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Entretien "Des écrivains et du sport" avec Julien Legalle

Dans Des Écrivains et du sport, Julien Legalle nous livre 14 portraits d’auteurs et d’autrices qui se sont pris de passion pour le sport. L’ouvrage, passionnant et extrêmement bien documenté, met en lumière les trajectoires sportives souvent méconnues d’écrivains tels que Samuel Beckett, Vladimir Nabokov, David Foster Wallace ou encore Agatha Christie.


Qu’est-ce qui t’as poussé à questionner l’expérience sportive des écrivains ? Leur passion sportive permet-elle de lire autrement leur œuvre ?

Depuis la création du projet Écrire le Sport en 2014, c’est un sujet qui me passionne. J’ai toujours voulu montrer que l’on pouvait être intellectuel et sportif à la fois, qu’il ne fallait pas séparer la culture d’un côté et le sport, de l’autre. D’ailleurs, il y a aussi des sportifs écrivains, je pense à Guillaume Martin, Alizée Cornet, Aya Cissoko et dernièrement le fleurettiste Enzo Lefort qui a co-écrit un manga. Pour certains auteurs, il est indispensable de connaitre leur passion et leur pratique sportive pour mieux appréhender leur œuvre. Je pense à Harry Crews, Albert Camus, Ernest Hemingway… Par exemple, on retrouve des scènes de football dans La Peste, de boxe et de cyclisme dans Paris est une fête, et la pratique du bodybuilding dans Body. Je pense qu’ignorer cette spécificité, c’est passer en partie à côté de ces œuvres. Et puis, cela pourrait être un angle séduisant pour intéresser les plus jeunes à se mettre à la lecture.


Tu nous proposes des parcours inattendus qui sont autant de découvertes d’auteurs à la passion sportive souvent insoupçonnée. En effet, ce sont souvent les mêmes noms d’écrivains qui reviennent sur le sujet : Albert Camus, Henry de Montherlant, Jean Giraudoux… Comment ce sont faits ces choix ?

Depuis le début du projet, j’avais listé des noms, un peu comme des « passages obligés » : Pasolini, Camus et Hemingway. Cette première liste était également un argument pour trouver assez rapidement un éditeur. Je ne voulais pas me lancer dans l’écriture du manuscrit sans savoir si mon projet serait publiable. Lorsque j’ai contacté les éditions du Volcan, j’ai joint trois chapitres du livre et une liste d’auteurs. Elle s’est étoffée en faisant de nouvelles recherches, par exemple, j’ai relu des articles de la revue Desports, mais aussi, certains membres d’Écrire le sport dont toi, m’avez averti de certains profils. Je pense à Agatha Christie et le surf. Je dois cette information à Gaétan Alibert. Au final, j’ai choisi des noms très connus, facilement identifiables des spécialistes et du grand public pour mieux les surprendre avec cet élément de la pratique sportive qui est très souvent éludé. Et puis, lorsque j’ai découvert Harry Crews, j’ai tout de suite voulu l’inclure même s’il est objectivement moins célèbre que les autres. Il me permettait de surprendre même les plus avertis sur ce sujet.


© Thais Faucon, Eline Le Bannier, Eva Duparc et Emy Rondeau


Tu convoques aussi bien des auteurs français qu’anglo-saxons, états-uniens ou italiens. Leur parcours sportif s’inscrit-il dans la culture sportive de leur pays ?

Oui en grande partie. Le Chilien Luis Sépulveda joue au football dans un pays qui vient de voir son équipe nationale terminer à la troisième place de la coupe du monde 1962, devant son public. Les Latins, à savoir les Français et Italiens, jouent aussi au football. Quant aux Anglo-Saxons, Samuel Beckett et Conan Doyle, ils jouent au cricket, au rugby, et au golf, c’est aussi le cas d’Agatha Christie. Les Américains Hemingway et Kerouac pratiquent le baseball et le football américain. Harry Crews fréquente les salles de musculation. La popularité du culturisme s’accroît en 1977 avec le documentaire Pumping Iron qui marque l’introduction d’Arnold Schwarzenegger aux Etats-Unis. Ce film, combiné à l’intérêt croissant du pays pour la forme physique et au mouvement féministe, offre un climat idéal pour développer cette pratique chez les femmes. Crews entrainera sa compagne et l’incitera à s’inscrire dans les concours. Une expérience que l’on retrouve dans son roman Body. Quant à la boxe, le sport le plus présent dans le livre, elle est très répandue à Paris dans les années 1910 et 1920, donc les artistes de l’époque qui viennent dans la capitale française se passionnent pour le noble art. Je pense à Cravan, Camus, Colette et Hemingway. Il faut noter que la pratique sportive des Anglo-Saxons vient surtout de l’école. J’inclus également Nabokov car son école Tenichev à Saint-Pétersbourg s’inspirait de l’enseignement des public schools. Pour les autres, cela tient à des relations amicales. C’est le cas de Pasolini qui découvre le football à l’âge de 6 ans en jouant avec les garçons du village lorsqu’il est en vacances à Casarsa. Pour Blondin et Camus, c’est plutôt à la récréation. L’exception, c’est peut-être David Foster Wallace. Il est le seul de son groupe d’amis à pratiquer le tennis, car dans le Midwest, ce sport n’est pas perçu comme cool, il n’existe qu’à la télévision. Il s’y consacre d’arrache-pied et lorsqu’il gagne un concours de poésie, il utilise l’argent pour un stage d’été. À son arrivée au lycée d’Urbana, il intègre l’équipe de tennis. On ne peut pas dire que ce sport soit développé dans le Midwest et comme le montre le chapitre, le vent et la végétation rendaient la pratique difficile.


Ces auteurs font du sport. Pour autant en parlent-ils dans leur roman ? Si non, comment expliquerais-tu ce silence ?

Pour certains, le sport est très présent comme chez Harry Crews. En effet, il a pratiqué les sports qui apparaissent dans ses romans : karaté, boxe et musculation. Kerouac consacre son roman Vanité de Duluoz en partie à ses premiers matchs de football américain. Mais il est vrai qu’il est davantage en arrière-plan chez la plupart des auteurs. On retrouve des scènes de football chez Camus et Pasolini, et dans les poèmes de Nabokov. Il est très rare chez Agatha Christie, à l’exception de son roman Le Crime du golf même s’il s’agit principalement d’un meurtre sur un parcours de golf attenant à la propriété du défunt. Chez Beckett, le sport est quasiment absent de son œuvre à l’exception du monologue de Lucky dans En attendant Godot. En revanche, la performance sportive et athlétique est exigée dans ses mises en scène au théâtre. Dans Pas moi, le spectateur découvre une bouche éclairée qui doit lire le texte à la vitesse de l'éclair. Ainsi il reproche régulièrement à ses actrices d’être trop lentes lors de la lecture. Pour le monologue de Lucky que j’évoquais juste avant, Beckett exigeait que son acteur le fasse en accélérant sans cesse le débit, pour terminer par une fréquence de mots à la minute digne d'un sprint d’Usain Bolt ! D'ailleurs, il arrive très fréquemment que le public applaudisse à l'issue de la tirade tellement elle fait songer à un exploit sportif.

Blondin, qui a pourtant été le journaliste et écrivain du Tour de France pendant 27 éditions, n’aborde quasiment jamais le sport dans son œuvre fictionnelle. Pour lui, le héros sportif amène le livre du côté d’un sous genre spécialisé. Dans son article « Fort heureusement, Robinson n’a pas de frère boxeur », il soutient que le roman sur le sport n’a pas de sens « parce que le sport lui-même est déjà un roman avec son dialogue qui est la confrontation, ses péripéties qui sont la compétition, son dénouement qui est le résultat : étroites limites offertes à l’imagination d’un auteur […] le sport peut fournir des caractères ou des situations, pas une intrigue. » Il applique ce raisonnement uniquement à sa nouvelle « Nous rentrerons à pied » parue dans le recueil Quat’Saisons, prix Goncourt de la nouvelle en 1976, où Guy Boniface apparaît sous les traits du joueur international Maxime Aigueparse.


Comment as-tu procédé dans ton travail d’enquête ? En effet, les biographies traditionnelles restent souvent silencieuses sur la vie sportive des écrivains…

Parfois j’ai consulté plusieurs biographies pour obtenir quelques éléments. J’ai également lu une partie de leur œuvre et quelques articles de recherche. La difficulté était de savoir s’arrêter. En effet, on tombe toujours sur de nouveaux éléments passionnants mais il faut se poser la question : ont-ils forcément leur place dans ce livre ? C’était à la fois le travail le plus passionnant mais aussi le plus fastidieux.


Dans les années 20, certains auteurs, à l’exemple de Marcel Berger, revendiquent l’existence d’une « littérature sportive ». Elle offrirait une écriture « athlétique, dépouillée, musclée », « aux ressorts prompts à se détendre comme un poing de boxeur ». Autrement dit, le sport aurait une influence sur le style littéraire devenu plus dynamique. Au regard des écrivains dont tu as questionné la trajectoire et de leurs œuvres, qu’en penses-tu ?

Je trouve qu’il est assez difficile de répondre à cette question. Je ne sais pas si la pratique sportive a un impact sur le style, en tout cas, elle a un fort impact sur l’écriture. La plupart des auteurs qui le pratiquent admettent qu’une bonne séance de sport permet d’avoir les idées plus claires pour écrire ensuite. J’en fait partie. Il est un défouloir. Et puis, si un auteur se lance dans un sujet sportif, il est indispensable de bien connaitre l’activité en la pratiquant pour mieux transmettre les émotions, le ressentis du corps, les règles, son histoire, afin d’éviter tout impair. Les passionnés ont cette exigence-là, comme on peut l’avoir au cinéma avec les scènes sportives.


Quatorze portraits… mais seulement deux autrices (Agatha Christie et Colette). Est-ce à dire que les écrivaines ne pratiquent pas ou peu le sport… ou que les archives concernant leur pratique sportive sont encore plus silencieuses que pour les hommes ?

Il y a plusieurs éléments. Malheureusement il y a moins d’autrices que d’auteurs publiés. Et il y a encore moins d’autrices sportives. La passion sportive n’est pas très mise en avant dans le parcours des auteurs, il est parfois difficile de trouver des informations. Comme j’ai travaillé de la deuxième moitié du XIXe au XXe, il faut dire que la pratique sportive est moins présente chez les femmes et pendant longtemps, elle est même fortement déconseillée par la médecine. Aujourd’hui, les autrices n’hésitent pas à parler de cette pratique et à la mettre en avant dans leurs textes. Je pense à Cécile Coulon, Virginie Despentes, Maelys de Kerangal… Pour être franc, vers la fin, j’ai trouvé deux nouvelles autrices mais j’avais trop peu d’éléments, donc cela nécessitait de longs mois de recherche et j’avais une date de remise de manuscrit. Cela faisait déjà trois ans que je travaillais dessus, j’ai dû faire des choix.


Penses-tu avoir fait le tour du sujet ? Ou pouvons-nous attendre un tome 2 sur le sujet ?

Non pas du tout, j’ai une liste très longue d’auteurs et quelques autrices. Je découvre de nouveaux profils régulièrement. Mais il faut être raisonnable, je vais déjà défendre celui-ci et dans quelques mois, si le livre s’est bien vendu et a eu un écho favorable, nous aurons peut-être une discussion avec Frédéric Mélis, mon éditeur, sur cette possibilité.


Propos recueillis par Julie Gaucher


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