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Sport et Poésie : Entretien avec Julie Gaucher pour son recueil "Et elles se mirent à courir".

Vous connaissez probablement notre collègue Julie Gaucher pour ses nombreux articles scientifiques sur la littérature sportive, son anthologie De la femme de sport à la sportive (2019) et ses contributions pour le site Ecrire le Sport et plus récemment pour la revue Panard, mais depuis quelques semaines, Julie nous dévoile une autre facette de son talent : la Poésie.


© photofun


Nous sommes plus habitués à te voir écrire des articles universitaires ou des chroniques pour Panard et Écrire le Sport mais avec ce recueil nous découvrons une nouvelle facette de ton talent : la poésie ! Comment est venue l’idée de ces textes ?

Je me suis longtemps autorisée à ne publier que des articles scientifiques. Ils me paraissaient seuls légitimes au regard de mon statut de chercheuse. Il y a quelques années déjà, j’ai souhaité partager plus largement mes recherches et ma passion pour la littérature sportive en la vulgarisant (au sens noble du terme !) que ce soit d’abord au sein d’Ecrire le sport puis dans les pages de Panard. En parallèle, j’écrivais pour moi, comme une nécessité. Ces textes n’étaient pas destinés à être publiés et je ne les partageais qu’avec mes proches : des poèmes bien sûr, restés dans un tiroir de bureau, des histoires pour mes enfants, quelques nouvelles classées dans un dossier de mon ordinateur… J’ai dérogé une seule fois à la règle en soumettant une nouvelle, écrite lors d’une nuit d’insomnie, à un concours organisé par mon université .

Je crois que je m’étais moi-même posé des limites : j’étais attendue sur des articles universitaires et je craignais qu’un autre type d’écriture nuise à ce travail en donnant l’impression de me disperser. Cette fois-ci, le cap est franchi !



Es-tu d’accord si je te dis qu’à travers ton recueil, qui mêle des récits intimes sur ta pratique avec des moments clés du sport (800m aux JO), on traverse une histoire du sport au féminin ?

Rapidement, quand j’ai décidé d’écrire sur le sport, j’ai senti le besoin de croiser les expériences et les histoires. D’abord, celles de ma propre pratique avec des poèmes personnels, attentifs aux sensations et empreints de souvenirs, à la fois parcellaires et intimes. Mais aussi, celles des sportives qui avaient traversé l’histoire, championnes ou anonymes. Il s’agissait de rassembler ces expériences du corps, de l’effort et de la joie de vivre qui nait du sport en tenant compte de leur diversité. Donc, tu as raison, on traverse sans doute l’histoire des sportives, mais de façon sélective, parcellaire et intimiste.


Le fait de te replonger dans de nombreux textes pour ton anthologie a-t-il joué un rôle ?

Cette question est amusante car il est difficile de savoir d’où part l’écriture. Plus généralement, cet intérêt pour l’histoire des sportives m’habite depuis de très nombreuses années… et pour être tout à fait juste, il faudrait surtout revenir sur mon travail de thèse qui questionnait l’inscription dans la littérature de nouveaux personnages, en faisant entrer le sport (et les sportives !) dans les fictions. L’anthologie émanait de ce travail de recherche : j’avais conscience de posséder des textes difficiles d’accès (peu connus, pas réédités…) et dont la lecture croisée permettait de mieux comprendre l’histoire des sportives et de leur représentation.

Lors de l’écriture du recueil, j’ai surtout profité d’un moment de pause (subie) dans ma vie. Du jour au lendemain, j’ai été hospitalisée. La lecture et l’écriture ont alors comblé mes journées… et m’ont permis de m’extirper de l’atmosphère de l’hôpital. Coincée entre quatre murs, j’ai mesuré à quel point l’effort physique m’était nécessaire et je n’avais qu’une envie : courir, nager.



Tu te présentes comme l’anti-Martine ? Pourquoi ?

J’appartiens à une génération pour laquelle les choix en termes de littérature jeunesse étaient assez limités. Comme beaucoup de petites filles des années 80, j’ai grandi avec les albums de Martine qui proposaient des modèles de genre très stéréotypés : Martine jouait à la maman ou à la ménagère et les albums semblaient indiquer aux jeunes lectrices la place que ces dernières auraient à occuper dans la société. Alors oui, Martine a accompagné mon enfance et je crois même l’avoir aimée (quel bonheur que de se voir offrir un livre !). Mais en grandissant, j’ai pris conscience des modèles de genre qui s’y déployaient ; je les ai progressivement questionnés et déconstruits. Martine a alors fonctionné comme un contre-modèle !

Par ailleurs, le personnage de Marcel Marlier évolue dans un univers lisse, très marqué en termes de classe sociale : combien de lectrices Martine a-t-elle fait rêver autour de pratiques ou de distractions inaccessibles ? Martine fait une croisière, prend l’avion, pratique l’équitation… Un personnage bien loin de la réalité de nombreux enfants.

Aujourd’hui, l’offre en littérature jeunesse est beaucoup plus riche. Des maisons d’éditions, à l’exemple de Talents hauts, ont accompli une véritable révolution en mettant en scène des héroïnes actives, courageuses, sportives … Autant de façons de montrer aux petites filles que l’aventure est aussi pour elles !


« J’écris comme je cours ». Qu’est-ce que cela signifie pour toi ?

Je pense que la poésie est une écriture du souffle. Le corps impulse son rythme, sa cadence, ses failles aussi. Le poème lu à voix haute rend ce souffle et la matérialité du corps, du corps qui écrit mais aussi du corps qui lit.

D’autre part, la course, mais aussi la nage sont des pratiques qui permettent de délier les pensées, de faire venir le mot… et en ce qui me concerne, l’effort, en libérant le corps, rend la pensée plus claire.


« On est seul, on est huit ». A plusieurs reprises, même si tu évoques des pratiques sportives individuelles, on remarque cette notion de sororité. Peux-tu nous en dire plus ?

Dans mon recueil, j’évoque deux pratiques qui sont des sports individuels : la course et la nage. Certes, lorsque l’on nage en compétition, on est seul sur le plot au moment du départ et la performance enregistrée est celle de notre corps. Pour autant, c’est bien au bord des bassins que j’ai appris à faire équipe. Les entrainements, réguliers, parfois quotidiens, sont partagés avec l’équipe de nageurs et de nageuses… Dans l’effort, se tisse une forme de fraternité : les encouragements et le support moral des autres sont essentiels quand la série annoncée par l’entraineur fait peur, que l’on se dit qu’on n’y arrivera pas. On va aussi à l’entrainement pour voir les copains parce que bien sûr, il arrive certains jours où l’on n’a pas vraiment envie de se mettre à l’eau. La natation est un sport mixte où nageurs et nageuses partagent la ligne. Ce qui compte c’est le niveau (pour ne pas embouteiller la ligne d’eau) plus que le sexe.

Pour autant, l’intimité des vestiaires que j’ai partagée avec mes coéquipières, a été essentielle dans ma construction de nageuse mais aussi d’adolescente et de femme. Les corps sont nus, sans pudeur et sans même que l’idée de pudeur ne nous effleure. On voit les amies grandir, changer. A l’adolescence, on n’est pas seule face aux bouleversements hormonaux et aux douleurs qui peuvent en découler. Les douches, les vestiaires deviennent l’endroit où ils peuvent s’énoncer, librement, dans le groupe de pairs. Le partage est vrai, intime et dépasse la simple camaraderie. Ce n’est pas l’amitié tissée sur les bancs de l’école. Il se joue quelque chose de plus fort qui tient de la sororité.


La figure de l’étrangère est présente dans plusieurs poèmes, à la fois lorsque tu arrives dans un nouveau village et lorsque tu cours plus vite que les garçons. Peux-tu revenir sur cette notion ?

Pendant l’enfance et l’adolescence, il est difficile d’être différent·e. Dans le regard des autres, la différence devient très souvent une occasion de rejet voire de stigmatisation. C’est en grandissant que l’on comprend qu’elle peut être une richesse, une force. Quand j’ai écrit « La nouvelle », j’ai pensé à ma propre différence, enfant, mais aussi aux collégiens et aux collégiennes que je rencontre dans mon métier d’enseignante. Finalement, à ceux qui ne rentrent pas dans les cases et qui sont pointés du doigt parce qu’ils ne performent pas le modèle dominant… C’était aussi une façon de leur dire : « Fonce ! Cette différence est ta richesse, n’en aie pas honte ! »


Tu consacres ou dédies plusieurs poèmes à des sportives ou grandes figures féminines : Lina Radke, Kathrine Switzer, Madeleine Delonin. Pourquoi elles ?

En tant qu’historienne du sport, j’ai été marquée par de grandes et de moins grandes figures sportives. Parce qu’elles ont osé pousser la porte des stades avant moi, les sportives d’hier m’ont permis de vivre ma pratique sportive sans entrave… A leur échelle, elles ont mené des combats pour que les femmes puissent pratiquer le sport. Je me sens extrêmement redevable à l’égard de ces sportives, comme je le suis à l’égard des figures féministes qui ont œuvré pour plus de libertés et de droits.

Or, si les « Grands hommes » sont enseignés dans les programmes scolaires, force est de constater que les femmes sont souvent maintenues dans les « silences » de l’histoire pour reprendre les propos de Michelle Perrot. Elles se résument à un chapitre de fin de manuel, que la densité du programme ne permet pas toujours d’aborder… quand elles représentent 50% de la population ! En évoquant Lina Radke, en nommant expressément toutes les finalistes du premier 800 mètres olympique, en revenant sur l’histoire de la marathonienne Kathrine Switzer, je souhaitais faire connaitre leur histoire, les faire sortir de ce silence assourdissant… Ces poèmes sont une façon bien modeste de leur rendre hommage.

Pour Madeleine Delonin, c’est un peu différent. Il s’agit d’une professeure d’EPS dont j’ai découvert l’histoire par le témoignage d’un proche qui m’a confié certaines de ses archives. Or, les « anonymes » sont nombreuses, à l’exemple de Madeleine Delonin, a avoir ouvert les portes des stades aux jeunes filles et aux femmes. Toutes ces professeures d’EPS ont sans doute changé le destin de leurs élèves en leur faisant découvrir le gout de la liberté par l’effort physique…


As-tu des modèles en littérature ?

Je pense que l’on écrit en étant traversé par les textes que nous avons lus, qui nous habitent, sans forcément en avoir conscience. Je me sens particulièrement proche des poètes et autrices qui ont des écriture « incarnées », qui viennent du corps. Je suis une véritable passionnée de Colette. J’ai découvert récemment les poèmes de Grisélidis Réal et je suis sortie bouleversée de cette lecture. Ce n’est pas non plus un hasard si j’ai demandé à Rim Battal de préfacer ce recueil… Ses mots touchent juste, j’ai même l’impression qu’ils percutent.

J’écris aussi contre, avec le souvenir de tous les textes misogynes qui ont accompagné l’avènement des sportives. J’ai eu le loisir de les analyser au cours de ma thèse et ils ont laissé des traces.



Dans tes remerciements, tu évoques « une lettre aux jeunes poétesses » de Rim Battal, ta préfacière. Peux-tu nous en dire plus et qu’est-ce que cette lettre t’a apporté ?

J’ai trouvé la démarche du collectif des 21 poétesses à l’origine des Lettres aux jeunes poétesses essentiel. Leurs textes m’ont donné le courage de proposer ce recueil à un éditeur et de le faire publier sous mon nom. L’écriture était pour moi nécessaire, comme si je ne pouvais pas faire autrement, mais au moment où j’achevais le recueil, je n’avais pas l’intention de le soumettre pour publication. Sans cette impulsion des Lettres aux jeunes poétesses, la bienveillance de mes relecteurs et relectrices, ce manuscrit aurait sans doute fini au fond d’un tiroir…


Propos recueillis par Julien Legalle




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