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Entretien avec Clément Pernia:"Contador a une forme de grâce, de romantisme qui colle bien au récit"

Cette année, Alberto Contador fête ses 40 ans ! Une belle occasion pour regarder dans le rétro de l'un des plus grands champions du cyclisme. Grimpeur magnifique et gracieux, "el pistolero" était un attaquant hors-norme qui a su conjuguer l’attaque et l'élégance. Avec près de 40 témoignages, cette biographie nous plonge dans l'intimité, de son enfance, ses succès mais sans jamais éluder ses zones d'ombre (dopage, chutes, conflits). Alors que la Vuelta vient de s'élancer, nous avons souhaiter rencontrer Clément Pernia, co- auteur de « Alberto Contador, el Pistolero » (Talent Sport, 2023) , la biographie française du double vainqueur du Tour de France et septuple vainqueur de grand Tour.


Pourquoi avez-vous choisi de faire ce livre sur Contador ?

Alberto Contador est notre idole de jeunesse à tous les deux, avant que nous nous rencontrions, il y a six ans, en école de journalisme. Au bout de 5 minutes, et d'une discussion sport, le sujet est venu sur la table. Alberto venait de remporter l'Angliru sur la Vuelta 2017, ultime victoire de sa carrière. On s'est tout de suite dit qu'un jour, on écrirait sa biographie. Nous avons attendu ses 40 ans.

Il a une forme de grâce, de romantisme qui colle bien au récit, à l'écriture. Presque de l'ordre de l'épopée. Cela a finalement été facile de raconter cette belle histoire.


Son début de carrière aurait pu être tragique puisqu’il est victime d’un anévrisme en course. Pouvez- vous revenir sur cet événement ?

Ce miracle des Asturies, comme on aime l'appeler, participe à la grandeur du champion. Un peu comme ces personnages romanesques qu'étaient par le passé Ocana et sa chute dans la descente de Mente, ou Merckx qui aurait pu lui aussi voir son destin brisé.

Alberto est tout juste pro quand l'événement a lieu au Tour des Asturies en 2004. Il tombe et est pris de convulsions. L'image est impressionnante. Encore aujourd'hui elle saisit. La situation est grave, ils doivent l'opérer d'un oedème au cerveau. S'en suit trois semaines de coma avec une possibilité élevée de séquelles graves. Sachant que son petit frère est déjà handicapé mental. L'histoire a tout pour être une tragédie. Évidemment, il n'est pas du tout question à ce moment-là qu'il repratique un jour le sport de haut niveau, les médecins n'y croient pas. La suite, on la connaît. Un miraculé.


Contador est à la fois le vainqueur de grandes courses (7 grands tours) mais il est cité en 2006 dans l « affaire Puerto », et est reconnu coupable de dopage au clenbuterol le 6 février 2012. Il se voit retirer ses victoires au Tour 2010 et le Giro 2011. Êtes-vous d’accord si je vous dis que Contador est « un coureur entre ombre et lumière » ?

C'est juste. Il appartient à une époque et à une dimension de coureur où c'était presque inévitable qu'il y ait des "affaires". Il arrive au sommet après l'ère Armstrong et tout ce qu'il s'est passé. Au vu de son talent, il rejoint forcément les plus grandes équipes quasiment toutes managées par des types sulfureux. C'est extrêmement délicat. Pepe Marti en préparateur physique, Bruyneel en directeur sportif, Manolo Saiz en mentor, surnommé "le cancer du cyclisme". Rien que ça. C'est gris, pas noir ou blanc. Dans l'affaire Puerto, il n'y a officiellement que des suspicions. Le Clenbutérol, il est condamné par le TAS qui ne retient pourtant pas la thèse de la transfusion sanguine de l'UCI et l'AMA. La question est : a-t-il vraiment triché ou a-t-il été victime de son époque ?

Pour le reste, tout est splendide. Les victoires, le panache, les attaques, le déhanché, les défaites en tentant jusqu'au bout, la résilience quand il n'est plus le plus fort. Jusqu'à l'Angliru....

Clément Pernia et Julien Moreau, co-auteurs du livre "Alberto Contado, El Pistolero"



Dès 2007, il remporte sa première course sur le Tour, puis avec l’exclusion de Rasmussen, il remporte son premier Tour de France mais des suspicions persistent de la part des observateurs et à l’intérieur du peloton. Pourquoi ?

La victoire de Contador sur le Tour de France 2007 est frappée par le sceau de la suspicion pour plusieurs raisons. En 2006, son nom est évoqué dans l’affaire Puerto, mais il est rapidement blanchi. Mais même s’il est rapidement blanchi, un premier doute s’installe dans la tête des gens.

Sur le vélo, lors du Tour de France 2007, il est le seul coureur de cette Grande Boucle à pouvoir suivre Michael Rasmussen dans la montagne, alors que le Danois était au top de sa forme, une forme qui était d’ailleurs très suspecte. Lors de l’étape du Plateau de Beille, Contador parvient même à dompter le Danois, malgré les attaques incessantes de ce dernier. Mais il est très important de rappeler qu’Alberto Contador n’a jamais été contrôlé positif lors de ce Tour de France. Ce ne sont que des suspicions.


Tout le monde s’accorde à dire qu’il était « un beau coureur » avec son style « en danseuse », proche d’un Pantani et à l’opposé de Miguel Indurain. Pouvez-vous revenir sur cette opposition ?

En Espagne, Contador est le premier et seul "immense" champion du cyclisme à triompher après Indurain. La comparaison est forcément inéluctable. Comme en foot entre Mbappe, Zidane et Platini par exemple. Indurain était incontestablement plus fort, plus hégémonique. Il écrasait les Tour, les dominait net et sans bavure. Il avait quelque chose de robotique, il assassinait très vite ses adversaires, tuant ainsi tout suspens. C'était un monstre, le héros espagnol des années 1990. Mais de ce fait, il anéantissait ainsi tout romantisme, tout scénario rocambolesque, tout renversement de situation. D'ailleurs, on l'appelait le "Roi Miguel" et "l'extraterrestre". C'est dire.

Pantani est arrivé un peu après, en dominant le Tour et le Giro en 1998. Lui avait tout de la tragédie. L'Italie avait une telle espérance envers lui, il avait le tempérament d'un attaquant, d'un guerrier. On le surnommait le Pirate. Quand Contador a débarqué au milieu des années 2000, avec ses velléités d'attaques permanentes, son style en danseuse, l'analogie avec l'Italien a rapidement été faite par les observateurs. Finalement, Contador était aimé comme un Italien de l'autre côté des Alpes.


Contador a gagné 3 Tours d'Espagne (2008, 2012 et 2014), deux Tours de France 2007 et 2009 et deux Tours d'Italie 2008 et 2015. Avez-vous une préférence parmi ces victoires ?

Très difficile. Le Tour 2007 est le premier, il a forcément une symbolique. C'est le déclencheur.

Petit faible pour le Tour 2009 et les conditions rocambolesques et lunaires de ce triomphe (cf réponse suivante). Par ailleurs, le Giro 2008 aussi est dingue. Contador et son équipe Astana étant convoqués seulement une semaine avant le début de la course, Alberto étant à la plage avec sa compagne. Le mec va te remporter le Giro un mois après, sans prépa adaptée.

Sinon, je dirais Vuelta 2012 après le retour de suspension. La résurrection, avec la plus grande étape de sa carrière, Fuente De.


Dans le livre, vous évoquez les rapports houleux avec Armstrong lors du Tour 2009, pouvez-vous les rappeler ?

Après le triomphe de Contador en 2008, Bruyneel, le manager d'Astana, décide de ramener Armstrong, son poulain, dans son écurie. Mais Contador est le plus fort et Armstrong ne veut pas autre chose qu'être le patron, le boss. Les deux hommes ont soigneusement pris soin de ne pas se croiser avant le Tour. Puis vient la grande boucle et le carnaval annoncé a bien eu lieu. L'Américain a tout fait pour isoler l'Espagnol. Sur la route, il fait tout pour le piéger et y parvient en début de compétition. Mais Contador ne se laisse pas faire, contre-attaque, et l'autre n'apprécie pas. La guerre est ouverte. Il isole Contador dans l'équipe. C'est du grand n'importe quoi. On a énormément de témoignages dans le livre qui nous racontent l'envers du décor. Finalement, Alberto remporte le Tour haut la main, mais sans avoir été véritablement heureux. C'est dingue quand on y pense.


De votre point de vue, qui pourrait être son successeur ?

Je pense qu’il est difficile de comparer Contador avec les coureurs de la nouvelle génération. Tadej Pogacar et Jonas Vingegaard sont des coureurs qui sont plus complets qu’Alberto. Contador dominait ses adversaires, eux écrasent la concurrence. Mais si je dois choisir un coureur qui ressemble à Alberto, ce serait Juan Ayuso. L’Espagnol est un excellent grimpeur et il est en train de devenir un excellent rouleur. Cette année, il a remporté le chrono du Tour de Romandie et celui du Tour de Suisse devant des pointures de la discipline. Les chronos se disputaient sur un profil escarpé, mais il a devancé des coureurs comme Matteo Jorgenson, Adam Yates, Rems Evenepoel.


Lorsque l’on évoque Contador, on se doit d’évoquer la vuelta. Elle débute le samedi 26 août. Dans son livre Giro, Pierre Carrey disait : « Le Giro est le cousin turbulent du Tour de France ». Que peut-on dire de la Vuelta ?

La Vuelta du temps de Contador, c’était la bataille au sommet des cinq grands grimpeurs de l’époque si on enlève Andy Schleck : Valverde, Quintana, Contador, Froome et Rodriguez. La Vuelta est souvent considérée comme étant un Grand Tour de moindre importance, mais le contingent de coureurs capables de gagner le classement général est souvent très élevé. Et cela n’est pas forcément le cas sur le Giro où on a souvent un grandissime favori voir deux. Regardez cette année, le Grand Tour avec le plus d’adversités au départ, c’est la Vuelta avec Vingegaard, Roglic, Evenepoel et Ayuso.



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