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Les Malchanceux, Bryan Stanley Johnson

Classique de la littérature anglaise composé par Bryan Stanley Johnson à la fin des années 60, le roman «Les Malchanceux» est paru en 2009 dans une traduction française de Françoise Marel, dans la collection Made in Europe des éditions Quidam.


C’est un livre-ovni, de ceux qu’on aime dès le premier regard. Un livre-mélancolie, le genre qui remue beaucoup de choses à l’intérieur. Un livre-en-boîte, fourni avec un mode d’emploi à ne pas prendre à la légère et que voici dans son intégralité : « Ce roman possède vingt-sept sections temporairement tenues ensemble par un bandeau amovible. Exception faite du premier et dernier « chapitres » (indiqués comme tels), les vingt-cinq autres peuvent être lus dans n’importe quel ordre. Si le lecteur préfère ne pas accepter l’ordre dans lequel il a reçu le roman, qu’il se sente libre de la réarranger, avant lecture, dans l’ordre que lui offrirait le hasard ».



Une originalité qui suffirait presque à le choisir, à l’élire. Mais en plus de cette forme libre suggérée au lecteur - bien sûr qu’on ne va pas s’emparer des sections dans l’ordre initial -, et en plus de l’allure générale de l’objet ainsi fabriqué - somptueux dans son écrin blanc, fermé comme ouvert -, il y a également l’histoire et l’écriture. La caresse et le coup de poing dans une constante oscillation. Le style élégiaque et éprouvant d’un auteur radical pour qui il fallait écrire uniquement « par nécessité », un peu délaissé de son vivant et après dans son pays, l’Angleterre, où il eut le temps d’écrire sept romans avant sa disparition hâtive à 40 ans, d’un suicide ; « une mort, toute simple, un moyen comme un autre », écrit-il.


Cette histoire, c’est un peu la sienne, lui qui considérait le roman uniquement comme une forme possible pour « écrire la vérité », nous explique Jonathan Coe dans une préface éclairante sur ce Bryan Stanley Johnson qu’il contribua à sortir de l’ombre. C‘est donc l’histoire d’un chroniqueur sportif - ce qu’il fut, à l’instar d’un Georges Perros à la même époque dans une autre Bretagne - se rendant dans une ville des Midlands autrefois fréquentée, pour y couvrir un match de football de première division. L’occasion de traverser avec lui une foule de pensées, cette journée où le pub, le stade, la tribune de presse, le match, le compte rendu à fournir à temps, avec un nombre de mots précis, ne sont finalement que des parenthèses obligées du présent.



Ce qui compte le plus, c’est la nostalgie, les souvenirs qui surgissent. Il revient et il se souvient, toujours sur un fil, reconnaissant à chaque page le caractère vain et fragile d’une telle démarche. Il se rappelle de l’insignifiant auquel on s’accroche corps et âme, mais aussi du plus puissant, à savoir cet ami omniprésent - Tony - car associé à ce lieu. Tony et sa femme, son enfant, ses parents à Brighton, sa conversation, sa personnalité, ses cent kilos, son goût pour le cricket, son lien à la littérature qui était son travail et sa vie, sa maladie, puis sa mort qui terrasse. Ce jour-là ou presque, la dernière fois qu’ils se voient, B. S. Johnson lui glisse ces mots : « T’en fais pas mon pote, j’écrirai tout ». Alors voilà, il a tout écrit, un peu crûment, avec cet humour indéfinissable, un amas de sentiments, de façon incertaine et disloquée comme le sont nos souvenirs.


Et puis, puisqu’il faut aller au bout de l’expérience sensorielle vécue avec ce chef d’œuvre, parlons également de ces adorables petits symboles, tous différents, qui démarrent chaque nouveau feuillet choisi, chaque chapitre, hormis les premier et dernier. Ça ne paraît pas grand-chose, mais c’est une douceur initiale, un repère précieux qui nous fait pénétrer avec joie dans un nouveau texte, de nouveaux souvenirs, une nouvelle plongée... C’était un livre-cadeau, le genre de livre qui ne se range pas avec ses frères dans la bibliothèque. Il trouve plutôt une place bien à lui, en exergue, la plus centrale possible, attirant l’œil des visiteurs ainsi condamnés à remarquer cette boite étrange, cet objet fascinant qui ne ressemble à aucun autre.


Par Valentin Deudon


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