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Qui est vraiment Leonardo ? Entretien avec Philippe Rodier



Après l’entraineur idéal (Hugo Sport) et Les Plus grands managers du sport se confient (Amphora), ce livre sur Leonardo était-il une suite logique ?

Je ne sais pas s’il s’agit d’une suite logique des choses, mais j’avais déjà reçu plusieurs propositions pour rédiger des biographies (Laurent Blanc et Christophe Galtier). À vrai dire, cela ne m’intéressait pas vraiment mais j’ai toujours voulu écrire une biographie. Dans les faits, j’avais très envie de partir sur une nouvelle biographie sur Zidane ou Mourinho, mais j’ai été « devancé » par Fred Hermel pour le 1er et par Nicolas Vilas pour le second. Donc, j’ai hésité à partir sur Vincent Collet et puis, en côtoyant Damien Dole (journaliste chez Libération et auteur d’un livre sur le PSG), l’idée m’est venue de me pencher sur le cas Leonardo. Quelque part, il y avait « tout » pour produire un livre avec mon bagage d’auteur ; à savoir, du sport, du management, un personnage mystérieux et surtout, un personnage clivant. Puis, j’aimais l’aspect de pouvoir évoquer une carrière de joueur qui s’est effectuée durant de belles années avec de grands noms du football brésilien et italien : Romário, Bebeto, Zico ou encore Baggio pour le foot italien. C’est une partie d’histoire importante dans cette biographie à mes yeux et l’apport de Didier Roustan a été capital pour sa réalisation, ainsi que la présence de mon co-auteur Paolo Del Vecchio.



Ce que l’on comprend dans ce portrait, c’est qu’il y a une grosse personnalité, capable en tant que joueur de représenter le vestiaire, capable de donner son avis sur la tactique, le jeu, et des coups de sang comme lors de la CM 94 et en 2013 lorsqu’il bouscule l’arbitre. Le gendre idéal peut aussi être un paria. En vérité, l’image du gendre idéal, depuis son arrivée en tant que dirigeant, je pense qu’il s’agit d’une fausse image qui s’est développée à raison de ses sorties médiatiques et de la classe naturelle qu’il dégage. À Milan, beaucoup de personnes ne l’apprécient pas, comme au PSG d’ailleurs. C’est pour cela que j’employais le terme « clivant » précédemment. Après, le job qu’il effectue incite à devoir effectuer certaines remontrances, prendre certaines positions qui peuvent déranger en interne. Leonardo n’est pas là pour se faire apprécier mais pour obtenir des résultats dans un club avec une typologie bien particulière et toute la pression qui découle de cette fameuse typologie de l’investisseur principal à l’ambition démesurée. Le tout, dans un climat assez délétère autour du club. Le PSG appartient au Qatar et tout le monde connaît les raisons de l’investissement du Qatar, à savoir faire du soft power à grande échelle. Dès son premier passage, les autres dirigeants ont vite exprimé une forme de jalousie à son égard. Aujourd’hui, il s’est calmé au niveau de ses sorties médiatiques et le PSG travaille plus en accord avec les grandes instances, ce qui facilite la diminution de cette mauvaise image qu’il pouvait avoir lors de son premier passage. Du côté des supporters, je pense que son travail est parfois mal analysé ou, du moins, on oublie de prendre en considération certains paramètres qui viennent interférer dans le travail qu’il réalise. À mes yeux, il n’est pas à la bonne place au PSG et il devrait surtout être le président de ce club puisque j’estime que les « maux » du club viennent en majeure partie de la présence de Nasser al-Khelaïfi. Maintenant, l’investisseur du club vient du Qatar, j’imagine donc qu’il faut une figure pour représenter le Qatar en interne. Et donc, Nasser al-Khelaïfi est essentiel au fonctionnement du club. Si quelqu’un doit prendre la porte prochainement, ce sera l’entraîneur puis, probablement Leonardo, malgré le crédit que lui accorde l’émir.

Quelle image se dégage le plus pour vous ? L’intello, l’homme cultivé, le séducteur, le sanguin, le caractériel ? Le malin... Celui qui profite de ses connaissances dans le milieu du foot pour se placer au bon endroit, au bon moment. Ce n’est pas anodin qu’il se soit rapproché au fil du temps de Mino Raiola par exemple. Quand on regarde son panel de joueurs, Leonardo sait qu’il vaut mieux l’avoir à ses côtés pour la suite des opérations. En cas de départ de Mbappé, j’imagine que « tout » est déjà programmé grâce à cette proximité avec Raiola. C’est aussi une qualité chez un manager, de savoir anticiper les choses.


Beaucoup d’anciens coéquipiers ont très vite compris qu’il serait un jour amené à de grande responsabilité dans le foot. Oui, parce que, comme il le dit lui-même, à son époque, il était l’un des seuls joueurs à parler plusieurs langues, ce qui lui a permis de prendre les commandes en sélection par exemple pour organiser et gérer certains aspects hors-sportif. Prendre la parole au nom du groupe aussi. Très tôt, il a appréhendé ce qu’était « une organisation » comme il le dit lui-même. C’est aussi ce qui m’a attiré dans son personnage puisque j’ai été joueur aussi (dans une autre discipline) et c’est le rôle que j’effectuais à ma petite échelle.

Beaucoup de journalistes pensent qu’au PSG, il n’y a pas d’autorité, que les joueurs font ce qu’ils veulent. Est-ce lié au choix de superstars avec un impact médiatique plus fort que celui du club ? Est-ce la preuve d’un échec pour Leonardo ? Forcément, il a une part de responsabilité à ce niveau puisqu’il a recruté certains « indésirables » présents au club aujourd’hui, accordé des prolongations à d’autres. Pour l’absence d’autorité, comme je l’expliquais récemment pour Les Cahiers du Foot, c’est difficile de devoir naviguer entre un président très « intrusif » et un actionnaire qui place l’aspect marketing au-dessus de l’aspect sportif dans son objectif de soft power, justement. Finalement, peu importe les résultats du PSG, tant qu’on parle du PSG, cela permet d’oublier les raisons qui poussent le Qatar a accentué sa place dans le sport. D’ailleurs, le premier Grand Prix au Qatar s’est effectué cette saison en Formule 1. Leur stratégie consiste à s’acheter une image à travers le sport. À partir de là, il y a certains choix qui peuvent être discutables, mais est-ce que Leonardo a son mot à dire sur tout ? Je ne le crois pas.

Il a été décisif lors de nombreux transferts comme ceux de Verratti, Zlatan, Silva, Lucas. Pensez-vous que son importance s’est révélée lors de son absence au club de 2013 à 2019 ? À mes yeux, oui. Parce que à cette époque, le club partait sur des fondations vraiment solides avec une architecture de l’équipe cohérente grâce à son recrutement. De plus, je pense que l’entente avec Laurent Blanc était envisageable, surtout quand on regarde le style de jeu que proposait Laurent Blanc et l’identité qu’il avait greffé à cette époque. C’est d’ailleurs le seul entraîneur depuis l’ère QSI (avec Ancelotti) qui est parvenu à greffer une vraie identité à cette équipe. Leonardo a côtoyé Telê Santana et le football proposé par Laurent Blanc colle avec cette mentalité, basé sur la possession du ballon et la volonté d’être « offensif ». Aujourd’hui, le PSG semble plutôt constituer pour évoluer en contre-attaque à mes yeux.

Quel bilan pouvons-nous faire de ces deux passages ? Avez-vous observé un changement entre les deux ? Le premier passage est proche de l’excellence, avec malgré tout quelques erreurs sur le recrutement. Puis, à cette époque, il était sur trop de combats à la fois (remise en question du niveau de la Ligue 1, des arbitres, de la formation française, de la fiscalité en France), qui d’une certaine façon, lui ont couté beaucoup d’énergie. Aujourd’hui, il est plus en retrait au niveau médiatique, il prend moins position dans le vestiaire. Malgré tout, il a encore une importance capitale au club à mes yeux mais, d’une certaine façon, son pouvoir s’est amoindri et d’une certaine façon également, il paie le prix de fort de ses erreurs sur le mercato avec l’impossibilité de vendre certains joueurs avec des salaires très élevés. Des joueurs ou plutôt des « indésirables » qui, par la même occasion, empêchent l’intégration progressive de certains jeunes issus du centre de formation. Pochettino l’a très vite noté en conférence de presse d’ailleurs. Et je pense que les désaccords entre les deux se jouent à ce niveau-là également. Malgré tout, Pochettino pourrait très bien prendre le choix d’envoyer ces fameux « indésirables » en tribunes pour faire de la place aux jeunes mais au regard du statut de ces joueurs et, peut-être des affinités dans le vestiaire entre les uns et les autres, je ne pense pas qu’il le fera de crainte d’amenuir son crédit auprès du groupe. C’est pour cela que je pense qu’un entraîneur comme Massimiliano Allegri (qui était le choix n°1 de Leonardo, quand Pochettino est le choix de Nasser al-Khelaïfi), aurait représenté un meilleur choix. Zlatan le disait récemment : « Allegri est très bon dans la gestion du vestiaire » ; et, je pense que lui n’aurait pas eu peur de se mettre à dos certains joueurs pour imposer sa patte sur le groupe. Après, est-ce que le PSG serait plus performant avec Allegri ? Je n’ai pas la réponse à cette question. Ensuite, nous sommes au mois de décembre et il peut se passer beaucoup de choses d’ici la fin de saison. Personnellement, je ne crois pas à une arrivée de Zidane cet hiver, mais si cela intervenait, il est possible que Leonardo quitte le club en fin de saison. Si cela doit se produire, je pense qu’il fera tout pour conserver une belle image à sa sortie en mettant en avant les résultats en Coupe d’Europe depuis son retour, à savoir finale et ½ demi-finale.

Pour terminer, travaillez-vous déjà sur un ou plusieurs nouveaux livres ? Si oui, peut-on en savoir plus ? Bien sûr. Actuellement, je travaille sur deux biographies sur deux stars du milieu des jeux vidéo pour l’année 2022, et de l’esport plus particulièrement. Ce sont des histoires assez incroyables et qui me passionnent au regard de la détermination de ces deux personnages. Je trouve que c’est important de pouvoir proposer au public ce genre de biographie pour qu’il puisse apprécier ce que représente le parcours d’un joueur dans l’esport, avec des hauts et des bas et surtout, qui ne se limite pas à jouer un certain nombre d’heures par jour derrière son écran. Ensuite, il est possible que je me penche un peu plus sur le milieu de la Formule 1 qui me passionne énormément. Cela devrait donc lieu à la rédaction de 7 livres en 4 ans, viendra donc les vacances ensuite…



Propos recueillis par Julien Legalle

Philippe Rodier, Leonardo : l'architecte du PSG sous QSI, Marabout, 2021.

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