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Trois livres avec ballon

On le cherche partout. On le trouve partout. Jaune et bleu sous une semelle adolescente à côté de l’arrêt de bus. Pâle, dégonflé, oublié au fin fond d’un vaste jardin domestique. Bien rangé et entouré de ses frères dans le petit local matériel de son club. Aussi dans des titres de livres, écrit à l’encre verte ou rouge, dessiné sur leur couverture, un modèle pour nostalgiques, en noir et blanc, des pentagones ensemble tissés. L’occasion d’en apprendre un peu plus sur lui : son arrondi, sa philosophie, son impact sur nos vies. Le ballon est roi, sur le terrain et dans nos lectures. Alors voici trois livres parmi d’autres parlant d’un ballon rond, celui dont on se sert pour jouer au football, celui que l’on fait rouler dans sa tête pour prolonger le plaisir les jours de non-match.




L’autobiographique : Vladimir Dimitrijevic, La vie est un ballon rond (1998, Editions de Fallois, puis 2016, La Table Ronde)

Une cinquantaine de textes, d’une ou deux pages chacun, trois tout au plus, esquissant la relation ultra-passionnelle de Vladimir Dimitrijevic avec le football, lui qui a commencé à jouer chez lui, en Serbie, « contre la volonté de mes parents », ce qui ne gâche pas le plaisir, bien au contraire. On se balade entre les époques, les guerres, les déplacements, les éblouissements, toujours guidé par les souvenirs des stades et de ceux qui les fréquentent. Le ballon devient sous sa plume « un objet sacré », le football se pense comme « une aristocratie de la jambe », très vite on croise le mot « danse » pour parler du corps jouant et cela pousse forcément à poursuivre la lecture. Evidemment le retour à l’enfance est omniprésent puisque c’est là que les premières joies naissent, là qu’on se jure sans le savoir d’y rester fidèle toute la vie. Dimitrijevic irrite aussi parfois, quand il évoque par exemple les nations et leurs manières de jouer, comme si elles définissaient un caractère unique propre à un pays.

Fondateur des éditions L’âge d’Homme à Lausanne dans les années 60, ce libraire-éditeur a notamment publié le célèbre La légende du football du Suisse Georges Haldas, « un frère en combustion » à qui ce livre est dédié. Cela dit bien le feu qui les animait pour ce jeu, autant que pour la littérature. Deux passions qui d’ailleurs s’entremêlent à quelques occasions dans le texte, comme dans cet admirable extrait évoquant Cruyff et ses coéquipiers néerlandais adeptes d’un football total : « En voyant de telles prouesses, on voudrait immédiatement refaire le geste. De même, quand vous lisez un grand texte, vous voulez connaître le mystère qui se trouve derrière : vous le relisez. Pourquoi est-on pris, ému ? Parce que quelqu’un – ainsi que Paulhan disait de Cingria – sait dire «il pleut» comme personne d’autre ».



Le scientifique : Etienne Ghys, La petite histoire du ballon de foot (2022, Odile Jacob)

C’est un livre de football à mettre en classe, en cours de mathématiques ou de géométrie, au collège ou à l’école primaire. Un livre à placer dans la bibliothèque du club-house, pour que toutes les petites licenciées et tous les petits licenciés s’en emparent à l’heure du goûter d’après-match. Ici, l’amour du jeu et du ballon sont un prétexte pour rendre curieux, faire lire, inviter à apprendre. Avec l’aide de Platon ou d’Archimède, Etienne Ghys promet ainsi « d’examiner les ballons de foot sous toutes leurs coutures », grâce notamment à la géométrie qui permet de « comprendre ce qui nous entoure ». Le ballon en premier lieu donc puisqu’on ne peut pas s’en passer, enfants comme adultes.

Mathématicien et secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, l’auteur a dès lors toute notre confiance pour nous éclairer sur l’histoire intime de l’objet phare ; sa construction, son assemblage, les polyèdres qui le caractérisent, ses évolutions au fil des coupes du Monde, son vol dans l’air, sa rugosité, sa rigidité… Et malgré l’utilisation de termes physiques qui peuvent faire peur, on accède à toutes les explications, en ne perdant jamais de vue la beauté de l’acteur principal, souvent dessiné, en long et en large, en forme ronde ou aplati sur la feuille, car « un mathématicien, si grand qu’on le veuille, ne possédant pas le dessin, sera non seulement une moitié de mathématicien, mais aussi un homme sans yeux ». Un peu comme un footballeur sans son ballon.



Le philosophique : Bernard Chambaz, Petite philosophie du ballon (2018, Flammarion)

Bernard Chambaz sait tout faire. Des grands périples à vélo, des marathons sous un ciel resplendissant, des matchs de football sur toutes les surfaces, des livres délicieux. Dans celui-ci, qui prend place au cœur d’une œuvre foisonnante et protéiforme, remarquable, l’écrivain tisse le lien entre ce ballon qui lui est si cher et quelques penseurs-philosophes. A commencer par Pascal, qui sous-entend déjà une présence inéluctable : « Nous courons sans souci dans le précipice après que nous avons mis quelque chose devant nous pour nous empêcher de le voir ». David Hume et Diego Maradona s’accordent eux sur « le mouvement perpétuel », tandis qu’Albert Camus occupe bien sûr une place émérite, lui qui ne se cachait ni pour jouer ni pour partager les apprentissages essentiels acquis sur un terrain. Bergson, Démocrite, Jankélévitch, Montaigne et beaucoup d’autres complètent la feuille de match.

Et puis, parmi la soixantaine de petits textes qui composent cet ouvrage, il y a les souvenirs du jeu de l’auteur, fidèle pendant deux décennies au championnat FSGT en région parisienne puis plus tard à l’équipe de France des écrivains ; il y a ses nombreux voyages dans un ailleurs où le ballon n’est jamais loin, source de rencontres et de fraternités autant qu’un langage ; il y a la douceur d’écriture de Bernard Chambaz, qui console et qui nous enseigne toujours quelque chose, sans jamais l’imposer. Il y a aussi ce poème fou en pages 24 et 25, dont chacun des 28 vers (sans point final, surtout pas) commence par l’anaphore « il y a ». Et pour se quitter on ne résiste pas à citer le plus beau vers de tous les temps pour qui a joué et aimé en même temps : « Il y a mon amoureuse dans le rond central ».


Par Valentin Deudon


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