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Photos contre clichés

Les supporters de football concentrent de nombreux prêts-à-penser. On peut les classer en deux grands registres. D’une part, l’univers des stades est bien souvent réduit à la violence et au racisme. Ainsi la question des supporters fait-elle l’objet d’un traitement médiatique sensationnaliste dès lors que des incidents émaillent les rencontres. D’autre part, le supporter est également pensé comme un idiot qui confine au ridicule et les foules sportives comme un agglomérat d’individus aliénés. Lorsque journalistes et caméras de télévision cherchent à donner une figure au supporter, il est fréquent que le représentant choisi soit le plus carnavalesque et caricatural des gradins : écharpe, maillot, perruque, peinture forment l’accoutrement obligé et fantasmé du vrai supporter.


Avec le photographe marseillais Lionel Briot, on est loin de ces clichés. Son travail, regroupé dans un ouvrage récemment paru intitulé Vélodrome Le douzième homme offre une image bien plus fine du « peuple des tribunes ». Ce regard, il le doit sans doute d’abord à sa sensibilité humaniste qui se matérialise par l’intérêt accordé aux travaux de sciences sociales produits sur le sujet. L’ouvrage s’ouvre, en effet, par une préface de Christian Bromberger, professeur émérite d’anthropologie à l’Université d’Aix Marseille et pionnier en France des recherches sur le football et ses publics. Il le doit ensuite à sa parfaite connaissance du terrain. C’est que Lionel Briot a arpenté pendant plusieurs années le stade de l’Olympique de Marseille aux côtés des groupes de supporters et particulièrement les « Marseille Trop Puissant », fondés en 1994 par « Depé », un leader charismatique qui a guidé et initié le photographe. Décédé en 2000 mais encore très présent aujourd’hui dans la mémoire collective à Marseille, il est particulièrement mis à l’honneur dans le livre.

De cette immersion prolongée (entre 1996 et 2002 précisément), Lionel Briot tire cinquante photographies en noir et blanc réparties en cinq sections. Chaque tribune du Stade vélodrome (au nombre de quatre donc) est ainsi représentée, même si ce sont les deux virages qui retiennent particulièrement son attention. La dernière série concerne l’une des facettes essentielles de l’activité des collectifs de supporters organisés : les déplacements pour suivre l’équipe dans ses rencontres jouées en France ou en Europe.


Que voit-on sur ces photographies ? Les coulisses du spectacle figurent au tableau : coursives, loges, escaliers, grillages, graffitis, esplanade du stade. À travers ces images se dévoilent quelques personnages de l’ombre : personnels de sécurité, policiers, serveurs. Le spectacle lui-même est peu présent : tout juste une photographie panoramique du Vélodrome avec ses projecteurs qui éclairent une pelouse occupée par les joueurs et le public réparti dans les gradins. Pour Lionel Briot, le sujet est ailleurs car le football est un spectacle de chair et de sang si l’on veut bien entendre par là qu’il y est surtout question d’hommes et de femmes. Celles-ci sont au centre de plusieurs photographies, suggérant peut-être que le football n’est pas qu’une affaire exclusivement masculine. Les plus jeunes sont aussi mis en lumière, observation très juste du rapport fondamental que le football entretient avec l’enfance. Pas de jugement et de vue en surplomb ici. Le lecteur est en fait le plus souvent plongé au plus près des corps, des visages et des regards. Le photographe saisit particulièrement deux choses. Les affects en premier lieu : la joie bien sûr, mais aussi l’angoisse, la colère et plus encore la concentration. L’expérience collective que constitue un match vécu en tribunes en second lieu : corps emmêlés, charivari, appels à la mobilisation et aux chants orchestrés par les leaders des virages.


Expérience charnelle et collective donc. Notons enfin qu’avec ses drapeaux, banderoles, confettis, le supportérisme est un univers visuel qui se prête particulièrement bien à la représentation photographique. Avec ce beau livre, c’est peut-être cette idée que Lionel Briot entend défendre : le stade de football est aussi un objet esthétique.

Lionel Briot, Vélodrome. Le douzième homme, co-édition Le Garage Photographie / Arnaud Bizalion Editeur, 2016, 120 p. (http://www.arnaudbizalion.fr). Pour en savoir plus : http://legaragephotographie.com/edition-et-creation/lionel-briot/

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