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A la saison du vélo, lire et partir

Vous les avez vous aussi ces petites piles de livres qui s’échappent de leur prison-bibliothèque, sans jamais y retourner ? Pas les piles encore à lire non, celles-ci grimpent jusqu’au ciel et c’est tant mieux. Mais plutôt celles formées par des déjà-savourés, des surlignés même, dans lesquels on adore replonger dès que possible. Ils se regroupent par affinité, selon les saisons, et révèlent peut-être nos obsessions du moment. Depuis le début du printemps, un quatuor s’est ici naturellement dégagé. Quatre pépites, une belle équipe, des écrivains-cyclistes qu’il faut remercier d’avoir un jour pris la peine de fabriquer ces pages.

Leurs points communs ? Des textes courts, délicieux fragments à piocher selon les humeurs, à doser en fonction du temps qu’il vous reste avant d’avoir quelque chose de plus important à faire, ce qui est souvent difficile à trouver. Pour chacun, une tentative réussie de dire cet amour vrai du vélo, de décrire la tendresse ou l’âpreté des sensations une fois sur l’objet sacré, de raconter comment cette nécessité-là a infusé en eux au fil des routes. Pour tous enfin, un goût immodéré pour la littérature, les autres écrivants, dont ils glissent ici et là quelques traces marquantes.

Le premier de la pile, sans hiérarchie aucune, c’est le « Besoin de vélo » (Seuil, 2001) de Paul Fournel, dont il faut mesurer l’importance des divers écrits sur le sport. Lui qui a vu très tôt la vie s’élargir grâce à la bicyclette : « Dès que j’ai su pédaler j’ai eu l’idée d’un monde plus grand ». Lui qui a décidé désormais de « vieillir en peloton ». D’un bout à l’autre, des milliers de kilomètres parcourus dans sa Haute-Loire natale et ailleurs. Mais attention, c’est le genre d’auteur qui peut vous obliger à gravir un jour le Mont Ventoux, « le plus grand révélateur de vous-même ».

En deuxième, sans hiérarchie aucune là encore, sinon il serait arrivé en premier, Bernard Chambaz et sa « Petite philosophie du vélo » (Milan, 2008). Celui qui « pose son vélo contre sa bibliothèque » a déjà accompli bon nombre d’exploits sur ses deux roues : des courses d’un jour ou d’une nuit, des longues traversées, et même des grands tours de trois semaines. Bref, il sait de quoi il parle, mais surtout il sait comment en parler, avec ce style tout en douceur et cette aptitude à nous apprendre des tas de choses.



En troisième, « Forcenés » (Fayard, 2008) de Philippe Bordas. Un livre fascinant qui ne laisse pas indemne. Pour lui, « le cyclisme est un genre » plus qu’un sport. Un genre disparu dont il ressuscite les légendes. Il décrit des souvenirs de vélo comme personne, conte des instants de grâce ou des tragédies comme on écrirait un immense poème lyrique, déplore aussi la déshumanisation du cyclisme contemporain dans un style inclassable, implacable, envoûtant. Une vraie gifle littéraire.

Et puis le dernier en date, qui a logiquement trouvé sa place dans la pile : « Pédalées » (Lunatique, 2021), signé Olivier Hervé. Le titre - ce mot, cet accord - est déjà une invitation sans surprise, comme si grâce à lui on était certain de trouver à l’intérieur quelques éblouissements. Et l’on n’est pas déçu. Une œuvre protéiforme, une appétence pour l’histoire, quelques fictions captivantes, des souvenirs personnels auxquels on s’attache, et puis de la poésie bien sûr.

Quoi de plus naturel, puisqu’être sur le vélo, si haut perché, presque volant, le corps déformé, le regard alerte, constitue sûrement une des voies d’accès à une vision poétique du monde ; ce monde qui défile, grandit et se sublime autour du rouleur, à la vitesse choisie par ses jambes et son esprit. On ne peut pas encore lire sur le vélo et c’est bien dommage. Mais avant vos prochaines fugues sur les routes cet été, cette petite pile de quatre grands livres sera peut-être la meilleure des préparations.


Valentin Deudon

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