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Entretien avec Mourad Aerts, auteur du livre "OM-Bielsa : enquête sur une relation passionnelle

Le football vous manque ? Depuis une semaine, vous regardez en boucle le "foot en folie" ou les plus "beaux" tacles d'Eric Di Méco sur Youtube" ? Aujourd'hui, on vous sort de cette torpeur en vous proposant une rencontre avec Mourad Aerts, journaliste pour le site spécialisé Football Club de Marseille et auteur du livre "OM-Bielsa : enquête sur une relation passionnelle".

Vous écrivez ce livre 5 ans après la démission de Bielsa à l’OM. Aujourd’hui, pensez-vous qu’il y a toujours autant de folie autour de lui ?


Clairement pas autant de folie que lors de sa présence à Marseille mais toujours énormément d’incompréhension face au phénomène. Dans n’importe quelle discussion que tu peux avoir avec un supporter marseillais, dans la vie réelle ou sur les réseaux sociaux, le nom de Marcelo Bielsa va provoquer une enflammade immédiate. Et c’est spontané et ça se répète à l’infini.


“J’ai jamais autant kiffé aller au stade que cette année-là !”, “Mais on a gagné quoi avec ton Bielsa ?”, “Oui mais les émotions qu’on a vécu…”, “Ça va, il nous a abandonné !”.... Bref, si vous êtes de Marseille ou que vous avez des amis supporters de l’OM, vous avez sans doute déjà vécu la scène.


Et c’est ce qui est incroyable avec Bielsa, il continue d’avoir l’adhésion de milliers de supporters alors que son passage à Marseille ne satisfait pas les critères imposés par le football moderne. Marcelo Bielsa apporte autre chose au foot que la soupe habituelle qu’on nous force, nous, pauvres addicts du jeu, à ingurgiter à longueur de temps. Il démontre avec force que le football, on l’aime aussi pour quelque chose de bien plus profond qu’un simple résultat sur une feuille de papier…



Pouvez-vous nous rappeler dans quelles conditions Bielsa arrive à l’OM le 24 juin 2014 ?


Il arrive au milieu d’une belle sinistrose. Le projet Dortmund est un four monumental, l’OM a fait zéro point en Ligue des Champions la saison précédente, il y a une défiance vis-à-vis du président, des groupes de supporters, des joueurs que l’on juge peu attachants… Sans oublier le Qatar arrivé deux ans plus tôt à Paris, la désillusion est totale à Marseille.


Et là, arrive un personnage entouré d’une aura quasi-mystique adulé de tous les défenseurs du beau jeu. C’est limite inespéré, surtout qu’il s’agit du type de personnage que l’on s’imagine mal un club français aller chercher.


L’arrivée de Bielsa, ça rend l’OM à nouveau spécial, à nouveau bouillant, à nouveau l’OM en fait.



Vous comparez Bielsa à Bob Dylan. Pourquoi ?


En fait je lisais à l’époque le recueil de Greil Marcus sur Bob Dylan. Et la sensation de sidération qu’il a vécu lors de sa découverte de Dylan m’est apparu assez similaire à celle que j’ai ressenti en commençant à suivre Bielsa.


Rien ne sera plus jamais pareil une fois qu’on a adhéré au principe du Bielsisme dans la football ou dans celui du “Dylanisme” dans la musique. Voilà.

Après, j’aime beaucoup le jeu des comparaisons mais… Quoique on pourrait pousser la comparaison plus loin. On a à faire ici à deux personnages emportant une adhésion les dépassant presque, ayant tous les deux influencé dans la durée leurs champs de création mais n’étant que trop rarement mis en valeur par les ventes d’albums ou les titres remportés.


Vous saviez que Bob Dylan a apparemment vendu moins de disques en plus de 60 ans de carrière qu’Ed Sheeran ou Katy Perry ? Pourtant ce bon vieux Zimmerman a offert à ses fans une autre manière de voir la vie, les a poussé vers la poésie, vers l’histoire de la musique américaine folk, vers la grandeur tout en continuant à utiliser ce médium on ne peut plus populaire qu’est la chanson. Bref, il leur a offert plus que des tubes. Et il a changé beaucoup de choses pour les mecs les plus influents du monde comme Lennon/McCartney, Bowie, U2, Jack White, etc.


Transposez ça au foot, vous ne serez pas loin d’obtenir Marcelo Bielsa.


La venue de Bielsa a vraiment changé votre vision du football moderne ?


Je ne cesse d’utiliser cette formule qu’a utilisée Sara, supportrice de l’OM, dans le livre : “Pour moi, c’était normal de gagner et de ne pas être complètement satisfaite. En fait, Bielsa m’a donné ce que je ne savais même pas que j’avais besoin dans le foot.


Ce que je ne savais même pas que j’avais besoin dans le foot.” C’est ça, en fait. Une fois que t’as connu ça, tu comprends que t’en as besoin pour vivre la plénitude de l’amoureux du foot mais on te guide tellement constamment dans l’autre sens que tu apprends à te satisfaire de demi-joies, de seconde place ou de transferts prometteurs…


Donc oui, clairement Bielsa a changé ma vision du football moderne en m’offrant un espoir d’épanouissement. Trop de choses que j’aime ont tendance à être broyées par le football ultra-financiarisé. Je me pose beaucoup de questions sur mon addiction. Quel est l’intérêt de regarder la Ligue des Champions si le Dynamo Kiev, le Steaua Bucarest ou Nottingham Forest n’ont aucune chance de remporter la compétition ? Quel est l’intérêt d’entrer dans une compétition comme la Ligue 1 en sachant que tu n’as (pratiquement) aucune chance de la remporter ?


La victoire, ma génération (je suis né en 85) n’a été élevé que dans ce culte de la victoire mais la victoire est désormais la propriété exclusive d’un petit cercle qui veut toujours plus la sécuriser. Marcelo Bielsa m’a montré de manière éclatante qu’il existait d’autres manières de triompher dans le foot.



Quel est le tournant de la Bielsamania ?


Je pense que c’est peut-être sa conférence de presse au Bazooka concernant le mercato estival de l’OM début septembre après ses deux premières victoires en Ligue 1. On était pleinement parti dans une aventure sans concession à partir de cet instant.


A contrario, la défaite 3-5 contre Lorient semble être devenu le match de référence pour les antiBielsa.


Un étendard en effet pour supposément prouver à quel point Bielsa attaque sans réfléchir voire “se moque du football” selon Pascal Dupraz. Bon.

Il a perdu un match par deux buts d’écart. Il aurait mieux fallu contrôler le match à 0-2 pour ne pas encaisser plus de buts ? Qu’est-ce que c’est que cette logique ?


Oui l’OM aurait dû battre Lorient, mal classé à l’époque. Comme il aurait dû battre Amiens cette année à la Licorne et au Vélodrome mais dans le football, tout ne se passe pas toujours comme prévu. Lorient a 33% de possession de balle, six tirs cadrés ce soir-là et marque cinq buts, voilà. Ça arrive.


André Ayew, arrière gauche ? J’ai revu ce match en me concentrant sur lui, il n’est pas désastreux. Les performances coupables ce soir-là ? Nicolas Nkoulou, qui revient de blessure et qui souffre le martyr face à un Jordan Ayew en feu et un Florian Thauvin, en plein doute à l’autre extrémité du terrain sans oublier un ultra-discret Romain Alessandrini dont l’agent ne cessait de réclamer publiquement la titularisation.


Ça dit quelque chose de la vision du foot des anti-Bielsa également. C’est à dire qu’on se focalise sur le fait que Lorient ait marqué cinq buts en oubliant que l’OM en a marqué trois, a tout essayé pour revenir, a touché du doigt ce retour (retour à 3-3 à la 76’) avant de devoir s’incliner face à la prestation majuscule de Jordan Ayew opposée au désastre de nos défenseurs.



On a l’impression qu’avec lui, plus aucun match n’est anodin ou sans intérêt. Partagez-vous cette idée ?


Totalement et encore une fois, ça répond à cette idée de respecter le supporter en lui donnant ce qu’il ne savait même pas qu’il avait besoin dans le foot.


Aucun supporter ne se met devant Caen - OM en se disant “bon j’espère un match ennuyeux.” Il peut se dire “même une victoire avec un but de la fesse droite de Modeste Mbami à la 92’, je prends.” Tout le monde veut gagner. Mais au fond de lui, il préférerait voir du jeu, vivre une émotion forte.


C’est pour ça qu’il paie une place, un abonnement au stade ou à la TV. Mais il l’oublie petit à petit… Avec Bielsa, n’importe quel match t’offre un scénario haletant, des cris, des joies, des déceptions, bref, de la vie.



Comparez-vous son départ à celui de Drogba ?


Les contextes sont différents mais je pense qu’en effet, ce sont deux départs similaires dans l’impact émotionnel pour les supporters de l’Olympique de Marseille. Dans les deux cas, un véritable amour, une véritable connexion s’était créée...



En relisant l’article "pourquoi ça marche ?" de notre collègue Ludovic Lestrelin, on voit que l’argentin incarnait parfaitement l’image que les supporters se font d’eux-mêmes :

« à Marseille, il y a une forte tradition de la représentation de soi par l'autre. Les vedettes étrangères occupent par exemple une place particulière dans la mémoire collective. L'étranger, surtout quand il déclare aimer la région, a pour mission de faire honneur à une ville qui souffre d'une mauvaise réputation » *:

La prochaine grande histoire d’amour sera-t-elle avec André Villas-Boas ?


Belle citation sans doute pertinente.

C’est vrai que de Vasconcellos à Bielsa en passant par Waddle, Skoblar et tant d’autres, ces étrangers Olympiens semblent avoir une place particulière dans l’histoire du club. Il ne faut pas non plus négliger le talent de tous ces mecs-là et leurs différences.


C’est peut-être comme ça qu’ils font briller Marseille en fait, en étant glorieusement différent. Cette ville qui souffre d’une mauvaise réputation est aussi tellement différente du reste de la France. Ces glorieux étrangers qui parviennent à faire briller cette singularité de la ville, du club sont récompensés en conséquence par l’affection du public.


Dans cette optique, André Villas-Boas s’est distingué du reste du football français par sa liberté de ton, d’agir et d’indépendance par rapport à son contrat. Un homme libre qui dit ce qu’il pense, ça plait à Marseille. Donc oui, une nouvelle histoire d’amour a débuté avec Villas-Boas, peut-être moins passionnée qu’avec Bielsa mais tout de même très intéressante.

Sur Bielsa, on vous conseille aussi :

Thomas Goubin. Marcelo Bielsa - El loco unchained. Hugo sport, 2015.

Romain Laplanche. Le mystère Bielsa. Solar, 2017.

Mourad Aerts.OM-Bielsa : enquête sur une relation passionnelle. Amphora, 2020.

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