Entretien avec Valentin Deudon, auteur de "l'intendresse"
- Julien Legalle
- 21 mars 2022
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 8 avr. 2022
Depuis 2017, Valentin Deudon fait partie de notre collectif d'Ecrire le Sport. Après ses "Miettes footballistiques" (2020, Ed. du Volcan) et le Angers SCO 100 ans en Noir & Blanc 1919-2019 (2019, Hugo Sport), le voici de retour avec un recueil de textes poétiques issus de son voyage à vélo de plus de trois mois : L'intendresse. (Ed. du Volcan)

Ce nouveau livre est lié à un événement douloureux. Tu l’expliques dès les premiers pages dans « le bruit des clés », qui pour moi est le texte le plus touchant. À quel moment as-tu décidé d’écrire ce livre ? Je ne sais pas si on peut dire que je l’explique vraiment. Disons que je décris un moment en particulier qui occasionne le départ, ce voyage. Je ne suis pas parti à vélo avec l’objectif d’en faire un livre. Je suis parti car tout en moi me le réclamait. Mais sur les derniers jours, j’ai senti comme un élan d’écriture, un trop-plein à déposer et qui a d’ailleurs décidé de la fin du voyage. Ca a pris la forme de quelques textes courts, des fragments, des petits poèmes. Pour certains de ces poèmes, ils ont quand même été écrits avant et pendant le voyage, car je tentais cet exercice depuis quelques mois, encouragé par celle à qui ce livre est dédié, destiné même.
Il y a plusieurs mois, tu m’as dit que tu redoutais sa sortie. Est-ce un soulagement qu’il soit publié ? Je me dis que toute personne publiant un livre doit redouter ce moment vertigineux où l’objet arrive entre les mains de quelques lecteurs. Ils vont découvrir ton travail, ce que tu as décidé d’écrire, tes joies, tes tempêtes, un petit peu du fond de toi. Donc oui, je redoutais. Et non, ce n’est pas spécialement un soulagement qu’il soit publié, même si je ressens une belle sensation à l’idée de partager ces textes, ce moment beau et fragile, avec celles et ceux qui auront la curiosité de les lire.
J’imagine que ta rencontre avec notre ami Bernard Chambaz n’est pas étrangère à l’existence de ce livre. Sans le vouloir, il m’a aidé oui. Bernard Chambaz est très présent dans mes lectures depuis plusieurs années, son écriture me touche au plus profond. Il y a quelques temps dans une émission de radio, s’agissant de ses récits de voyage, je l’ai entendu prononcer cette phrase : « Le livre doit être fait des traces que la mémoire a conservées ». Elle était écrite chez moi et me plaisait beaucoup. Je me suis référé à elle pour ce livre. J’ai exploré et fait confiance à mes souvenirs, encore frais certes, mais dans le désordre, de manière forcément parcellaire et incomplète. Dans les souvenirs de cette période, il y a les lieux visités et les gens rencontrés par exemple, mais il y a aussi les petits rêves, les grands espoirs, les regrets immenses, toutes ces histoires qu’on se raconte toute la journée sur le vélo... Tout ça se confond et s’entremêle au moment de l’écriture. La seconde chose concernant Bernard Chambaz, c’est que je l’ai rencontré vers la fin du voyage. Il disait de la poésie russe, accompagné d’une pianiste, à l’occasion d’un festival de musique près de Morlaix.
Tu écris : « Ce voyage est vide d’objectifs. Il démarre sans but, sans rien. Il n’y avait rien d’autre à faire ». Penses-tu encore cela ? C’était le cas au moment du départ oui, donc je le pense encore. Ce voyage n’a pas été travaillé, préparé, n’avait pas d’objectif en soi. Il a eu ses effets certes, mais au départ c’était une demande du corps, il fallait se mettre en mouvement, avancer pour mieux penser peut-être. Avancer au moins d’un point de vue physique, géographique, alors qu’en moi je faisais du sur-place. Mes seules préoccupations concrètes étaient de longer la mer le plus possible et de prévoir un endroit où dormir pour le lendemain.

Ce voyage était-il pour faire le vide ou pour faire le plein ? C’est très difficile comme question. J’ai fait comme beaucoup l’expérience du vide, d’une forme de vide, le genre de vide que rien ne remplit vraiment, même pas les innombrables imprévus, rencontres ou beautés que l’on croise dans ce genre de voyage. De façon assez contradictoire et après-coup, ce voyage était peut-être surtout fait pour arrêter de fuir et d’avoir peur. Une fuite ultime, majestueuse et douloureuse à la fois, avant de définitivement accepter que la vie est un grand magma dans lequel on a le droit d’ajouter un tas de choses sans trop de craintes, avec joie même.
Combien de temps a duré ton voyage ? As-tu une idée du nombre d’étapes, de kilomètres ? Je suis parti trois mois et demi environ avec mon vélo et mes sacoches. Je dormais chaque soir dans un lieu différent, j’ai fait aussi quelques pauses plus ou moins longues. J’ai dû rouler 70 ou 80 jours. Je n’avais pas de compteur et je n’étais pas du tout dans l’idée de mesurer les choses, mais suivant les jours et le terrain, je devais sûrement faire entre 60 et 80 kilomètres par jour. On avance assez bien et sans trop s’en rendre compte quand on a que ça à faire de la journée.
Lors d’un entretien avec l’auteur Marc Fernandez, il me confiait : « Le voyage à vélo est assez magique en réalité, on avance à son rythme, on va où on veut, c’est la liberté. Je prenais des notes chaque soir en arrivant dans nos hébergements. Mais à un moment, mes mains me faisant trop souffrir, j’ai arrêté et j’enregistrai mes impressions sur un dictaphone. Je n’avais pas de plan ou d’idée préconçue sur le contenu du livre durant le voyage, je voulais vivre le truc et me laisser porter avant de me plonger dans l’écriture stricte et la structure du livre, qui est venue bien après le retour. » Que penses-tu de cette phrase ? J’aime beaucoup cette phrase. Elle rejoint un peu celle de Bernard Chambaz sur l’importance de laisser les souvenirs décider après-coup, de ne pas penser au livre pendant, au risque de dénaturer le présent. De mon côté, je n’ai pas eu ce souci car je ne suis pas parti avec en tête le projet de le raconter dans un livre.
Tu es un grand lecteur. D’ailleurs le livre est truffé de références. Chaque monument, chaque route, chaque situation, tu glisses un clin d’œil à un livre ou auteur. As-tu fait ton itinéraire en fonction de cela ou est-ce complétement improvisé ? L’itinéraire n’était pas du tout prévu ou adapté en fonction de ça, ni en fonction de rien d’ailleurs comme évoqué plus haut. Mais j’ai croisé beaucoup de choses captivantes, en sachant que j’ai dû en croiser encore plus auxquelles je n’ai pas été attentif, réceptif. Et puis j’avais emmené quelques livres, beaucoup de poésie. J’en ai abandonné certains, embarqué d’autres au fil des librairies, boites à lire ou bibliothèques croisées. Ces références et citations, c’est une manière de partager les émotions de lecture, les textes importants qui m’ont accompagnés et aidés à avancer.
Propos recueillis par Julien Legalle
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