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Entretien avec B. Colombari : "Articuler l’histoire de mes personnages avec celle de la finale"

Hier, nous fêtions le 19e anniversaire de la victoire de la France en finale de Coupe de Monde de football. Un moment ancré dans les mémoires et dans l'histoire de chacun. Pour l'occasion, nous nous sommes plongés dans le roman de Bruno Colombari, 12 juillet, qui fait de l'événement sportif une manière de borner nos histoires.


Comment est né votre roman 12 juillet ?

Chronologiquement, c’est le premier texte de fiction que j’ai écrit, à l’été 2003. Je voulais écrire un roman dont le fil conducteur serait un événement historique qui déclencherait des souvenirs personnels chez mes lecteurs, sur le mode « et vous, que faisiez-vous ce jour-là ? ». Beaucoup de gens ont du mal à situer avec précision les dates de leur vie. Mais ils se souviennent parfaitement de l’endroit où ils étaient, avec qui ils étaient et dans quelles circonstances ils ont vécu un événement historique. Pour la génération de mes parents, c’était l’assassinat de Kennedy en 1963. Pour celle de nos enfants, ce sera sans doute les attentats du Bataclan ou de Charlie Hebdo en 2015. Mais je suis surpris à quel point des lecteurs se souviennent de ce qu’ils faisaient le 12 juillet 1998, même si le football ne les intéressait pas du tout.


La fin du roman laisse penser qu’après cette victoire, tout était possible, que chacun pouvait changer de vie. L’exploit sportif peut-il avoir un impact considérable sur la vie et la prise de décision d’une personne ?

Non, bien sûr, et heureusement ! Ce que dit le roman, c’est que si nos vies sont sur le point de changer et qu’advient un événement historique, les deux resteront liés à jamais dans la mémoire des protagonistes. Un couple qui se rencontre à l’occasion d’un concert gardera toute sa vie la nostalgie de cet instant et le liera automatiquement aux chansons de ce soir-là.

Le fait de vivre un moment fusionnel et euphorique comme il s’en produit peut-être deux ou trois par siècle (ceux qui ont connu la Libération de Paris en août 1944 ont souvent fait la comparaison avec le 12 juillet, même si bien sûr les contextes historiques n’ont rien à voir) crée des liens très forts entre les gens, même parfois entre des inconnus qui se trouvent précipités dans quelque chose qui les dépasse et dont ils sont aussi les acteurs.

Ce que j’ai voulu faire avec 12 juillet, c’est articuler l’histoire de mes trois personnages (dans lesquels on peut facilement s’identifier, ce ne sont pas des héros) avec celle de la finale de la Coupe du monde, et raconter ça un peu comme on regarderait une action au ralenti, sous plusieurs angles. M’approcher au plus près de ce que ressentent ces trentenaires qui ont à peu près l’âge des joueurs qu’ils regardent et qui sont à la croisée des chemins dans leur vie. Que la France ait gagné ou non la Coupe du monde n’est pas le plus important, même si la victoire va donner une patine différente aux souvenirs.


Que peut apporter en plus la fiction sur un événement comme la finale de la Coupe du monde 1998 ?

L’identification aux personnages. Quand je lis un compte rendu d’un match, j’attends qu’il m’éclaire sur tel ou tel point, des considérations tactiques, les choix pertinents ou pas de l’entraîneur, les moments décisifs qui ont fait basculer la rencontre. Pas qu’il m’interroge sur mon histoire personnelle ou qu’il provoque de l’empathie, de la tristesse ou du soulagement quand le dénouement arrive. Ça, c’est le rôle de la fiction. Avec 12 juillet, j’ai tenté de décrire un match selon trois points de vue différents, l’un passionné, connaisseur et angoissé, l’autre indifférent, distancié voire moqueur, et un troisième entre les deux. Faites l’expérience de suivre à la télé un match entre amis, il y a de fortes chances de retrouver ces trois cas de figure. Mais là, en plus, il y a leur histoire personnelle et les sentiments qu’ils éprouvent l’un pour l’autre.

12 juillet est aussi, et même avant tout, un roman sur le temps. Ce temps qui se dilate ou se contracte, qui semble s’étirer à l’infini ou filer à la vitesse de la lumière. Le temps court que dure un match (très proche d’ailleurs de celle d’un film, entre une heure et demie et deux heures) et le temps long d’une vie humaine, et ses prolongements dans l’histoire de nos parents et de nos grands-parents. C’est une matière passionnante à travailler pour un romancier, qui conduit son véhicule narratif, accélérer, freiner, tourner à droite ou à gauche. Le tout est d’arriver à embarquer le lecteur !


Quels sont les livres (romans ou autres) qui vous ont inspiré ?

Plus que des romans, ce sont plutôt des auteurs qui m’ont donné envie d’écrire et de passer de l’autre côté du miroir. Je citerai Paul Auster, dont j’admire le style dépouillé jusqu’à l’os et redoutablement efficace, sans jamais nuire à l’émotion. Et aussi Nancy Huston, qui a utilisé plusieurs fois le principe des narrateurs alternés, notamment dans son roman Dolce Agonia. Russell Banks l’a fait aussi avec De beaux lendemains, dont je parle dans le roman. Sinon, j’ai beaucoup lu quand j’étais ado les Années du football de Jacques Thibert, dont le style décalé et poétique manque tellement à la presse sportive. Et plus récemment (mais après l’écriture de 12 juillet), les livres de Thibaud Leplat, qui écrit remarquablement bien et que je recommande (Football à la française, ndlr).


Où étiez-vous lors de cette finale ? Est-ce que vous allez aujourd'hui fêter cet anniversaire ?

J’étais à Gardanne, et je suivais la finale pour le magazine de la ville. La retransmission sur écran géant avait lieu dans une halle où il y avait deux ou trois cents personnes, mais il y en avait beaucoup plus aux terrasses des cafés, sur le cours. Je me souviens avoir passé toute la deuxième mi-temps à faire les cents pas, je ne pouvais pas rester assis tellement j’étais tendu. Je me disais que ce n’était pas possible, qu’il allait arriver quelque chose, qu’on ne tiendrait pas jusqu’au bout en défendant tout le temps. Et non seulement on a tenu, même à dix, mais en plus il s’est bien passé quelque chose, c'était le but d’Emmanuel Petit. Là, c’était de la folie, tout le monde courait partout dans les rues au milieu des voitures qui klaxonnaient comme pour un mariage.

Je n’ai pas fêté cet anniversaire ce 12 juillet, mais je suis allé à Lille chez un ami avec qui on vient de finir d’écrire le Dico des Bleus, qui paraîtra le 18 octobre chez Marabout. Et ce jour-là, il a reçu par courrier les épreuves du Dico que l’on doit relire. Donc d’une certaine manière ce 12 juillet ne nous quitte pas. L’an prochain, le vingtième anniversaire tombera juste après la demi-finale et trois jours avant la finale de la Coupe du monde en Russie. Ça pourrait être magnifique.


Bruno Colombari, 12 juillet, éditions Salto, 2016.

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