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Entretien avec Chloé Pathé : "Il y a en Italie ou au Royaume-Uni, une vraie tradition"

Pouvez-vous nous présenter les éditions Anamosa ?

Le projet d’Anamosa est d’explorer les champs de la société et de l’histoire, en valorisant la recherche ou la création de modes de narration à la fois savants et populaires. L’idée maîtresse est de promouvoir les sciences humaines, qui, loin du jargon, sont un outil nécessaire pour comprendre le monde et, peut-être, le changer. Anamosa se veut également un espace d’expériences pour le récit, la fabrication, l’illustration. Partant de cette double exigence de savoir/questionnement et d’accessibilité de celui-ci par une attention portée à l’écriture et aux formes narratives, y compris avec des auteurs universitaires, il a semblé important, dans une volonté aussi de désacraliser/faciliter l’abord de ces livres, de soigner la forme autant que le fond. Les premiers titres sont parus en mars 2016.

© MaryAnn Harrington

Pouvez-vous nous présenter votre parcours et nous expliquer ce qui vous a orienté vers l’édition de livres de sport ?

Après 13 ans chez Autrement comme éditrice et responsable éditoriale en sciences humaines, j’ai décidé, avec d’autres associé.e.s, de créer Anamosa, pour en quelque sorte aller au bout de mon métier, qui est ma forme d’expression politique (au sens d’expression dans la cité), dans l’indépendance. La présence d’ouvrages qui ont le sport comme sujet ou comme matière dans le catalogue est liée à plusieurs facteurs. D’abord, il y a cette conviction partagée avec le cercle Anamosa, et particulièrement sur ce sujet avec Olivier Villepreux, qui est conseiller éditorial pour la maison d’édition, que le sport traité comme un sujet de société a beaucoup à nous dire sur le monde tel qu’il va. Ensuite, il y a chez Anamosa cette volonté aussi d’explorer les cultures dites populaires, dont les activités sportives amateurs, individuelles ou professionnelles font partie, ou encore les loisirs ou la question du/des corps dans l’histoire et en société ; je pense ici en particulier aux livres des historiens Antoine de Baecque, Les Godillots. Manifeste pour une histoire marchée (2017, Prix Lucien Febvre) et Christophe Granger, qui fait aussi partie de l’équipe Anamosa, La Saison des apparences. Naissance des corps d’été. Enfin, de par les récits et les personnages que le sport peut faire émerger, il me semble qu’il permet à des écritures singulières de s’exprimer. Ainsi, beaucoup de plumes du journalisme ont commencé par le sport, qui implique un travail de terrain et des savoirs multiples. Pour finir, cette conviction que le sport mérite tout autant que d’autres sujets d’être valorisé dans les livres n’est pas nouvelle chez moi. Chez Autrement, j’avais édité Le Football dans nos sociétés, dirigé par Yvan Gastaut et Stéphane Mourlane (2006), le livre d’entretiens rassemblés par Denis Soula et Olivier Villepreux, Le rugby français existe-il ? (2007) et l’excellent essai d’histoire immédiate d’Yvan Gastaut Le Métissage par le foot (2008


Tout cela part non pas d’une quelconque spécialité, mais d’une curiosité réelle – je crois que c’est ce qui doit animer une éditrice ou un éditeur. Cette curiosité un peu tous azimuts va chez nous aussi, je crois, avec une volonté de casser, de faire bouger (ou du moins d’y contribuer, aux côtés de projets comme la revue Desports ou certains titres justement des Éditions du sous-sol) les codes, les genres ; ce qui fait aussi que parfois, justement, les ouvrages peuvent apparaître comme difficiles à classer, ayant davantage leur place dans les rayons société ou littérature que sport… Il y a en Italie ou au Royaume-Uni, une vraie tradition de « littérature de sport », il s’agit de la faire exister, à part entière, et non comme un sous-genre, en France. Je crois d’ailleurs que les choses évoluent, lentement, à cet égard depuis plusieurs années ; un bel exemple est le succès du livre d’Olivier Haralambon, Le Coureur et son ombre (Premier Parallèle, 2017), qui a été lu bien au-delà du cercle des amatrices ou amateurs de cyclisme. À l’inverse peut-être ces sujets « sportifs » peuvent-ils faire venir à la littérature et à la lecture des lectrices et lecteurs occasionel.le.s. C’est sans doute ce qu’il faut souhaiter.

Pouvez-vous situer les éditions Anamosa dans le monde de l’édition du livre de sport ?


La question n’est pas aisée, car les titres « sport » du catalogue Anamosa s’y intègrent, comme d’autres, par le sujet et l’écriture qu’ils mettent en jeu et justement par le fait qu’ils ne s’adressent pas à des spécialistes ou aux seul.e.s amateurs ou amatrices de football, de tennis ou autre ; en outre ce n’est pas la dimension performance ou résultats sportifs qui nous intéressent. Je dirais même que nous n’éditons pas de « livres de sport », mais des livres où le sport est un support supplémentaire à l’exploration sociale et/ou littéraire. Le mieux est peut-être de présenter rapidement justement ces titres. Débordements. Sombres histoires de football, 1938-2016 (mai 2016), piloté par Olivier Villepreux et qu’il a coécrit avec Frédéric Bernard et Samy Mouhoubi, prend le football comme miroir grossissant de l’histoire du xxe siècle et de questions politiques et sociales, en incarnant cela par des parcours et des chapitres qui peuvent se lire comme des nouvelles. Du sexisme dans le sport de la sociologue Béatrice Barbusse (octobre 2016, Prix féminin Sport et littérature 2017), participe pleinement de notre volonté d’explorer les problématiques de société ; l’analyse que l’auteure livre peut parfaitement être transposée à d’autres domaines. Avec le dernier livre d’Olivier Villepreux, Sur l’herbe verte de l’hippodrome (octobre 2018), il s’agissait à la fois de promouvoir un véritable talent d’écriture, par un récit personnel, de proposer une plongée dans un monde méconnu pour beaucoup, qui peut comporter une part d’exotisme, et qui, en même temps, nous dit beaucoup de la France, de ses paradoxes et contradictions.

Vous éditez des ouvrages sur le sport mais aussi sur d’autres thèmes. L’édition du livre de sport est-elle particulière ?


Tel que cela est pensé dans la maison d’édition, je ne crois pas, puisque nous les prenons comme dans des sujets ou des « mondes » comme les autres. Comme pour tout autre domaine, il faut veiller à la fois à ce que les textes soient irréprochables pour les lectrices et lecteurs qui seraient spécialistes mais aussi accessibles, donc non jargonnants, pour celles et ceux qui les lisent par curiosité et, c’est tout l’enjeu, en rentrant dans une écriture. Rien ne me fait plus plaisir que des critiques, articles ou retours de lecture de libraires ou de lectrices et lecteurs qui ont lu tel ou tel titre sans rien connaître aux courses hippiques par exemple ou au sport tout court.


Vous venez de publier l’excellent et très surprenant livre "Le Revers de Richard Gasquet". Quels sont vos nouveaux titres pour 2019 ?


Le Revers de Richard Gasquet de Jean Palliano, paru le 17 janvier 2019, participe de la même curiosité. Ce texte est une belle histoire pour la maison : celle d’un manuscrit déposé par l’auteur, qui avait entendu parler de la maison d’édition à la radio. Le titre m’a intriguée, les premières phrases m’ont happée et j’ai lu le manuscrit d’une traite, curieuse de savoir où l’auteur nous emmenait. Et le coup de cœur a été partagé par l’équipe. Ce texte est un ovni, entre le récit et l’essai littéraire. L’auteur parvient progressivement à faire de Richard Gasquet un personnage complexe et fascinant, alors qu’il n’a jamais été véritablement envisagé de la sorte au contraire d’autres tennismen plus conventionnels mais davantage médiatisés. Son parcours est l’occasion de s’interroger sur la question de la précocité, du talent et bien sûr de l’esthétique et de l’évolution des sports et des sportifs et sportives. Et sur celle, pour un sportif mais également pour nous tous, de la possibilité de demeurer soi-même, de s’exprimer en dehors des vecteurs abusifs que sont les notions d’échec ou de réussite dans notre société qui compte les points bien trop souvent sans prendre le temps de la réflexion par croisements de faits sociaux historiques, et bien sûr, culturels. Toujours en ce sens, le 7 mars prochain, grâce à Marie-Pierre Lajot (une autre personne importante pour la maison), nous irons encore plus loin dans l’exploration de la porosité des genres, de celle du réel et de la construction d’un objet littéraire, qui a à voir avec le sport, avec Le Mirage El Ouafi du romancier Fabrice Colin, qui comme le titre l’indique s’intéresse à la figure du marathonien Boughera El Ouafi.




Avez-vous un sujet sportif que vous aimeriez éditer : un sport, un événement, une figure ?


Nous avons un projet autour de la voile, dont il est encore trop tôt pour parler.


Retrouvez plus d'informations sur le site d'Anamosa : https://anamosa.fr/

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