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Les culs-reptiles

Le cinéaste et écrivain tchadien Mahamat-Saleh Haroun signe « Les culs-reptiles », une satire politique incarnée par la destinée du jeune Bourma Kabo, et librement inspirée de l’histoire du nageur guinéen Eric Moussambani lors de Jeux de Sidney en 2000.




Notre contemporain Joël Baqué racontant brièvement son goût adolescent pour l’athlétisme dans « La mer c’est rien du tout », dernière gifle littéraire en date. Le mythique Julien Gracq, un refuge récurrent pour qui vit en bord de Loire, évoquant avec nostalgie son intérêt pour le rugby dans « La forme d’une ville ». Le fulgurant Bryan Stanley Johnson, peut-être au sommet de son art dans « Les Malchanceux », texte fou qui narre son retour dans une ville chargée de souvenirs pour y couvrir un match de football comme correspondant de presse.

Trois lectures récentes et autant de preuves que le début d’année 2022 ne déroge pas à la règle : sans relâche, le lecteur-sportif traque dans chaque ouvrage la présence du jeu, il adore y dénicher quelques traces d’amour pour une discipline ou une autre, s’astreint à surligner les passages qui disent la beauté d’un geste d’athlète, la mélancolie d’un gymnase d’enfance ou les émotions contradictoires nées d’une défaite flamboyante.

Bref, pour étayer encore le propos, un quatrième livre est venu éclairer l’hiver. Il s’agit d’un roman paru en janvier dernier dans la collection Continents Noirs chez Gallimard, et signé du cinéaste et écrivain tchadien Mahamat-Saleh Haroun. Son titre, « Les culs-reptiles », fait référence à ce peuple de « oisifs qui ne voulaient rien foutre au pays, des fainéants qui passaient la journée à même le sol, sur des nattes, à jouer aux dames ou au rami », peut-on lire dès la première page. Le pays en question n’est jamais nommé, mais nous sommes sur le continent africain, dans une grande ville de bord de mer, au cœur d’un quartier appelé Torodona. Ce lieu où les habitants vivent dans des conditions déplorables, ne possèdent rien, n’ont aucun droit, et surtout pas celui de se rebeller contre les injustices ou contre leurs bourreaux, au risque d’être écrasés par un gouvernement autoritaire…

Parmi ces interdits de tout, on se met très vite dans la peau de Bourma Kabo, un jeune homme vaincu par l’échec de ses tentatives de révolutions collectives, à qui il ne reste donc plus que la fiction, improbable, presque absurde, pour échapper au pire. Ainsi, il entend à la radio que la fédération de natation de son pays - nouvellement créée - organise un recrutement de nageurs dans le but de participer, grâce à une dérogation du CIO, aux prochains Jeux Olympiques, en Australie ! Projet bien singulier pour lequel notre héros est le seul à candidater… Il représentera donc son pays à Sidney. Peu importe qu’il ne sache pas nager, peu importe ses doutes, peu importe l’amateurisme de la fédération , puisque le président tout-puissant en a décidé ainsi, tous les protagonistes s’exécutent pour fabriquer un grand mensonge commun.

Jusqu’à la course, Bourma passe par de multiples étapes, entre des séances d’entraînement en mer avec son protecteur Garba, une phrase cathédrale d’Albert Camus qui l’invite à se libérer d’un poids trop lourd, cette fascination hypnotique pour le nageur russe Alexander Popov, ou une histoire d’Amour avec Ziréga qui le sauvera de tout.

A la lecture de ce qui précède, vous aurez certainement reconnu les bases d’une histoire vraie, celle d’Eric Moussambani, nageur guinéen dont le 100 mètres nage libre aux Jeux de Sidney est resté dans toutes les mémoires. L’auteur indique en effet à la fin du livre que son roman est « librement inspiré » de cette éphémère célébrité, de ce destin façonné par une volonté politique presque incompréhensible. L’épopée de Bourma est elle aussi une histoire violente et tendre à la fois, une fable aux accents de possible, une lecture aussi divertissante que questionnante, dans laquelle on oublierait presque les évidentes traces de sport, un comble pour le lecteur-sportif.



par Valentin Deudon

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