive et active, je trouve. Je parle pour le baseball mais cela semble également vrai pour le basket et les autres sports. C’est tout le paradoxe de la période. Le seul danger, c’est l’arrivée d’investisseurs. Donc les groupes Facebook, les collectionneurs s’organisent et chacun trouvent plus ou moins sa place. Ces derniers temps ont vu trois magasins en ligne français ouvrir, c’est le signe d’une bonne santé mais cela reste toujours un pari dans le temps. Il y a eu aussi plusieurs événements de rassemblement de collectionneurs ces dernières années puis le virus a freiné la dynamique. Mais il a aussi ravivé la flamme de nombreux collectionneurs pendant le confinement ! C’est tout le paradoxe de cette période compliquée.
Pour le côté passion, je trouve qu’il y a aussi une très belle dynamique : podcast, articles divers sur des sites spécialisés, réseaux sociaux comme Instagram ou Twitter...
Aujourd'hui, le prix des cartes flambent. Le hobby semble avoir changé entre tes débuts dans cet univers et aujourd'hui. Qu'est-ce qui a changé justement ?
Oui, il a complément changé. Dans le livre, je parle d’évolution mais là, je crois bien que nous sommes clairement dans la révolution. Je ne sais pas combien de temps cela va durer et bien malin celui qui prédira un retour à la normale. Mais comme j’aime garder le côté positif des choses - malgré que les spéculateurs venus de Wall Street m’enchantent guerre -, je trouve que l’on n’a jamais autant parlé du hobby qu’en 2020/2021 ! C’est donc une bonne chose même s’il y a des choses négatives. Maintenant, j’espère qu’il ne s’écroulera pas car vu les sommes atteintes ces derniers temps, c’est assez déconcertant. Mais comme le soulignait Jamieson dans son livre (Mint Condition, How Baseball cards became an American obsession, Dave Jamieson, 2010), chaque période a vu des changements dans le hobby et les collectionneurs sont toujours revenus. Alors, il faut éviter les businessmen, être plus patient ou alors changer ses priorités dans sa collection. Le prix des boites devenant totalement inabordables, les collectionneurs s’organisent et trouvent des parades pour toujours pouvoir s’approvisionner. C’est la force du hobby !
L’engouement et l’intérêt grandissant pour le hobby - même s’il reste une niche en France - est à un moment charnière et je pense qu’il faut absolument le développer maintenant !
Propos recueillis par Gaétan Alibert
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